Mondial 2018, Jeux olympiques d’hiver à Sotchi, certains matches de l’Euro 2021, Grand Prix de Formule 1, sponsoring des clubs de la Ligue des champions: la Russie a fait du sport un outil d’influence extérieure comme de communication intérieure sous Vladimir Poutine. Un domaine lucratif qui risque gros après l’invasion russe en Ukraine.
Les sanctions pleuvent: annulation du GP de Sotchi, sportifs déclarés «personae non gratae» en Grande-Bretagne, en Norvège et en Suède, refus de trois fédérations de les affronter en barrage du Mondial 2022, suspension de Vladimir Poutine par la Fédération internationale de judo, hymne et drapeau russes bannis par le CIO. Depuis dimanche soir, et la décision tiède de la FIFA, plusieurs voix en appellent désormais à une exclusion de la prochaine Coupe du monde, événement planétaire que la Russie avait accueilli en 2018.
Poutine, gare à l’opinion publique russe
«Le sport a une importance disproportionnée pour les régimes autoritaires. L’éventuelle incapacité de participer à des compétitions frapperait durement la Russie», affirme Sir Hugh Robertson, président du Comité olympique britannique (BOA).
«Les Russes sont passionnés de sport et accueillir des événements majeurs les a enthousiasmés», poursuit sur le sujet Michael Payne, patron durant deux décennies du marketing du Comité international olympique. Dans cette optique, une mise à l’écart «déclenchera immédiatement un questionnement sur les événements en cours. Poutine ne se préoccupe peut-être guère de ce que le reste du monde pense de lui. Mais il doit faire attention à ce que le peuple russe pense de lui.»
Des millions d’euros en sponsoring
Autre danger possible, les prises de position de sportifs de premier plan qui, comme le tennisman Andrey Rublev, le footballeur international Fedor Smolov, le hockeyeur Alex Ovechkin ou le cycliste Pavel Sivakov, ont publiquement exprimé leur refus de la guerre. Des prises de position qui ne peuvent «qu’inciter la population à s’interroger sur les actes de leurs dirigeants, et à miner le soutien national pour la guerre», selon Michael Payne.
Terrence Burns est aussi un ancien responsable du CIO qui a participé à cinq campagnes de candidature pour les Jeux olympiques couronnées de succès. Ce dernier est moins affirmatif sur ce point: «Le gouvernement va dépeindre la Russie en victime d’une grande conspiration globale fomentée par les États-Unis et l’Occident.» Mais la question n’est plus là, explique-t-il, convaincu que désormais, «la Russie doit payer le prix pour ce qu’elle a fait, et malheureusement cela inclut ses sportifs».
À lire aussi
L’équilibre économique du sport professionnel européen va-t-il être remis en cause, notamment par l’annulation des contrats? Manchester United a annoncé qu’il rompait son accord de sponsoring avec la compagnie aérienne nationale russe Aeroflot.
Une source ayant connaissance des discussions sur le sujet a confirmé que l’UEFA «s’apprêtait» à prendre une décision semblable cette semaine avec le géant Gazprom, sur un contrat conclu en 2012 et estimé par les médias spécialisés à 40 millions d’euros annuels. Saint-Pétersbourg et sa «Gazprom Arena» ont déjà perdu l’organisation de la finale de la Ligue des champions 2022.
Le monde du sport a beaucoup à perdre
L’écurie américaine de Formule 1 Haas a enlevé les couleurs russes et de son sponsor principal Uralkali de ses monoplaces. Elle doit annoncer cette semaine une décision quant à sa relation avec cette entreprise spécialisée dans les mines de l’Oural.
«Les méga contrats russes de sponsoring sont un phénomène récent. Le sport se portait très bien sans il y a dix ans et il continuera à aller très bien», estime Terrence Burns.
Le géopolitologue français Lukas Aubin estime aussi que le football est suffisamment attractif pour passer à autre chose. «Si l’UEFA décidait de se séparer de Gazprom, il y aura un impact. Mais ce sont des grandes institutions. On peut imaginer qu’un autre le remplace. Ils n’auront aucun mal à trouver un gros sponsor sachant que la Ligue des champions est l’une des compétitions les plus regardées de la planète.»
«Là, on a la sensation que l’heure est trop grave pour que les institutions sportives disent 'Bon, on ne peut pas vraiment le faire parce que c’est la Russie, Gazprom finance la Ligue des champions, etc.'. J’ai la sensation qu’on est à un point de rupture et que les mesures qui vont suivre seront inédites», poursuit l’universitaire spécialiste de la question et auteur de «La Sportokratura sous Vladimir Poutine».
Une réaction impérative
«En ne réagissant pas, le monde du sport a beaucoup plus à perdre que la perte d’un ou deux parraineurs russes», prévient Michael Payne.
«Le monde du sport doit se sevrer de l’argent russe, affirme Hugh Robertson, président du Comité olympique britannique. L’invasion russe en Ukraine aura un impact sur le sport, mais les conséquences de l’inaction ou des atermoiements, seraient bien plus graves.»
Les sanctions sportives peuvent avoir «un impact énorme sur la société», rappelle Michael Payne: «Le boycott des sports sud-africains pendant l’apartheid a eu autant, voire plus d’effet que les sanctions économiques, poussant le régime à un changement de politique.»
(AFP)