Il est loin le temps où Jean-Marie Cleusix, 63 ans, se battait encore à skis sur les glaciers, les pistes de glace et les montagnes enneigées. Aujourd'hui, le professeur de philosophie au collège de St-Maurice (VS) donne l'impression d'être un bon vivant qui se réjouit de sa retraite.
Et pourtant, la Patrouille des Glaciers, le lien qui le lie avec la légendaire course de ski de randonnée dans les Alpes valaisannes reste extrêmement fort. Cela n'a pourtant rien de très nostalgique, mais plutôt à voir avec des amitiés brisées, un sentiment amer de trahison... et des montagnes d'argent détourné.
Cleusix a 31 ans lorsqu'il participe pour la première fois à l'organisation de la Patrouille des Glaciers. Il est fasciné par la course, le décor spectaculaire des sommets enneigés de quatre mille mètres, mais aussi par la camaraderie des patrouilleurs.
Quelques années plus tard, Cleusix devient l'un des membres fondateurs de l'Association de soutien à la Patrouille. Il en est désormais responsable du marketing et du parrainage, tandis que l'armée organise l'événement lui-même.
Le paiement princier du trésor de l'association
Pendant des années, tout se passe bien, la coopération entre l'association et l'armée semble fonctionner parfaitement et la patrouille devient de plus en plus populaire.
Mais au printemps 2020, tout change. Cleusix, qui travaille pour la patrouille en tant que responsable de la communication, a vent d'un scandale. Apparemment, les membres du conseil d'administration sont grassement payés pour leur travail. Aux dépens des coffres de l'association.
C'est un soupçon explosif, car l'association est soutenue par l'argent des impôts, et pas qu'un peu. Depuis 2015, le canton du Valais a versé environ 900'000 francs pour trois courses, l'événement ayant lieu tous les deux ans, et 930'000 autres proviennent de la Loterie Romande.
Rémunération et dépenses de 944'000 francs
Cleusix commence à creuser plus profondément. Il engage un avocat, envoie d'innombrables courriels aux membres de l'association et dresse une longue liste de questions à l'attention des cinq membres du conseil d'administration. Ceux-ci refusent cependant de jouer la transparence, retiennent des documents clés, tiennent certains membres à distance — dans l'espoir que personne ne se tourne vers Cleusix. Car le professeur de philosophie et ancien fonctionnaire a été impliqué dans un scandale fiscal quelques années auparavant. Depuis lors, sa réputation a été ternie.
Des mois passent sans qu'il obtienne de réponses à ses questions au conseil d'administration. Les contrôleurs internes de l'association, avides de clarté, subissent le même sort: le conseil d'administration les bloque pendant des mois jusqu'à ce qu'ils reçoivent enfin les documents.
En janvier 2021, le rapport des auditeurs internes met en évidence que l'équipe de direction s'est généreusement servie dans les caisses de l'association. Entre autres, les membres du conseil d'administration se sont versés rétroactivement un bonus d'un montant total de 100'000 francs sur les cinq dernières années. A cela s'ajoute un versement de 36'000 francs — il s'avèrera par la suite qu'il s'agit finalement de 60 000 francs — pour la prétendue location de bureaux au domicile du secrétaire général, ainsi que des sommes considérables pour des travaux, effectués par ailleurs par des personnes de la famille des membres du CA.
Toutes ces dépenses s'additionnent. Pour la seule course de 2018, les cinq membres du conseil d'administration se sont versés à eux-mêmes et à leur famille un total de 944'000 francs en indemnités et en frais.
Sur le dos des bénévoles
Cleusix est stupéfait, tout autant que ses collègues de l'association. Ils avaient tous été tenus dans l'ignorance de ces paiements. Le responsable de la communication considère la mentalité de self-service du conseil d'administration comme une véritable trahison à la cause de la course. Après tout, les membres de l'association ont fait du bénévolat pendant des années sans réclamer un seul franc. Et il s'avère que les membres du conseil d'administration en vivaient grassement.
Entre-temps, les cinq membres du conseil d'administration ont commandé un deuxième rapport d'audit à la société KPMG. Ce rapport confirme que tous les paiements ont été effectués légalement. Mais KPMG a aussi trouvé des «lacunes importantes» dans les contrôles internes. Dans le cas de la direction, des «conflits d'intérêts potentiels, des risques d'abus et de fraude» ont été identifiés. Une conclusion mitigée, donc.
Le canton du Valais se sent également obligé d'enquêter sur cette affaire et charge l'inspection des finances d'examiner les comptes de l'association. Ce rapport, publié il y a une semaine et demie, n'a pas non plus constaté d'activité criminelle.
Dans le même temps, les auteurs y critiquaient la rémunération «insensiblement» élevée des membres du conseil d'administration. Ainsi, le rapport révèle que le président F.* a perçu à lui seul 930'000 francs pour des activités associatives de 2015 à 2020. «Un montant très élevé pour une activité secondaire», notent les inspecteurs des finances.
L'armée met fin à la coopération
Les rapports donnent l'image d'un conseil d'administration qui considère la patrouille comme un moyen de servir ses fins, de s'en mettre plein les poches. Une situation inconfortable tant pour l'armée, qui collabore avec l'association, que pour le canton du Valais, qui la soutient financièrement.
Ce lundi, d'un seul coup, c'est le coup de théâtre: l'armée annonce qu'elle met fin à sa collaboration avec la Patrouille. À partir de 2024, celle-ci entend travailler avec une fondation à but non lucratif.
Une décision qui est principalement due à la persistance de Cleusix, qui se dit satisfait de l'issue de l'affaire. «Cela signifie qu'à l'avenir, il y aura de la transparence sur les dépenses, explique le Valaisan, et que la patrouille sera à nouveau au centre des enjeux, au lieu de l'argent.»
*Nom connu de la rédaction