Dans sa course au Parlement avant les élections fédérales de cet automne, l’UDC mise sur la thématique de l’immigration: en juillet déjà, le parti a lancé une initiative sur la croissance démographique du pays, avec une revendication clé: «Pas de Suisse à 10 millions!» Il espère ainsi toucher une corde sensible au sein de la population qui s’inquiète de la pénurie de logements abordables. Le mantra du Parti socialiste (PS) et des Vert-e-s, selon lequel seules la «spéculation et la cupidité» des groupes immobiliers en sont responsables, ne convainc guère.
L’affirmation de l’UDC selon laquelle la Confédération est exposée à «l’afflux de plus de 180’000 personnes en une seule année» est trompeuse, car des dizaines de milliers de personnes quittent le pays durant la même période. Mais le fait que la population étrangère qui réside de manière permanente augmente est une réalité: en 2022, on parle de 81’345 personnes supplémentaires. Conséquence: au cours des 15 dernières années, la population totale est passée de 7,6 à 8,8 millions.
La Confédération justifie cette forte immigration par la «forte augmentation de la demande sur le marché du travail». Certes. Mais il ne faut pas oublier que la Suisse génère elle-même cette demande, du moins en partie. Jusqu’à aujourd’hui, la Confédération et les cantons mènent une politique qui vise à attirer toujours davantage d’entreprises, et donc d’emplois, en Suisse. Et ce avec le soutien actif de… l’UDC.
Les baisses d’impôts pour les entreprises
Le meilleur exemple: le sujet de la réduction des impôts pour les entreprises. L’ancien ministre des Finances et conseiller fédéral UDC Ueli Maurer en avait fait son cheval de bataille. En 2022, il a lancé un avertissement dans la «NZZ am Sonntag»: «L’avance de la Suisse au niveau de la concurrence fiscale fond, nous ne devons pas rester à la traîne.»
Les chiffres de la société de conseil KPMG donnent toutefois une autre image: en 2005, le taux moyen d’imposition des bénéfices dans les cantons s’élevait à 22%, en 2022, il n’était plus que de… 14,7%. Il y a 17 ans, une entreprise devait donc verser 22 millions au fisc sur un bénéfice de 100 millions de francs, contre 14,7 millions aujourd’hui, soit un tiers de moins. Et ce n’est pas tout: si une entreprise crée des emplois dans certaines régions grâce à un projet d’investissement, elle peut être partiellement ou même totalement exonérée d’impôts.
L’UDC soutient l’attractivité de la Suisse
Les promoteurs de cette politique clament haut et fort dans le monde entier les avantages de la place économique suisse. En première ligne: le conseiller fédéral UDC Guy Parmelin. Dans le «Guide de l’investisseur» de Switzerland Global Enterprise, l’organisation de promotion des exportations et des investissements, le ministre de l’Économie lance aux dirigeants de groupes internationaux: «Nous aimerions que votre entreprise fasse, elle aussi, partie de notre histoire à succès.»
Les arguments en faveur d’une implantation en Suisse fusent, comme par exemple sur le site internet de La Greater Zurich Area (GZA) qui fait la promotion de Glaris, des Grisons, de Schaffhouse, de Schwytz, de Soleure, de Tessin, d’Uri, de Zoug et de Zurich: disponibilité des talents, excellence sur système de formation, et l’accord sur la libre circulation des personnes avec l’Union européenne. Les entreprises sont ainsi rendues attentives, avant même leur arrivée, au fait qu’elles peuvent sans problème employer de la main-d’œuvre étrangère.
Et l’UDC soutient cette stratégie de communication. La preuve: les conseillers d’Etat Andreas Barraud, Marianne Lienhard et Dino Tamagni – trois membres éminents du parti – siègent au conseil de fondation de la GZA. N’est-il pas contradictoire que des représentants de l’UDC fassent activement la promotion du site et soutiennent des cadeaux fiscaux pour les entreprises, alors que le parti se plaint haut et fort d’une «explosion démographique»?
