Dimanche, le président du Centre Gerhard Pfister a accusé le gouvernement de «non-assistance à l’Ukraine». En cause: le fait que le Secrétariat d’État à l’économie (SECO) a interdit à l’Allemagne de transmettre à l’Ukraine des munitions de fabrication suisse en invoquant la stricte loi sur le matériel de guerre.
Or le Centre attend du Conseil fédéral qu’il prenne position. C’est ce que l’on entend dans l’entourage de la direction du parti. Au sein de ce dernier, on estime que la Suisse ne peut pas rester constamment à l’écart et se cacher derrière sa neutralité.
La défense de l’Occident concerne aussi la Suisse
Le chef du groupe parlementaire Philipp Matthias Bregy soutient son président de parti: «L’Occident est actuellement défendu en Ukraine, la Suisse y compris.» Il s’agit donc bien de nos intérêts nationaux, estime-t-il. D’un point de vue juridique, cela donne au Conseil fédéral la possibilité de contourner la loi sur le matériel de guerre par le biais de la Constitution fédérale et d’autoriser des livraisons de composants d’armes suisses par d’autres États.
«Il s’agit d’une décision politique», a poursuivi Philipp Matthias Bregy: le Conseil fédéral peut permettre à l’Allemagne d’effectuer des livraisons en Ukraine s’il le souhaite. «Au vu de cette situation exceptionnelle, j’attends du Conseil fédéral qu’il examine au moins en détail de telles possibilités et qu’il justifie ensuite clairement sa décision», a sommé le chef du groupe parlementaire.
La parlementaire centriste et juriste Elisabeth Schneider-Schneiter souhaite également lancer une discussion sur les exportations d’armes: «Il est justifié d’exporter du matériel de guerre si cela sert notre sécurité.» Elle soutient qu'il faut désormais tout mettre en œuvre pour défendre les valeurs suisses.
«Je trouve cela tout à fait insupportable!»
Même Martin Landolt, qui s’était battu en première ligne pour l’initiative correctrice qui vise à imposer des règles plus strictes en matière d’exportation de matériel de guerre, défend cette position. L’ancien président du parti bourgeois démocratique (PBD) et actuel conseiller national du Centre est convaincu que, malgré la loi sur le matériel de guerre, les livraisons indirectes sont juridiquement possibles, dans la mesure où il n’y a pas de risque que ce matériel soit transmis à un destinataire indésirable. «Je ne comprends pas ce qu’il y a d''indésirable' actuellement en ce qui concerne l’Ukraine», pointe le conseiller national.
De toute façon, le Conseil fédéral peut aussi faire valoir les circonstances extraordinaires prévues à cet effet par la loi sur le matériel de guerre. «Il est donc incompréhensible que ce soit justement le SECO qui se montre maintenant réticent alors qu'il exporte par ailleurs des armes dans tous les pays, estime Martin Landolt. Je trouve cela tout à fait insupportable!»
Les avis ne sont toutefois pas unanimes au sein du Centre. «Nous venons de renforcer la loi sur le matériel de guerre. Cette loi est en vigueur et nous devons nous y tenir», objecte le conseiller national Martin Candinas. Certes, le Conseil fédéral peut tout à fait prendre une autre décision sur la base de la Constitution fédérale sans l’accord du Parlement. «Mais je pense qu’il a raison de ne pas le faire. Les lois sont valables dans les bons comme dans les mauvais moments», ajoute le Grison.
Le parti est déchiré
La conseillère aux États Andrea Gmür ou le conseiller national Lorenz Hess sont également de cet avis. «Pour moi, le souhait de Gerhard Pfister est plus que compréhensible, commente le Bernois. La plupart d’entre nous partagent le sentiment qu’il faut aider l’Ukraine.» Le Parlement vient toutefois de renforcer l’exportation de matériel de guerre, souligne Lorenz Hess: «La livraison de munitions à l’Ukraine n’est tout simplement pas envisageable.» Elle serait également difficilement conciliable avec la neutralité de la Suisse, fait remarquer Andrea Gmür.
C’est également la conclusion de Jörg Künzli. Le professeur de droit public et de droit international public de l’université de Berne estime qu’il est, certes, juridiquement possible que le Conseil fédéral passe outre la loi sur le matériel de guerre en se basant sur la Constitution. Mais la livraison unilatérale à un État belligérant est contraire au droit de la neutralité. «Si l’on fait cela une fois, la neutralité telle que la Suisse la conçoit n’existe plus», prévient le professeur bernois.
(Adaptation par Louise Maksimovic)