En principe, il a tout pour être une idole: affable, respectueux, disponible, drôle, patriote et ouvert sur le monde, intelligent, cultivé, polyglotte... On cherche des raisons objectives pour expliquer le désamour du public, qui lui marchande souvent ses applaudissements. Une minorité est même parfois allée jusqu'à le huer. Trop mécanique? Trop prévisible? Trop défensif? Un peu comédien? Un peu arrogant? Peut-être trop fort, tout simplement.
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«Le fait est que 90% du temps, voire plus, je joue contre mon adversaire et aussi contre le stade. J'ai l'habitude, mais je suis humain, j'ai des émotions, et il m'arrive d'être agacé quand on me provoque», disait-il en juillet dernier à Wimbledon. Éternelle explication à ce désamour: la foule lui a toujours préféré Roger Federer, en permanence sur un fil tendu avec son jeu à haut risque, et même Rafael Nadal, dont la générosité dans l'effort et le corps tout cassé ont fini par émouvoir.
Des secrets et des polémiques
Djokovic, à 34 ans, est au sommet. Ses secrets? Un régime sans gluten qui l'a rendu, dit-il, plus résistant, du yoga et d'autres méthodes plus ou moins étranges: une chambre à oxygène pour la récupération, un gourou pour le mental, des visites à une mystérieuse «pyramide» en Bosnie (en fait une colline) pour l'énergie», etc. Sur le court, il semble invulnérable. Tout rebondit sur son corps élastique.
Il fut un temps où il ne ménageait pas ses efforts pour rehausser sa cote de popularité, au risque d'être accusé de surjouer. À Roland-Garros, s'exprimant dans un français chaque année meilleur (il parle aussi l'anglais excellemment, l'italien et l'allemand), il plaisantait avec les spectateurs, signait des quantités d'autographes... Après sa première victoire en 2016, il avait tracé un grand coeur sur la terre battue avec sa raquette.
Mais il se saborde régulièrement par des initiatives malheureuses, en prenant position contre le vaccin anticovid, ou en organisant en ex-Yougoslavie, en pleine pandémie, une tournée virant au «cluster». Alors, sentir le public du court Arthur-Ashe le pousser dans sa tentative de réussir le Grand Chelem sur une année en septembre en finale de l'US Open lui avait tiré des larmes en plein match.
Une dérogation à l'obligation vaccinale qui déplaît à la population australienne si touchée par les mesures de confinement, un placement en rétention... L'imbroglio sanito-diplomatico-politico-sportif au coeur duquel il s'est trouvé à Melbourne a fait plonger à nouveau la cote de popularité de Djokovic, subitement traité comme un migrant, et dont le visa, annulé une première fois à son arrivée en Australie le 5 janvier, a de nouveau été retoqué vendredi.
L'homme aux 155 millions
S'il détient le record des gains sur le circuit avec près de 155 millions de dollars, «Nole» n'a rien pourtant de l'enfant gâté. À sept ans, il affirmait déjà son objectif à la télévision serbe: devenir No 1 mondial. Né à Belgrade en 1987, il a passé son enfance entre la capitale et la petite station de ski de Kopaonik, où son père tenait le restaurant familial, non loin d'un court de tennis. C'est là qu'il a été repéré par Jelena Gencic, à laquelle il est resté très attaché jusqu'à sa mort en 2013. Soucieuse d'enrichir aussi sa personnalité, elle l'a aussi initié à la musique classique et à la poésie de Pouchkine.
Lorsque les structures du Partizan Belgrade n'ont plus suffi, la famille Djokovic a fait de gros efforts financiers pour envoyer le prodige dans une école de tennis pendant trois ans en Allemagne, avant qu'il ne devienne professionnel. Le jeune garçon avait été profondément marqué par l'expérience de la guerre du Kosovo, qui a touché sa ville en 1999 alors qu'il avait 12 ans. Pour échapper aux bombardements de l'Otan, il a passé pendant deux mois et demi ses nuits dans des abris antiaériens et ses journées... sur un court de tennis, car l'école était fermée.
Une longue ascension
Très patriote, Djokovic a toujours soutenu la cause serbe et voulu corriger la mauvaise image donnée à son pays par le régime de Milosevic, qui n'est probablement pas pour rien dans les réticences que le joueur suscite. Sur le circuit, l'ascension a été longue. Début 2011, il avait déjà un palmarès enviable (un Open d'Australie et un Masters en 2008) mais rien n'annonçait la razzia à venir. C'est sa victoire en Coupe Davis en 2010 qui a servi de déclic.
Depuis, il a remporté au moins un tournoi majeur par an (sauf en 2017 lorsqu'il souffrait du coude). À Roland-Garros en 2016, il a fait le Grand Chelem sur deux ans en détenant les quatre Majeurs en même temps. Et il a été à un match de réussir le vrai Grand Chelem en 2021 après avoir remporté son 9e Open d'Australie, son 2e Roland-Garros et son 6e Wimbledon. Mais il a échoué a décrocher son 4e US Open.
Et sa conquête du coeur du public est également en passe de tourner à l'échec.
(AFP)