De l’autre côté de l’écran, Jean-Pascal Aribot paraît soulagé. Ce mercredi, lors d’une entrevue virtuelle accordée à Blick, le patron d’Uber en Suisse fait défiler — en exclusivité — le document qui lui donne le sourire. Une lettre du Département genevois de l’économie et de l’emploi (DEE), datée du 8 septembre 2023: l’entreprise californienne vient d’être autorisée à exercer en tant que diffuseur de course pour les voitures de transport avec chauffeur (VTC) et les taxis.
Cette double approbation officielle intervient après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi sur les VTC et les taxis le 1ᵉʳ novembre 2022. Jusqu’ici, Uber et la concurrence n’avaient qu’à s’annoncer. Les plateformes ou les centrales téléphoniques — 19 au total à Genève — servant d’intermédiaire entre un client et un conducteur disposaient de six mois pour déposer un dossier. Les entreprises de transport ont encore jusqu’à fin octobre.
«Avec la levée définitive de l’interruption d’opérer validée par le DEE le 31 mars dernier et l’obtention des licences VTC et taxi le 8 septembre dernier, le passé et le présent sont désormais clarifiés pour Uber à Genève», se réjouit le directeur. Aux yeux de ce diplômé de l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), Uber a su démontrer être un «partenaire fiable, qui tient ses engagements». Le Canton de Vaud lui avait déjà délivré une telle autorisation en 2020.
Chauffeurs sous la responsabilité d’une autre entreprise
Commencée en 2014, l’aventure d’Uber à Genève s’était corsée le 30 mai 2022, après des années de controverses et de rebondissements sur fond de revendications syndicales. Ce jour-là, le Tribunal fédéral avait tranché en faveur du Canton: les chauffeurs Uber sont des salariés, et non des indépendants comme le martelait jusque-là la firme.
Résultat, pour éviter d’être bannie du bout du Léman, la société américaine avait dû revoir sa copie pour trouver un accord avec l’ex-conseillère d’Etat verte Fabienne Fischer et se mettre en conformité avec le droit. Uber avait promis de verser près de 20 millions — en cotisations sociales et en indemnités individuelles — en faveur des chauffeurs «pour régler le passé».
Mais surtout, dès le 17 juin 2022, c’est une autre entreprise, MITC Mobility, qui a repris et régularisé quelque 400 pilotes Uber (sur un total de plus de 1000, selon le décompte de la République) en leur offrant un contrat de travail. «Les PME locales indépendantes avec lesquelles nous travaillons à Genève (MITC Mobility et Chaskis Rides) emploient des chauffeurs professionnels conformément à toutes les exigences locales, y compris le salaire minimum genevois, les prestations de sécurité sociale, les remboursements des frais, etc.», appuie Jean-Pascal Aribot.
Procédures judiciaires en cours
Mais ce n’est pas pour autant que l’avenir d’Uber à Genève est assuré. Le nouveau modèle de fonctionnement n’est pas — non plus — conforme au droit suisse, estiment les autorités. Conséquence: l’Etat a interdit à MITC et Chaskis — qui réunit les livreurs Uber Eats — de poursuivre leurs activités. Toutefois, les procédures judiciaires en cours ont un effet suspensif, mais ne sont pas anodines. La décision à venir du Tribunal cantonal genevois pourrait sonner la fin d'Uber en Suisse, notait la RTS.
À lire aussi
Uber précise que ces litiges concernent «uniquement ces deux partenaires indépendants». Contacté, le DEE, désormais dirigé par la centriste Delphine Bachmann au sein d'un gouvernement passé à droite, ne commente pas les procédures en cours.
Comme l’explique notamment le magazine économique «Bilan», l’Office cantonal de l’emploi (OCE) soutient que MITC et Chaskis font de la location de service. En clair, que ces deux boîtes louent des chauffeurs et des livreurs à Uber. Et qu’il y a un lien de subordination entre Uber et ces deux sociétés.
«Tout n’est que montage»
Avocat des taxis, pires ennemis d’Uber, Jacques Roulet parle d’un «micmac assez fabuleux». «Avec Uber, tout n’est que montage, déplore l’homme de loi, joint par Blick. Derrière MITC, c’est Uber qui gère l’appli. C’est l’appli qui distribue le travail aux chauffeurs. Et le salaire des chauffeurs est déterminé à travers l’appli. En outre, j’ai de la peine à croire que, vu les tarifs pratiqués, MITC puisse payer le temps d’attente, par exemple.»
Le ton est similaire du côté des syndicats. Ici aussi, on considère qu'Uber devrait être considéré comme le véritable employeur des chauffeurs. «Ce n’est qu’un déguisement, tacle Anne Fritz, qui suit le dossier depuis juin 2022 pour le SIT. Et, dans les faits, les chauffeurs continuent de vivre dans l’insécurité et aucun revenu fixe ne leur est assuré. D’autre part, les fiches de salaire sont peu claires et tous les frais professionnels — l’usure du véhicule appartenant aux chauffeurs, l’essence, le téléphone, le leasing, etc. — ne semblent pas couverts.»
«Allégations totalement fausses»
Des lectures fermement contestées par MITC. «Nous sommes seuls employeurs de nos chauffeurs et seuls responsables […]. Uber est un outil de travail que MITC Mobility et ses chauffeurs utilisent, rien de plus, écrit sa direction dans un e-mail adressé à Blick. La société Uber n’est pas donneuse d’ordre et sa plateforme n’a pour vocation que de distribuer les courses à nos chauffeurs.»
Quid des allégations concernant le non-paiement du temps d’attente ou des frais professionnels? «Totalement fausses, répond MITC. Nous avons plus de 450 chauffeurs qui font leur travail quotidiennement, paient leurs charges, leurs impôts et MITC Mobility paie la part patronale ainsi que la TVA.» Et puis, cette attaque frontale: «Le SIT ne s’est jusqu’à présent pas donné la peine, malgré nos différentes ouvertures, de connaitre MITC Mobility et son fonctionnement. Il se base sur les commentaires des réseaux sociaux ou de certains chauffeurs ayant mal vécu le transfert (ndlr: d'Uber à MITC).»