L'affaire risque bien de faire tiquer les contribuables genevois. Une enquête rocambolesque a récemment conduit le Ministère public du bout du Léman à dépenser 16'950 francs pour retrouver des activistes... qu'il avait déjà sous le nez.
Tout commence par une série de «marquages au sol», soit des fausses pistes cyclables tracées à la peinture, en février 2023. Des activistes d'Extinction Rebellion mènent trois actions la même semaine: une première dans la ville de Vernier, deux à Genève.
Deux personnes interpellées
La troisième fois, le porte-parole genevois du mouvement et une autre personne sont arrêtés. La Ville de Genève porte plainte, l'affaire est instruite par une procureure et se règle par un accord. Mais le canton porte plainte contre Extinction Rebellion pour dommage à la propriété. C'est là que démarrent les investigations.
Certes, les personnes interpellées l'ont été dans le cadre d'une procédure de la Commune. Mais les actions de marquage font partie d'une même série. Le procureur Walther Cimino ordonne tout de même des actes d'enquête coûteux.
ADN analysé à Lausanne
Dans le rapport de police que Blick a pu consulter, on trouve ainsi des factures se montant à 14'400 francs pour des «prestations de télécommunication», soit la surveillance des appels de plusieurs membres du mouvement écologiste. Une pratique qui fait largement débat dans ce contexte.
Étonnant également, des «analyses ADN de traces biologiques», commandées au Centre hospitalier universitaire vaudois. Déjà, pourquoi ne pas adresser la demande au centre genevois? Mais surtout, quel est le sens d’une recherche ADN, sur un spray de peinture ou des gants, pour un dommage de cette ampleur?
Enquête plus chère que le dommage
En effet, la Ville de Genève a chiffré à moins de 2000 francs les dégâts occasionnés par les deux actions du groupe sur ses routes. Le canton, lui, à 8899 francs — dans l'éventualité où toute la voie aurait dû être refaite, indique une source.
C'est presque deux fois moins que ce qu'ont coûté les investigations, auxquelles s'ajoutent 200 francs de «note de frais pour analyse informatique». La disproportion des moyens soulève plusieurs questions.
Pas autant d'effort pour une tentative de meurtre
Quel est le sens d'allouer ces ressources pour rechercher des individus ayant commis un dommage à la propriété? «J'ai plaidé dans des affaires de tentatives de meurtre lors desquelles le procureur n'avait pas demandé la moitié de ces actes d'enquête», confie un avocat genevois.
Une avocate vaudoise partage son expérience de la justice du bout du Léman. «Dans le cadre d'une procédure pour viol, je n'ai pas eu de nouvelles du procureur qui instruisait pendant une année», tonne-t-elle.
Le but était-il de partir à la chasse à l'activiste? La pratique, illégale, est-elle cautionnée par l'État? Vu les moyens financiers et humains alloués à cette enquête, la répression des actes liés à l’activisme climatique fait-elle partie des grands axes de la lutte contre la criminalité dans le canton?
Le grand silence
Le ton est donné à Genève, ou plutôt, il ne l'est pas, puisque personne ne peut répondre à ces questions. Le Département des institutions, chapeauté par la socialiste Carole-Anne Kast, renvoie au Ministère public, en raison de la séparation des pouvoirs.
Ce dernier fournit une réponse édifiante: «Le Ministère public n'entend pas commenter la manière dont il instruit ses procédures.» Personne donc pour débattre des éventuels abus d'un procureur lors d'une enquête?
Non. Le Conseil de la magistrature est responsable, notamment, de la discipline des juges et procureurs. Il s'assure que les magistrats respectent les principes d'impartialité et d'intégrité. Mais pas question de mettre le nez dans la manière dont sont menées les instructions.
Un violeur ou des militants?
Les pouvoirs législatifs et exécutifs n'ont pas non plus le droit de commenter l'activité juridictionnelle du Ministère public. «En allemand, le procureur, c'est le Staatsanwalt, l'avocat de l'État, rappelle la femme de loi vaudoise. Nous avons perdu ce sens en français.»
Outre la question financière, c'est l'absence de débat public qui étonne. «Quand on nantit une autorité des pouvoirs régaliens de l'État, on doit pouvoir discuter sur la place publique de l'orientation qu'on veut donner à cette force, poursuit l'avocate. Qu'est-ce qu'on veut prioriser? Est-ce que vous préférez que la police mette toute son énergie pour arrêter le violeur de votre fille ou un étudiant qui a fait un trait de peinture parterre?»