Beat Röthlisberger connaît le métier. Le CEO de Postfinance a passé sa carrière à s'occuper de financements d'entreprises. D'abord à l'UBS, puis à la Banque cantonale de Bâle-Campagne. Depuis juillet 2024, il est à la tête de la filiale financière du géant jaune.
Pourtant, on n'a guère souligné jusqu'ici sa déclaration explosive sur le sujet il y a une semaine. Lors d'une conférence à Zurich, il a fait savoir à l'élite bancaire du pays: «Postfinance a les capacités et les moyens de combler le vide laissé par Credit Suisse dans le financement des entreprises. Nous pourrions mettre à la disposition de la scène économique suisse les moyens que nous investissons aujourd'hui dans des obligations étrangères, afin de créer de la valeur ajoutée avec l'épargne suisse. Nous serions rapidement en mesure de le faire.»
Un coup d'œil sur le bilan et une demande auprès du service de presse de Postfinance le montrent: il y a énormément d'argent en jeu. Le groupe financier contrôlé par l'Etat investit au total 25 milliards de francs dans des obligations étrangères. Cela correspond à une grande partie des fonds d'épargne que les clients ont déposés chez Postfinance. Mais contrairement à toutes les autres banques, Postfinance n'a pas le droit de prêter les avoirs de ses clients sous forme d'hypothèques ou, justement, sous forme de crédits aux entreprises.
«Devenir plus pertinent sur le marché du financement des PME»
Le banquier ne laisse planer aucun doute sur le fait que Postfinance a toutes les cartes en main: «Compte tenu de sa part de marché élevée de clients PME et de sa compétence avérée en tant que leader du marché dans le trafic des paiements, Postfinance est prédestinée à devenir plus pertinente sur le marché suisse du financement des PME», a confirmé Beat Röthlisberger sur les réseaux sociaux après son intervention à la conférence.
Il est en effet convaincu d'apporter ainsi une contribution à l'entrepreneuriat et à l'économie suisse. «Les PME pourraient aussi avoir accès à l'avenir à des financements à des prix raisonnables.» Actuellement, cette hypothèse est toutefois remise en question. Depuis l'effondrement de Credit Suisse, la concurrence n'est plus la même et de nombreux entrepreneurs se plaignent d'un élargissement des marges des banques.
Il serait toutefois trop facile de rejeter la faute uniquement sur l'UBS. D'autres prêteurs ont également élargi massivement leurs marges dans le sillage de la plus grande banque suisse. Personne ne veut jouer les casseurs de prix. La puissante Banque cantonale de Zurich, par exemple, a d'autres priorités que de mettre à disposition des capitaux pour des crédits aux entreprises. Elle préfère développer ses activités auprès de riches clients privés, comme l'a déclaré cette semaine son chef Urs Baumann. Postfinance pourrait en effet garantir une plus grande concurrence.
Mais un problème de taille persiste. Pour mettre cela à bien, il faudrait d'abord supprimer l'article 2, alinéa 3 de la loi sur l'organisation de la Poste. Il y est stipulé que la Poste «ne peut pas octroyer de crédits ou d'hypothèques à des tiers». Or, jusqu'à présent, toutes les interventions politiques visant à libérer la filiale de la Poste de ces entraves ont échoué, la dernière date de l'automne 2022. A l'époque, les deux chambres du Parlement avaient décidé de ne pas entrer en matière sur la levée de l'interdiction de crédit proposée par le Conseil fédéral. A ce moment-là, Credit Suisse était déjà à l'agonie.
Le moment idéal manqué
Et depuis la disparition de la grande banque, plus personne n'a eu le courage de remettre le sujet sur la table. Le moment aurait pourtant été idéal. Car même les politiciens bourgeois n'auraient guère pu s'opposer à une suppression partielle, soit un oui aux crédits aux entreprises et non aux hypothèques pour les clients privés, au vu du paysage bancaire complètement modifié.
Bien entendu, un assouplissement de l'interdiction de crédit profiterait également à Postfinance elle-même. La filiale de la Poste, comme l'ensemble du groupe, est confrontée depuis des années à de profonds problèmes structurels. Elle doit absorber les pertes dues au recul des virements au guichet postal et ne peut guère profiter des opérations d'intérêts. Parallèlement, en tant que banque d'importance systémique, elle a dû constituer des réserves de fonds propres plus importantes. Résultat des courses, les bénéfices sont en baisse depuis des années et au premier semestre 2024, il n'était que de 64 millions de francs.
Postfinance maintient le groupe à flot
Malgré toutes les difficultés, Postfinance reste le principal fournisseur de bénéfices du géant jaune. Mais comment la direction de la Poste gère-t-elle sa machine à fric? Roberto Cirillo, le chef de groupe sortant, ne s'est jamais intéressé à son bras financier. «Ce n'est un secret pour personne que Roberto Cirillo et le chef de longue date de Postfinance, Hansruedi Köng, n'étaient pas sur la même longueur d'onde», explique un initié.
Cela s'est également manifesté par le fait que Roberto Cirillo, contrairement à ses prédécesseurs, n'a pas siégé lui-même au conseil d'administration de Postfinance, mais y a délégué Nicole Burth. Cette dernière est responsable à la Poste du secteur controversé des services de communication. Sous sa direction, la Poste a racheté de nombreuses entreprises et s'est avancée toujours plus loin dans des domaines où elle fait concurrence au secteur privé.
La Poste fait d'énormes pertes
Pourtant, la Poste ne gagne même pas d'argent avec cela. L'année dernière, Nicole Burth a enregistré une perte de 72 millions de francs. Le goodwill généré par ces acquisitions sauvages s'élève désormais à un montant inquiétant de 531 millions de francs. Un initié de la Poste déclare: «Au lieu d'investir cet argent dans des entreprises non rentables, la Poste aurait mieux fait de le donner à Postfinance, qui aurait pu le placer de manière rentable.»
Le président de la Poste Christian Levrat veut présenter prochainement un nouveau chef d'entreprise. Il ne reste plus qu'à espérer que le nouveau ou la nouvelle s'y connaisse en matière d'opérations bancaires. Car si Postfinance tousse, c'est tout le groupe postal qui finira coincé au lit.