Magdalena Martullo-Blocher, responsable de la politique économique du parti, n’a aucun problème avec cette dichotomie. «A l’UDC, nous n’avons jamais été contre le fait que l’économie reçoive les spécialistes dont elle a besoin», écrit-elle en réponse à une question de Blick. Pour le parti, il s’agit bien plus d’appliquer le droit d’asile et d’empêcher l’immigration vers les institutions sociales.
Une argumentation qui présente des faiblesses
Le président du parti Marco Chiesa adopte la même position. Le Tessinois évoque lui aussi le prétendu «chaos de l’asile» et déplore que l’économie se plaigne d’un manque de main-d’œuvre qualifiée malgré une immigration record: «Il y a manifestement trop de personnes qui viennent en Suisse et ce sont les mauvaises. Nous devons changer cela.» Il rejette toutefois d’éventuelles adaptations de la politique d’implantation: «Nous ne devons certainement pas chasser encore plus d’entreprises prospères et de bons contribuables!»
La faiblesse de cette argumentation: les personnes qui fuient la guerre ou la pauvreté ne sont responsables que d’une partie relativement faible de l’immigration. En 2022, 24’511 demandes d’asile ont été déposées en Suisse, sans compter les Ukrainiens qui ont sollicité le statut de protection S. En revanche, la grande majorité des nouveaux arrivants viennent en Suisse pour des raisons professionnelles, généralement en provenance de pays de l’UE.
Déconnexion avec la réalité
L’UDC n’est-elle pas un peu déconnectée de la réalité lorsqu’elle affirme ne pas avoir de problème avec la main-d’œuvre qualifiée, mais seulement avec les «travailleurs bon marché, les familles venues en Suisse, les requérants d’asile et les parasites sociaux», selon les mots de Marco Chiesa?
Cette informaticienne hautement qualifiée n’a pas seulement besoin d’un logement en Suisse, mais elle fait aussi ses courses, va au restaurant, chez le médecin, chez le coiffeur et au centre de fitness. Il est illusoire de penser qu’elle est prête à laisser ses enfants dans son pays d’origine. Il est donc très probable qu’une femme de ménage et des baby-sitters s’y ajoutent aux personnes dont elle requiert les services. Bref, chaque spécialiste qui vient en Suisse crée des emplois moins qualifiés, pour lesquels on ne trouve bien souvent que des travailleurs étrangers.
Les étrangers super-riches ont des avantages
En dépit de cela, la Suisse déroule le tapis rouge fiscal à des particuliers sélectionnés de nationalité étrangère. La plupart des cantons proposent une imposition forfaitaire pour les riches étrangers qui ont leur domicile en Suisse, mais qui n’y exercent pas d’activité lucrative. Dans ce système, les super-riches sont imposés sur la base du coût de la vie plutôt que sur la base de leurs revenus et de leur fortune, comme le reste des habitants. En 2014, l’initiative «Pour en finir avec les privilèges fiscaux des millionnaires» a été rejetée en votation populaire nationale, conformément aux souhaits de l’UDC.
Les expatriés bénéficient également d’un traitement fiscal préférentiel. Ceux qui ont un contrat correspondant bénéficient d’allègements fiscaux dont la population locale, ainsi que les ouvriers du bâtiment, les soignants et le personnel de nettoyage étrangers ne peuvent que rêver. Sont par exemple déductibles les frais de déménagement en Suisse, les frais de logement en Suisse en cas de maintien d’un logement permanent à l’étranger et les frais d’enseignement dans des écoles privées de langue étrangère.
Le tout est limité à cinq ans. Mais ni l’Administration fédérale des contributions ni la Direction des finances du canton de Zurich ne savent combien d’expatriés bénéficient actuellement de tels privilèges fiscaux dans la plus grande ville de Suisse par exemple.
En 2014, deux motions du PS et des Vert-e-s ont demandé l’abolition des privilèges fiscaux pour les expatriés. Mais les partis bourgeois s’y sont opposés, l’UDC était même unanime. Il semblerait donc que pas un seul représentant du parti agrarien n’a de problème avec le fait que les expatriés bien payés soient mieux traités par le fisc que les citoyens suisses. Le «parti du peuple», vraiment?