Jil Teichmann, avez-vous digéré et réalisé la portée de vos victoires à Cincinnati?
Avec les démarches nécessaires pour mon voyage à New York, les formalités, les tests et ainsi de suite, ces quelques jours ont été intenses. Nous ne sommes dans une bulle ici, nous sommes un peu plus libres que d’habitude en période de pandémie. Mais nous devons quand même être prudents, dans notre propre intérêt. Que l’on soit vacciné ou non, il n’y a pas grand-chose qui change par rapport au variant delta. Nous sommes à l’hôtel ou au centre d’entraînement — après tout, nous sommes là pour travailler. Mais oui, ça fait toujours plaisir. La semaine dernière a été tellement incroyable que je la vivrais à nouveau sans hésiter!
Vous pourriez la revivre à l’US Open. Est-ce que votre heure a sonné en Grand Chelem?
Tout le monde espère bien jouer et passer de nombreux tours. Bien sûr, j’emmène beaucoup de confiance avec moi de Cincinnati. Mais malheureusement, à Flushing Meadows, ce que j’ai accompli auparavant n’a aucune importance. Retour à la case départ mais je suis prête.
Ressentez-vous de la pression parce que vous n’avez jusque-là décroché qu’une seule victoire dans le tableau principal?
Il y a toujours plus de pression en Grand Chelem. C’est aussi pour cel qu’il y a souvent des résultats étranges. Tout le monde joue au tennis pour gagner. Vous pouvez demander à n’importe quel enfant, il ne vous répondra jamais: «Je veux arriver en quart de finale d’un Grand Chelem.» C’est comme pour le classement mondial: personne ne rêve d’être dans les 100 premières, on rêve de la première place.
Vous avez reçu beaucoup de messages après votre finale à Cincinnati?
Mon portable a explosé! Les messages qui m’ont le plus touchée sont venus de mon entourage le plus proche. De ceux qui savent ce que j’ai traversé ces quatre derniers mois. Ils étaient là quand je ne me sentais pas bien, quand j’avais besoin de pleurer. Et maintenant, ils sont là pour se réjouir avec moi de mon plus grand succès.
Ce succès a-t-il été une surprise pour vous après un été difficile marqué par de nombreuses blessures?
J’ai eu beaucoup de malchance, enchaînant une blessure après l’autre. Mais j’avais déjà un bon niveau et je sentais que les pièces du puzzle s’assemblaient. Il était alors juste important de travailler dur et de retrouver la bonne voie. Je savais que j’avais ça en moi, alors je n’ai pas été si surprise. J’avais juste besoin d’une autre occasion de montrer ce dont je suis capable. C’est arrivé à Cincinnati et j’en ai profité.
Cette pause forcée durant l’été a-t-elle eu un effet positif pour vous?
J’essaie toujours de voir le bon côté des choses. Parce que j’étais blessée, j’ai eu du temps pour faire d’autres choses. J’ai pu me renforcer dans certains secteurs que j’ai moins l’occasion de travailler d’habitude. Physiquement et mentalement, le tennis est un sport complexe, la tête est tout aussi importante que le corps. C’était pareil avec la pause liée au Covid: j’ai eu de la chance, contrairement à la situation en Espagne, par exemple. On nous a permis de faire beaucoup de choses en Suisse. Chaque jour était comme un dimanche — tout était fermé, mais vous aviez le droit de sortir (rires). J’ai pu m’entraîner tous les jours, principalement avec Viktorija Golubic. Dans ces moments-là, vous avez deux options. Vous pouvez pleurer et vous plaindre ou utiliser le temps à disposition. Si vous êtes intelligente, vous choisissez la deuxième option.
Vous êtes née à Barcelone. Vous vous sentez plus espagnole ou suissesse?
Même si personne ne me croit: je me sens suissesse à 300%! En Espagne, je suis allée dans une école suisse, où j’étais entourée de la culture suisse toute la journée. Les professeurs étaient suisses, nous parlions le suisse allemand là-bas, comme à la maison. J’ai donc grandi dans une bulle suisse, pour ainsi dire.
