Dans toute l’Europe, les diplomates russes sont en train de faire leurs valises. L’Allemagne, l’Italie, la France ou l’Espagne ont déjà expulsé le personnel des ambassades du Kremlin en réaction aux crimes de guerre commis par les soldats russes en Ukraine.
Cette mesure drastique sert notamment à se protéger: nombre de ces diplomates ne passent pas leurs journées à tamponner des passeports ou à entretenir de bonnes relations avec leurs homologues, mais rassemblent plutôt des informations pour tenir Moscou au courant. En bref: ce sont des espions.
Un tiers du personnel diplomatique russe
Le Conseil fédéral emprunte une voie différente de celle de la plupart des pays européens. Berne a décidé de ne pas renvoyer un seul diplomate chez lui pour l’instant, malgré le risque que cela comporte.
Contacté par Blick, le Service de renseignement de la Confédération (SRC) a reconnu qu’environ un tiers du personnel des représentations russes accréditées dans le pays est identifié comme collaborateur des services secrets, ou du moins suspecté de l’être. «A cela s’ajoutent des informateurs, des sources, des officiers sous couverture non officielle et ceux qui ne voyagent que brièvement en Suisse pour une mission», écrit le SRC.
Au moins 70 espions russes en Suisse
Un tiers du personnel accrédité, cela représente un nombre imposant: l’année dernière, 220 diplomates russes étaient enregistrés en Suisse, selon les données du Département des affaires étrangères (DFAE). Parmi eux, 70 étaient donc des espions. Ceux-ci sont basés principalement à Berne et à Genève, où se trouvent de nombreuses organisations internationales.
Il y a une semaine encore, le service de renseignement suisse mettait en garde dans un document confidentiel contre le fait de laisser ces agents agir sans surveillance ou conséquences. Pire encore, le SRC craint que Moscou ne renforce ses activités d’espionnage en Suisse.
La Suisse, un nouveau nid d’espions?
Dans ce document, que nos collègues du SonntagsBlick ont pu consulter, le SRC constate: «Suite à l’expulsion massive d’agents de renseignement sous couverture diplomatique et à l’application d’interdictions d’entrée, les États européens réduisent durablement la menace posée par la Russie.»
La menace pour la Suisse, poursuit le rapport, «restera très probablement la même, ou pourrait augmenter si la Russie transfère en Suisse ses activités de renseignement qui ne sont plus possibles dans d’autres pays européens. Elle pourrait aussi utiliser la Suisse comme point de départ pour contourner les mesures administratives des autres Etats Schengen.»
Le SRC ne voit pas de changement dans la menace
La Confédération, un havre de paix pour les fouineurs de Poutine? Dans ce cas, la Confédération se retrouverait bientôt en difficulté sur le plan international, résume le SRC: «La Suisse pourrait être mise sous pression pour se rallier aux mesures administratives d’éloignement d’autres Etats européens afin de ne pas être utilisée comme porte d’entrée en Europe par les services de renseignement russes.»
Dans le monde étroitement interconnecté des services secrets, il semble peu plausible que le SRC élabore ce scénario sans indications préalables des services partenaires. Les prises de position officielles sont maigres. Interrogée, la porte-parole Isabelle Rappo écrit que le SRC n’a constaté depuis le début de la guerre «aucune modification de la menace posée par les services de renseignement interdits en Suisse à partir de la Russie».
Pressions sous la coupole
Ni le SRC, ni la Chancellerie fédérale n’ont voulu prendre position sur le risque de contournement des sanctions via la Suisse, ainsi que sur la pression que subirait le Conseil fédéral de la part des Etats européens.
Les politiciens des affaires étrangères et de la sécurité plaident entre-temps pour un changement de cap. Le président du PLR Thierry Burkart demande que «l’immunité diplomatique soit levée pour les personnes dont il est prouvé qu’elles sont actives dans le domaine du renseignement. Elles doivent être expulsées.» Selon le conseiller aux Etats argovien, ce serait un signe clair que l’on ne tolère pas d’activités illégales, ni en Suisse, ni contre l’Ukraine.
Gauche et droite d’accord
Werner Salzmann, parlementaire UDC et président de la Commission de la politique de sécurité du Conseil des Etats, est du même avis: «Les diplomates dont les faits d’espionnage sont confirmés doivent être expulsés. Cela vaut pour les diplomates de tous les pays.» Werner Salzmann désire tout de même faire une exception pour certains représentants d’Etats étrangers, notamment ceux qui travaillent à la Croix-Rouge internationale ou à l’Organisation mondiale de la santé. Une expulsion générale «exclurait définitivement la Suisse comme lieu de négociations de paix», craint-il.
Cette réflexion est saluée à gauche de l’hémicycle: «Une politique de paix a besoin de ces canaux, même si on ne peut que condamner les horreurs commises par les bellicistes», déclare la conseillère nationale verte Sibel Arslan.
Viola Amherd veut durcir les règles
Ce qui sera surtout déterminant, ce sont les rapports de majorité au sein du gouvernement national. C’est lui qui décide de l’expulsion ou non du personnel des ambassades.
Les espions de Moscou devraient bientôt être à l’ordre du jour du Conseil fédéral. Les journaux de «CH Media» ont rapporté que la ministre de la Défense Viola Amherd (centre) veut être plus dure avec les agents russes. Elle n’a pas été entendue par la majorité de ses collègues cette semaine, mais cela pourrait rapidement changer.
(Adaptation par Lliana Doudot)