«Ce n’est pas une prérogative genevoise: c’est pareil en France. Tout le monde s’engueule sur la laïcité, sans véritablement poser le problème de la définition commune — inexistante — sur la table. L'on ne sait même pas de quoi on parle!», s'indigne Mario, 25 ans, qui a souhaité rester anonyme. Il est étudiant en Lettres à l'Université de Genève (UNIGE). Le débat sur les salles de prière à l'uni, ça fait deux ans qu'il en entend parler.
Et pour cause: faute d'espace spécialement prévu à cet effet, les étudiants musulmans de l’UNIGE prient dans la cage d’escalier. La polémique a été relancée le 21 avril, à la suite d’une tribune parue dans la revue estudiantine «Topo»: Kaouthar Najim, l'autrice, y témoigne du quotidien de ces élèves, déplorant un climat de plus en plus hostile à leur pratique, clandestine. Elle y demande une réaction de la part du rectorat, comme le relate «Le Temps».
La jeune femme dénonce notamment: «Les tapis de prière laissés dans un coin de cet espace ont été volés plusieurs fois au cours des derniers mois. À trois reprises, nous avons eu la mauvaise surprise de ne plus les trouver et de devoir par conséquent se prosterner sur un sol sale.»
L'idée d'une «salle de méditation»
Parallèlement, une pétition forte de 3000 signatures plaide pour la mise en place, à l’image de ce qui se fait dans d’autres universités en Suisse, d’une «salle de méditation» — un lieu multi-confessionnel où tous pourraient «se ressourcer et (…) profiter d’un lieu apaisant sur un plan spirituel», comme l’indique le texte. Rejetant fermement l'idée d'une salle de prière réservée aux musulmans, le rectorat s'est néanmoins montré ouvert à discuter d'un tel projet.
Problème: sur le papier, l'université interdit «toute activité cultuelle dans tous ses bâtiments», comme le souligne aussi le quotidien romand. Donc, si une «salle de méditation» voit le jour, va-t-on venir y vérifier qui prie ou qui médite? Ou s’agirait-il, plus sérieusement, d’un implicite pied-de-nez à un principe de laïcité genevois?
Laïcité quoi?
Dans un Etat laïque, selon la loi, «la liberté de conscience doit être garantie». Cette liberté est-elle possible s’il est interdit de prier dans certains endroits? «La vraie question est: quelle est la définition de la laïcité que l’université souhaite défendre?», rétorque Mario.
Car ce grand et vaste principe peut s’entendre et s’appliquer de façons différentes. Comme l’explique, dans la revue «Regards croisés sur l’économie», la chercheuse française Cécile Bonneau: «Deux visions principales de la laïcité semblent s’affronter: une laïcité en tant que principe juridique libéral (…), et une laïcité idéologique qui vise à imposer des valeurs à tous les citoyens du pays».
En d'autres termes, qu’il s’agisse de complètement gommer tout signe visible et toutes les pratiques religieuses, en interdisant par exemple le port du voile, ou au contraire d’autoriser toutes les pratiques au nom de la liberté, l’UNIGE hésite — et ça se voit. En clair, dans ses murs, les signes religieux sont autorisés, mais pas la prière, par exemple.
Mario y va de sa petite analyse. «De façon plus générale, j'ai l'impression qu'on a de la peine à être cohérents. Car il est vrai que si l’on veut interdire aux musulmans de prier dans les institutions publiques, il faudrait aussi arrêter d’y fêter Noël, par exemple, pour être vraiment justes.»
Autoriser, c'est encourager?
Mario n'en a jamais été le témoin direct, mais il ne serait pas choqué s'il voyait un camarade prier dans le couloir. «En revanche, je me poserais des questions sur la place qu’occupent les religions au sein de l’université. Qu’elle soit chrétienne ou musulmane, l’idée d’une salle de prière me dérange un peu.» Bien que, encore une fois, il ne lancerait jamais la pierre à qui prie en public.
Mettre en place des structures destinées aux cultes équivaudrait, aux yeux de Mario, à encourager ces derniers. «Car la croyance et la connaissance sont des choses très différentes, qu’il est bon de dissocier. L’université est censée prôner la connaissance et l’esprit critique. La connaissance est la raison d’être de l’université. Alors que la religion, qu’on le veuille ou non, sous certains aspects, reste une relique de l’obscurantisme des époques précédentes.» Mais il concède que, sur le plan pratique, «cela ne gênerait personne tant que ce n'est pas prosélytique, et silencieux».
Le temple rembarré
Un autre élément met Mario dans l'embarras: le temple protestant de Plainpalais, à quelques pas de là, a proposé à l’Association musulmane de l’Université de Genève d’accueillir les élèves souhaitant prier. Sans succès. «Beaucoup d’étudiants musulmans et chrétiens en recherche d’un lieu de prière ne se sentent pas à l’aise ni reconnus» par ce temple-ci, entre autres à cause de son orientation progressiste et LGBTQIA+ friendly, comme le rapporte un étudiant proche de l’association en question, cité par «Le Temps».
Pour Mario, c’est aussi là que le bât blesse: «Finalement, cette absence de salles de prière, est-ce vraiment un problème majeur? Le temple a ouvert ses portes aux musulmans de l’université, et ils ont fait la fine bouche, entre autres parce que des personnes homosexuelles fréquentent cette église.»