Nouveau rebondissement dans l’affaire des «prix fantaisistes» des stations-service. Pour rappel, Blick avait révélé fin juillet que les automobilistes se font littéralement plumer lorsqu’ils effectuent le plein de diesel, tout particulièrement pendant la période des vacances d’été. Markus Gasser, le propriétaire d’une petite pompe indépendante dans le canton de Lucerne s’offusquait des marges exagérées qu’empochaient les grands groupes de stations-service; près de 40 centimes le litre.
Quelques jours à peine après la publication de cette enquête, vers la fin juillet, un e-mail part. L’expéditeur? Un employé d’une société commerciale de Zurich qui fait partie du groupe d’Avia, leader sur le marché suisse avec près de 600 stations-service. Le contenu reste bref: en nombre de signes, la signature le dépasse. Mais l’objet du courriel interpelle: «Correction du prix des pompes» («Säulenpreiskorrektur» dans l’original). Ces termes reviennent, soulignés, dans le corps du texte. Suit alors la recommandation de baisser «immédiatement» le prix de l’essence et du diesel. Deux centimes pour le premier carburant, trois pour le second.
Cette «correction» serait indépendante du prix d’achat des carburants. Elle est présentée comme une recommandation. Ce qui est plus problématique, c’est que celle-ci provient des importateurs d’huiles minérales. Ce message est destiné à un groupe d’acheteurs non identifiés; il s’agit d’un envoi groupé dont la portée s’étend au-delà des murs d’Avia. Cela réveille donc un sentiment de méfiance, et interroge: Existe-t-il des accords illégaux entre les différents distributeurs de carburants?
La Comco se penche sur la question
L’e-mail en question nous a été divulgué par un exploitant d’une station-service indépendante qui souhaite conserver l’anonymat. Comme le secteur est plutôt petit et que tout le monde se connaît, il vaut mieux ne pas se faire d’ennemi. Il serait particulièrement risqué de se mettre le numéro un en Suisse à dos. «Des e-mails comme celui-ci arrivent continuellement», explique cet exploitant. Il observe cette étrange collusion et s’interroge de l’inaction des autorités à Berne.
En réalité, la Commission de la concurrence (Comco) se penche sur la question depuis plusieurs années. Après la publication du rapport de Blick en juillet, elle y accorde une attention toute particulière. «Nous surveillons le marché des carburants et nous avons reçu à plusieurs reprises des indications concernant d’éventuels accords sur les prix», détaille Patrik Ducrey, le directeur de la Comco. À l’époque, le prix du diesel était au cœur de discussion. «L’uniformité des prix n’est pas nécessairement le résultat d’une collusion, elle peut aussi être le résultat de la concurrence», avance-t-il.
Une formulation «malheureuse»
Le courriel peut-il donc être considéré comme la preuve d’une tentative de collusion illégale? Le vice-directeur au secrétariat de la Comco, Olivier Schaller, s’est penché sur la question à notre demande. Il conclut qu’il n’y a «aucune indication suffisante d’un comportement suspect en regard de la loi sur les cartels». Il a déclaré qu’il s’abstiendra de mener une enquête plus approfondie «dans cette affaire».
Olivier Schaller justifie son jugement en expliquant que cette «recommandation» concernant l’ajustement des prix a été élaborée «sur la base de l’évolution actuelle du prix du pétrole brut au sein les bourses internationales de matières premières». «De telles informations pourraient en principe avoir un effet positif sur la transparence du marché», déclare le gendarme de la concurrence.
Comment se positionne l’entreprise à la source du courriel problématique, depuis sa position privilégiée au sein du cercle d’influence de la toute-puissante Avia? Contactée par Blick, la société fait marche arrière. Cette «recommandation» était purement informative, non contraignante, une forme de suivi pour les clients.
L’e-mail a été envoyé à une vingtaine d’exploitants de stations-service, et ne reflète en aucun cas la position d’Avia, affirme la société commerciale. Le choix des mots, affirme une personne responsable, était «inadapté». Il promet de s’améliorer et affirme que certaines personnes ne sont pas conscientes de la sensibilité du sujet.