Jeudi 11 janvier, le téléphone d'Alfred Heer sonne. Au bout du fil: Alain Berset. L'ancien conseiller fédéral souhaite devenir secrétaire général du Conseil de l'Europe, l'instance de protection de la Convention européenne des Droits de l'Homme. Quant à Alfred Heer, il vient d'être élu pour un mandat de deux ans à la tête de la délégation suisse de Strasbourg, composée de douze personnes.
Le Fribourgeois le sait, le soutien de ses propres compatriotes est absolument nécessaire s'il veut être élu en juin par les 306 membres de l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. Il doit donc en premier lieu gagner la confiance d'Alfred Heer. Ce dernier lui a immédiatement assuré son soutien après l'entretien. Il a donc mis la candidature d'Alain Berset à l'ordre du jour de la délégation suisse pour le 22 janvier. L'objectif est d'obtenir un soutien unanime pour le socialiste.
Les adversaires sont devenus des alliés
Interrogé à ce sujet, Alfred Heer, qui siège également au Conseil national pour l'UDC, se réjouit de la candidature de l'ancien ministre de la Santé: «Pour moi, il ne fait aucun doute que si un Suisse a la chance de représenter les 600 millions d'Européens dans le domaine des Droits de l'Homme, nous le soutiendrons, indépendamment de son appartenance politique.»
Adversaires dans l'arène politique à Berne, les deux hommes semblent donc devenir des alliés. L'époque où l'UDC sonnait la charge contre les péripéties privées d'Alain Berset, notamment son escapade tumultueuse en avion, semble remonter à une éternité. Dans les semaines et les mois à venir, Alfred Heer va plaider la cause de l'ex-magistrat auprès des différents groupes parlementaires.
Berset est-il vraiment apte?
Mais tous les acteurs de la politique suisse ne voient pas cette candidature d'un œil aussi bienveillant. La conseillère aux Etats du Centre Marianne Binder-Keller a exprimé en public son scepticisme à l'égard de Berset.
Elle a rappelé sur le portail d'information en ligne Nau les déclarations controversées du Fribourgeois sur la guerre en Ukraine, l'un des rares fait d'armes du ministre à avoir été applaudi par l'UDC. Le socialiste évoquait alors une «frénésie guerrière» de l'Occident en Ukraine. Binder-Keller remet ainsi ouvertement en question l'aptitude de Berset à devenir chef opérationnel du Conseil de l'Europe. Elle exige qu'il s'explique sur cette déclaration lors d'un entretien d'embauche.
Même son de cloche pour Gerhard Pfister. Sur X, le président du Centre indique ne pas être certain que la candidature d'Alain Berset soit «bien accueillie» au Conseil de l'Europe. Marianne Blinder-Keller n'en démord pas: selon elle, Berset «ressent manifestement moins l'ivresse de la guerre chez la Russie mais plutôt chez ceux qui veulent aider l'Ukraine à défendre son pays avec des armes».
Il faut dire que l'Argovienne a un rôle à jouer dans ce dossier puisqu'elle est la vice-présidente de la délégation suisse, et donc la suppléante d'Alfred Heer à Strasbourg. Celui-ci balaie les critiques: «On pollue le nid, regrette-t-il. Mme Binder-Keller doit sérieusement se demander si elle serait encore acceptable en tant que vice-présidente de notre délégation avec un vote contre un candidat suisse.»
Pas d'agenda secret
Reste que les chances d'Alain Berset d'accéder à un poste à 300'000 euros par an sont intactes. Le Belge Didier Reynders, commissaire européen à la Justice et l'Estonien Indrek Saar, ex-ministre de la Culture, sont ses principaux concurrents. Le personnage médiatique haut en couleur qu'est Alain Berset n'aura réussi à maintenir le calme autour de sa personne que pendant dix jours.
Il affirme que sa candidature a été planifiée à court terme et qu'elle n'est pas le résultat d'un agenda secret. Il n'aurait appris que récemment que l'actuelle secrétaire générale, la Croate Marija Pejcinovic Buric, ne se représentait pas pour le poste. L'annonce du Fribourgeois a néanmoins provoqué des froncements de sourcils à Berne. Ses précédentes déclarations selon lesquelles il aurait besoin d'une pause politique font rire jaune.
Des missions délicates
Si le Conseil des ministres du Conseil de l'Europe le nomme et qu'il est élu en juin, Alain Berset sera responsable du respect des décisions prises par l'assemblée plénière de Strasbourg. Des missions délicates en matière de Droits de l'Homme l'attendraient, telles que des voyages à Ankara, Bakou ou encore Kiev. Une position que beaucoup ont de la peine à imaginer sous la Coupole. Mais l'ancien conseiller fédéral pourrait une fois encore surprendre.