Néanmoins, vous semblez avoir un tempérament espagnol…
Je comprends les gens qui pensent cela, mais il n’y a pas de sang espagnol qui coule dans mes veines. Mes parents sont de Zurich. Quand nous sommes arrivés en Suisse, ils ont déménagé à Bienne avec mon jeune frère et moi.
En tant qu’hispanophone, vous avez aussi la chance de pouvoir garder un bon contact avec les autres Espagnols sur le circuit.
J’ai grandi avec quatre langues, il faut encore ajouter le catalan. J’ai appris le français à Bienne et l’anglais en route. Sur le tour, je suis une Suissesse presque cliché. Si je m’entraîne à Barcelone, c’est parce que je connais beaucoup de gens là-bas.
Vous avez également été formée en Catalogne.
Bien sûr, parce que j’y ai grandi. Mais la phase la plus importante de ma formation a été celle de Swiss Tennis à Bienne. De 14 à 18 ans, j’étais sur le terrain tous les jours, c’est l’époque où l’on progresse vraiment. Ils m’ont beaucoup aidée là-bas et je leur suis très reconnaissant du soutien que je ressens encore aujourd’hui. Je suis toujours la bienvenue à Bienne, ils croient en moi. Bienne, c’est ma maison: j’y ai fait mes études, j’y ai beaucoup d’amis et on joue la Fed Cup.
Vous avez fini vos études?
Non, malheureusement pas, j’ai abandonné après la dixième année, cela prenait trop de temps en plus du tennis. Mais je n’exclus pas la possibilité de reprendre un jour et d’obtenir mon diplôme. Qui sait? Je suis très ouverte à tout et je ne suis pas quelqu’un qui planifie son avenir à l’avance.
Sur un plan plus personnel, comment décririez-vous Jil Teichmann?
Je suis une personne très joyeuse. J’aime faire des choses spontanées, sortir et aller au restaurant avec des amis. J’aimerais aussi voyager, mais à titre privé, pas pour le tennis. J’espère le faire plus tard. C’est une passion. À part ça, je prends soin de mes amitiés, j’aime juste être une personne normale qui profite de la vie.
Avez-vous beaucoup d’amitiés en dehors du tennis?
Oui, la plupart d’entre elles n’ont rien à voir avec le tennis. J’ai rencontré beaucoup de monde à Bienne. À Barcelone, j’ai aussi des amis d’école qui ne connaissent rien au tennis. La relation la plus proche que j’ai sur le circuit, c’est avec «Vicky» Golubic. Elle est comme une grande sœur pour moi.
Et au niveau amoureux?
Si une rencontre se présente, je lui laisserai de la place. Je ne suis absolument pas fermée à cette idée. Mais ce n’est pas facile, surtout en cette période de pandémie. Pas de stress, pour l’instant le tennis est ma priorité, on n’est pas professionnel jusqu’à 50 ans (rires).
Biographie
Jil Teichmann est née à Barcelone, en Espagne, où son père travaillait dans la vente. À l’âge de 14 ans, la famille est retournée en Suisse et s’est installée à Bienne, où Jil a suivi une formation de tennis à Swiss Tennis. Cette joueuse importante de l’équipe de Suisse de Fed Cup est professionnelle depuis 2013.
Au dernier touroi WTA de Cincinnati, elle a battu trois stars: Naomi Osaka, Belinda Bencic et Karolina Pliskova. Auparavant, la Seelandaise de 24 ans avait obtenu ses plus grands succès en 2019 sur terre battue avec ses deux titres WTA à Prague et Palerme.
Elle est également fidèle à son équipe, composée de deux entraîneurs Aranxa Parra et Alberto Martin, ainsi que du préparateur physique Toni Martinez. Jil Teichmann est désormais classée 44e joueuse mondiale, proche de son meilleur classement (40e en avril dernier).