Quelques heures avant le réveillon de Noël, l'Assemblée générale de l'ONU s'est offert un beau cadeau: elle a adopté à New York la Convention contre la cybercriminalité. Ce texte vise à renforcer la surveillance des infractions numériques des pays signataires et à partager des données avec d'autres Etats, si nécessaire.
Si la Chine et la Russie font partie des forces motrices de la convention, la Suisse, de son côté, l'a également soutenue. La Confédération pourrait donc être amenée à collaborer avec des Etats autoritaires, moins respectueux des libertés individuelles, notamment en matière de gestion des données numériques, et ça ne plaît pas à tout le monde.
Des avis divergents
«La convention définit des méthodes de surveillance qui n'existent pas encore en Suisse», déclare Pascal Fouquet, vice-président du Parti Pirate de Berne. L'expert craint par exemple que la Suisse se réfère à la convention pour introduire de nouvelles mesures et augmenter les peines. Selon le vice-président, la Convention de Budapest ou l'accord du Conseil de l'Europe sur la cybercriminalité, a déjà servi de modèle à de nombreux pays pour leur propre législation sur la cybersécurité.
Outre le Parti Pirate, de nombreuses organisations internationales de défense des droits de l'homme, comme Human Rights Watch, l'Electronic Frontier Foundation ou Amnesty International, portent un regard critique sur la convention de l'ONU. Le groupe technologique Microsoft met également en garde contre d'éventuelles violations des droits fondamentaux.
Une collaboration à relativiser
La délégation suisse à l'ONU considère tout de même la convention comme un succès. Un échange de données sera possible seulement si les mêmes infractions sont commises dans les deux pays. En plus, la coopération avec d'autres Etats pourrait être refusée si elle menace des droits fondamentaux, notamment la protection des droits de l’homme. C’est pourquoi la Suisse a finalement soutenu le consensus pour l’adoption de la convention, comme l’a précisé le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE).
Les défenseurs de la convention soulignent que plusieurs des instruments qu’elle prévoit de mettre en place existent déjà, notamment en Suisse. Cela démontre toutefois que la surveillance numérique est déjà bien ancrée. Une enquête du média Republik avait d'ailleurs révélé l’an dernier que le service de renseignement suisse surveillait une grande partie des activités du réseau national.
Le Parlement suisse, quant à lui, attend de voir: cette semaine, la Commission des affaires juridiques du Conseil des Etats (CAJ-E) a suspendu le traitement d'une motion de l'ancienne conseillère nationale GLP Judith Bellaïche, qui souhaite mettre un terme au «chat control» ou «contrôle des conversations». L'UE devrait d'abord se prononcer, écrit la Commission dans un communiqué.
La Confédération évalue l’adoption
«Cette évolution est dangereuse», déclare Pascal Fouquet. Il soutient que la Suisse pourrait désormais, par le biais de la convention de l'ONU et malgré les clauses insérées, servir de caution à certaines opinions exprimées. «Chez nous aussi, l'insulte à un chef d'Etat étranger est déjà punissable», rappelle-t-il.
Cette convention deviendra un droit international contraignant dès que 40 pays l'auront ratifiée. Reste à savoir si et quand le Conseil fédéral répondra à l'appel des Nations unies. Le DFAE indique que les autorités fédérales compétentes analyseront en détail le texte en question et soumettront une proposition pour la suite de la procédure. La balle sera ensuite dans le camp du Parlement.