L’UDC veut frapper fort contre les «activistes colleurs». Le parti envisage des mesures allant d’amendes sévères jusqu’à des peines de prison pour «ramener les désobéissants à la raison», a annoncé le conseiller national Mauro Tuena, il y a une dizaine de jours.
Pour le Zurichois, la police devrait également pouvoir placer les activistes en garde à vue de plusieurs jours, même sans jugement, «afin d’empêcher la commission ou la poursuite imminente d’une infraction administrative d’importance majeure pour la collectivité ou d’un délit». Il faut, selon le politicien UDC, agir avant que des cas tels que le blocage d’un véhicule de secours en Allemagne ne se passent chez nous.
Anaïs Tilquin, 30 ans, est activiste climatique depuis plusieurs années. La Biennoise a abandonné son poste de post-doctorante en écologie évolutive à l’EPFZ pour se consacrer à la cause. Après s’être impliquée dans le mouvement Extinction Rebellion, elle œuvre désormais pour Renovate Switzerland.
En plus de coller sa main début septembre au cadre du «Maloja en hiver» de Giovanni Giacometti, au Musée cantonal des Beaux-Arts à Lausanne, Anaïs Tilquin a aussi participé à des actions du même genre sur des (auto) routes du pays, derrière les barrières de Renovate Switzerland.
L’activiste reconnaît que «la résistance civile n’est pas un concours de popularité», mais elle ne voit pas d’alternative pour mettre la pression sur le gouvernement suisse. Selon elle, «faire croire aux gens qu’on avance dans la bonne direction est une trahison totale». Son organisation compte «continuer à bloquer des autoroutes jusqu’à ce que les activistes gagnent», promet-elle à Blick.
Se coller la main sur le goudron, est-ce la seule façon de sauver la planète?
Une cinquantaine de personnes ordinaires, de toutes les tranches d’âge, ont été convaincues d’aller se coller à des autoroutes. Rien d’autre ne fonctionne – les marches, les pétitions, les initiatives qui prennent dix ans à aboutir. Alors oui, il y a beaucoup de monde qui se dit que ça vaut le coup d’aller se coller une main sur le goudron.
Mais ces blocages vont-ils vraiment changer les mentalités?
On n’est pas là juste pour dénoncer, mais pour obtenir la rénovation du million de passoires thermiques de Suisse. Et on compte continuer à bloquer des autoroutes avec toujours plus de gens et toujours plus longtemps jusqu’à ce qu’on gagne. A un moment, le gouvernement ne pourra plus justifier de ne pas prendre cette mesure, mais de jeter en prison des centaines de citoyens qui bloquent des routes pacifiquement.
Pour le président des Verts, il faudrait plutôt utiliser ses mains pour aller voter que se les coller sur le goudron. Le parti se distancie de votre cause.
C’est sûr qu’on ne joue pas la même stratégie que les personnes qui sont impliquées en politique électorale. La résistance civile n’est pas un concours de popularité. Une illustration: Martin Luther King est un saint pour tout le monde. A l’époque, il était l’homme le plus détesté des Etats-Unis, jusqu’à ce que l’histoire le réhabilite. La résistance civile non-violente, c’est prendre un conflit que personne n’a envie de regarder et de forcer les gens à le voir et à prendre position.
Vous parlez de Martin Luther King. On se rappelle surtout des mouvements qui ont provoqué un changement. Mais beaucoup n’ont pas marché.
Oui, bien sûr. Il n’y a pas de formules magiques. Il y a de fortes chances qu’on échoue, parce que la montagne de merde dans laquelle nous nous trouvons est considérable. Pour moi, cette campagne est la meilleure chance qu’on ait.
Entre l’inflation, la pandémie et la crise énergétique, les Suisses ont déjà beaucoup de problèmes. Pourquoi provoquer de nouvelles difficultés?
C’est terrible qu’il faille en arriver là. Les crises que nous sommes en train de vivre sont liées. Cet hiver, les prix de l’énergie vont être très élevés. Nous aurons peut-être même des pénuries. Tout ça, c’est parce que nous sommes encore dépendants des énergies fossiles. C’est la même incompétence du gouvernement qui est à la source de tous ces problèmes.
Mais énerver les Suisses, ça ne dessert pas votre cause?
Ce n’est pas contre-productif. La personne qui entre dans un théâtre en feu en gueulant «arrêtez tout, il faut sortir», elle n’est pas populaire. Pour moi, c’est une forme d’honnêteté radicale de descendre dans l’espace public pour interrompre mes concitoyens et leur dire: «Il y a un problème, il faut que vous vous en empariez.» Je suis prête à être détestée si ça permet de sauver le climat.
