«Par où on commence?» Attablé dans un petit café à un jet de puck de la patinoire de Laval, en banlieue de Montréal, Connor Hughes sirote un thé. Il est arrivé en avance pour le rendez-vous. «Mon côté suisse», pouffe-t-il en anglais. Natif de London en Ontario, il est binational et pourrait représenter la Suisse lors du prochain Mondial. «Si on m'appelle, sûr que je serai présent.» Mais si aujourd'hui Connor Hughes est sous contrat avec la prestigieuse franchise des Canadiens de Montréal, il aurait pu arrêter dix fois sa carrière. Il aurait même dû.
Après une saison difficile en Suisse, le portier s'est dit que c'était peut-être la fin. C'était en 2020. «J'avais un contrat d'un an à Fribourg. Je ne savais pas si j'en aurais un autre. Si cela s'arrêtait là, j'aurais été heureux d'avoir joué deux saisons en National League», raconte-t-il. Mais voilà : il n'a pas arrêté. Un concours de circonstances, une opportunité saisie et un choix audacieux l'ont ramené dans la course. Aujourd'hui il est à Montréal, il touche la NHL du bout des doigts. Même s'il n'y jouera peut-être jamais, il continue d'y croire.
Le pari suisse
Originaire du Canada, Connor Hughes n'était pas promis à un grand avenir professionnel. À 20 ans, il évoluait encore dans une ligue junior de deuxième niveau. Ironie de l'histoire, c'est pour une équipe partageant le logo de Montréal qu'il patinait à l'époque : les Canadiens de Carleton Place. Ce n'était pas à proprement parler une voie de garage, mais pas une piste aux étoiles non plus. «Il n'y a pas beaucoup de gars qui, à 20 ans, jouent dans cette ligue et finissent à ce niveau», admet-il.
À cet instant, son choix de partir en Suisse était autant une prise de risque qu'un acte de foi. «Je me suis rendu à Ottawa pour effectuer les formalités administratives afin d'obtenir mon passeport suisse.» Un document nécessaire pour avoir un contrat sous nos latitudes, où le nombre de joueurs étrangers est limité. La raison de cette double nationalité ? «Mon grand-père est d'origine lucernoise et a émigré au Canada après la Seconde Guerre mondiale», précise-t-il.
Ce n'est pas parce que la feuille d'érable sur le document officiel est remplacée par une croix blanche que les portes s'ouvrent automatiquement. Son arrivée en Suisse, il la fait au Tessin, en deuxième division, avec les Ticino Rockets. Là-bas, il ne gagne presque rien. Quelques milliers de francs pour la saison. C'est plus précisément à Ambrì qu'il débarque. Dans le petit village collé aux Alpes, l'Ontarien découvre un nouveau monde.
«Je voyais cela comme un investissement. Je ne le faisais pas pour l'argent, juste pour me faire une place.» Son quotidien ? Un petit appartement au-dessus de l'épicerie du coin. Les jours «de fête», une pizza à La Montanara, institution du coin et seul restaurant encore ouvert. Lorsqu'il ne peut pas se permettre le luxe d'une pizza – «c'est ce qu'il y avait de moins cher» –, Connor Hughes se contente de manger à la maison. Mais il ne s'en plaint évidemment pas.
Un pas après l'autre
Le parcours de Connor Hughes est marqué par l'incertitude. Avec les Ticino Rockets, il enchaîne les lourdes défaites dans une équipe de bas de classement. «Je crois que je n'ai gagné qu'un seul match cette année-là», rigole-t-il aujourd'hui. «Je me suis dit que ce serait compliqué d'avoir un contrat après cela.» Mais il s'accroche et trouve une place à Langenthal.
À chaque étape, il vit avec une impression étrange : celle d'être sur un fil. «Chaque été, je ne savais pas si j'allais rejouer la saison suivante.» Connor Hughes a toujours tout fait pour provoquer sa chance. Alors qu'il avait signé le contrat de la dernière chance avec Fribourg Gottéron, le gardien No 1, Reto Berra, se blesse. «Là, tout a explosé», rigole-t-il. Il enchaîne les excellents matchs, si bien qu'il est même sélectionné en équipe de Suisse puis dispute la Coupe Spengler avec le Canada.
Ce sont ses prestations qui lui ont ouvert les portes du Lausanne HC, club qui a été le premier à lui faire vraiment confiance. Avec les Lions, il atteint la finale pour sa première saison, en 2024. Il est si bon que les recruteurs de Montréal l'appellent. «Je savais que je ne jouerais pas à Montréal directement, nous confie-t-il. Mais je savais que si je voulais avoir une chance, cela passait par ce contrat avec Laval.»
Celui qui a fait des sacrifices tout au long de sa carrière se retrouve une nouvelle fois à renoncer à un joli contrat du côté de Lausanne pour vivre son rêve à fond. Connor Hughes prend une nouvelle décision risquée : quitter la Suisse pour s'accrocher à cette chance unique. «J'ai accepté de gagner moins, comme lorsque je suis venu en Suisse. Je voulais juste mettre mon pied dans la porte et voir si j'arrivais à me faire ma place.»
Et maintenant?
L'avenir reste incertain. Il sait qu'il est proche de la NHL et incroyablement loin à la fois. Y arrivera-t-il un jour? Rien n'est moins sûr tant la concurrence est rude et tant son rival direct, un gardien tchèque, est brillant depuis quelques mois. Mais Connor Hughes sait qu'il n'aura aucun regret à avoir. «J'aurais détesté laisser passer cette chance», remarque-t-il. «Si Montréal m'appelle pour faire un match même sur le banc, j'accepte bien évidemment. Ce serait incroyable à vivre. J'aurais la meilleure place de la patinoire (rires). Si je peux jouer, c'est encore autre chose, mais je ne me mets pas de pression. J'aurai tout donné pour tenter d'y parvenir.»
L'histoire de Connor Hughes n'est pas celle d'un prodige, ni celle d'un joueur qui a toujours été vu comme une évidence. C'est celle d'un gars qui n'a jamais eu de garanties, mais qui a avancé un coup de patin après l'autre, avec patience, sacrifices et persévérance. Peu importe ce qui arrivera ensuite, Connor Hughes a déjà gagné quelque chose: le mérite d'avoir cru en son rêve. Et qu'importe s'il bute sur la dernière marche. Il a déjà réussi à en gravir de nombreuses pour en arriver là. Et hormis lui (et sa femme), personne n'y a jamais vraiment cru.