Certains automobilistes sont très irrités. Début octobre à Berne, un camion a forcé le passage lors d’un blocage. Heureusement, personne n’a été blessé. Cela vous effraie?
Non. Ma plus grande peur, c’est ce qui va advenir si on continue sur la même voie. J’ai peur des famines mondiales. J’ai peur de l’assèchement des fleuves. J’ai peur qu’il n’y ait déjà plus de bouffe. J’ai peur pour mon neveu qui vient de naître. J’ai aussi peur de ne pas pouvoir me regarder en face dans quelques années. C’est écrit noir sur blanc dans le rapport du GIEC: la fenêtre temporelle pour sauver ce qui peut encore l’être est en train de se refermer.
Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) soulignent que les changements climatiques récents sont généralisés et qu'ils s'intensifient. Ce phénomène est sans précédent et du fait de l'être humain. Voici les points clés de ce rapport long de quelque 2800 pages:
- Si les émissions de gaz à effet de serre ne sont pas sensiblement réduites d'ici à 2030, l'objectif de 1,5°C sera «hors de portée». Mais les politiques actuelles ouvrent la voie à un réchauffement de 3,2°C d'ici à la fin du siècle.
- Si tous les gisements de pétrole, de gaz et de charbon actuellement en service sont exploités jusqu'à leur terme sans technologie de capture carbone, il sera impossible de tenir +1,5°C.
- Le basculement vers l'énergie moins carbonée ne doit pas faire passer au second plan les transformations structurelles – mobilités douces, véhicules électriques, télétravail, isolation des bâtiments, moins de vols en avion – qui permettraient de réduire les émissions de 40% à 70% d'ici à 2050.
- Les fuites dans la production d'énergies fossiles (par les puits ou les gazoducs) représentaient environ un tiers des émissions de méthane en 2019. L'élevage animal est également une source importante.
- Même dans les meilleurs scénarios, la baisse des émissions devra s'accompagner de la mise en œuvre de techniques d'élimination du dioxyde de carbone (EDC), ou «émissions négatives», pour atteindre la neutralité carbone.
- Tenir l'objectif de +1,5°C nécessitera des investissements de 2300 milliards de dollars par an entre 2023 et 2052, rien que pour le secteur de l'électricité. Le chiffre tombe à 1700 milliards pour +2°C.
- Ces estimations de (dé)croissance ne prennent toutefois pas en compte les gains prévisibles, conséquences de l'évitement de catastrophes climatiques, de crises alimentaires ou de l'effondrement des écosystèmes.
Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) soulignent que les changements climatiques récents sont généralisés et qu'ils s'intensifient. Ce phénomène est sans précédent et du fait de l'être humain. Voici les points clés de ce rapport long de quelque 2800 pages:
- Si les émissions de gaz à effet de serre ne sont pas sensiblement réduites d'ici à 2030, l'objectif de 1,5°C sera «hors de portée». Mais les politiques actuelles ouvrent la voie à un réchauffement de 3,2°C d'ici à la fin du siècle.
- Si tous les gisements de pétrole, de gaz et de charbon actuellement en service sont exploités jusqu'à leur terme sans technologie de capture carbone, il sera impossible de tenir +1,5°C.
- Le basculement vers l'énergie moins carbonée ne doit pas faire passer au second plan les transformations structurelles – mobilités douces, véhicules électriques, télétravail, isolation des bâtiments, moins de vols en avion – qui permettraient de réduire les émissions de 40% à 70% d'ici à 2050.
- Les fuites dans la production d'énergies fossiles (par les puits ou les gazoducs) représentaient environ un tiers des émissions de méthane en 2019. L'élevage animal est également une source importante.
- Même dans les meilleurs scénarios, la baisse des émissions devra s'accompagner de la mise en œuvre de techniques d'élimination du dioxyde de carbone (EDC), ou «émissions négatives», pour atteindre la neutralité carbone.
- Tenir l'objectif de +1,5°C nécessitera des investissements de 2300 milliards de dollars par an entre 2023 et 2052, rien que pour le secteur de l'électricité. Le chiffre tombe à 1700 milliards pour +2°C.
- Ces estimations de (dé)croissance ne prennent toutefois pas en compte les gains prévisibles, conséquences de l'évitement de catastrophes climatiques, de crises alimentaires ou de l'effondrement des écosystèmes.
En Allemagne, un véhicule des secours a été ralenti par un blocage d’activistes climatiques alors qu’il intervenait sur un accident grave. Même si la médecin urgentiste a confirmé que cela n’a pas influencé la prise en charge de la victime, l’incident a créé la controverse.
Pour moi, le fait que cette histoire ait été reprise par pleins de médias est une question idéologique. Parce que des bouchons, il y en a tout le temps partout, pour plein de raisons. Pourtant, on n’écrit pas d’articles dessus, même si un véhicule d’urgence a été ralenti. Ces articles sont dangereux parce qu’ils sèment la peur dans l’esprit de la population.
Mais concrètement, si une ambulance doit passer lors d’un blocage en Suisse, que se passe-t-il?
Nous avons un protocole très strict. Du moment où on établit un blocage, on appelle immédiatement les secours pour les prévenir. Ainsi, ils peuvent choisir un autre parcours. Ensuite, on lève immédiatement le blocage dès qu’un véhicule d’urgence avec sirène approche. Il y a toujours une voie où il n’y a personne de collé. Si les automobilistes ne s’écartent pas – comme ils le devraient selon le code de la route – ce n’est pas de notre ressort.
Un activiste s’est moqué de cet incident en Allemagne. Dans un tweet, supprimé depuis, il a écrit: «Nous luttons pour le climat, il ne s’agit pas de câlins climatiques. Shit happens.»
Pour moi, le terme de «moquerie» n’est pas approprié. Il y a un risque pour tout événement public qui comprend une foule, malgré toutes les précautions que l’on peut prendre. Les actions engagées, comme les nôtres, entrent aussi dans cette catégorie. La médiatisation de ce tweet est une façon malhonnête de disqualifier tout type de protestation.
L’UDC a notamment utilisé cet incident pour prôner un catalogue de mesures contre les activistes climatiques: amendes sévères, peines de prison, garde à vue sans jugement, paiement de dommages et intérêts, pleins pouvoirs pour la police…
J’ai l’impression que l’UDC s’imagine que s’asseoir sur les routes est actuellement une partie de plaisir sans conséquences pour nous. Grosso modo, ces choses arrivent déjà. Plusieurs activistes de Renovate Switzerland ont déjà fait plus d’une trentaine d’heures de garde à vue, rien que ce mois-ci. La répression a toujours été là de manière latente, mais personne n’essayait de franchir la limite. Aujourd’hui, des citoyens sont en train d’essayer de faire valoir leurs droits de manière plus forte.
Craignez-vous que la Confédération suive les recommandations de l’UDC?
Nous ne sommes pas là pour réagir à leur cirque. Notre exigence reste la rénovation des bâtiments. Nous nous préparons à retourner sur les routes – et nous n’en partirons que quand le Conseil fédéral proposera un plan pour rénover le million de passoires du pays.
Depuis plusieurs années, il y a de plus en plus d’actions organisées par des activistes du climat. Mais en 2021, la loi sur le CO2 a été refusée. Vous ne voyez pas une corrélation?
Le rejet de la loi sur le CO2 montre que, d’une façon générale, la population ne se rend pas compte que nous sommes en train de tout perdre.
La majorité de population n’est-elle pas à même de prendre les meilleures décisions en ce qui la concerne?
Nous sommes en train de nous diriger vers un suicide qu’on peut qualifier de «démocratique». C’est une trahison totale de faire croire aux gens qu’on avance dans la bonne direction alors qu’on est en train de tout perdre. La vraie question, c’est combien de milliards de morts sommes-nous prêts à accepter?
Selon vous, la population ne veut pas regarder la réalité en face?
C’est très difficile. Les gens, pris dans leur quotidien, ont du mal à le faire. C’est normal. Donc créer des crises avant LA crise, comme ce que nous faisons, est une façon de forcer la population à sortir la tête du guidon et à se poser des questions.
La Suisse n’a qu’un impact modéré. Pourquoi ne pas lutter en Chine ou en Russie, là où la pollution est plus importante?
D’abord, c’est la responsabilité historique de notre pays qui pollue depuis très longtemps. Ensuite, les émissions par habitant sont très élevées. C’est aussi chez nous que se trouve l’une des premières places financières des énergies fossiles. Mais prenons le problème autrement: n’a-t-on pas d’honneur en Suisse? Nous vivons dans un des pays les plus riches et les plus stables. Va-t-on juste se satisfaire de ne pas être le dernier de classe pendant que la planète brûle?
Bloquer des routes, c’est risquer des poursuites pénales. Est-ce un objectif d’avoir des procès très médiatisés?
Ce n’est pas notre stratégie. Nous, nous bloquons des autoroutes. Nous n’allons pas investir du temps et de l’argent dans des procès à rallonge. L’Histoire nous acquittera, ou alors il n’y aura pas d’Histoire.