Sur la piste de glace extérieure devant la Vaillant Arena, les amateurs de hockey sur glace patinent. Les parents entraînent leur progéniture. Bref, cela ressemble à un dimanche après-midi comme un autre dans la petite station des hauts de Landquart. Sauf qu’à cet instant, la «cathédrale» davosienne aurait dû vibrer avec plusieurs milliers de supporters. Au programme, le Slovan Bratislava devait défier Frölunda à 15h10 et le Sparta Prague était supposé affronter la sélection bernoise composée de joueurs issus de Bienne, Berne et Langnau.
Au lieu de cela, il y a une patinoire vide et désespérément silencieuse dans une atmosphère glauque. «On a l’impression que tout est mort», nous confie un employé affairé à démonter une installation provisoire autour de la patinoire. Alors que tout était prêt pour le lâcher de puck, les organisateurs ont jeté l’éponge. Deux raisons ont forcé cette annulation. D’une part, le HC Davos a dû faire face à une flambée de coronavirus dans son vestiaire (près de 20 cas) et d’une autre les autorités grisonnes ont retiré l’autorisation au HCD d’organiser son habituel raout.
C’est Toni Morosani qui devait accueillir le Sparta Prague dans son hôtel. Situé à cinq minutes de la patinoire, le Morosani Schweizerhof reçoit des équipes participant à la Coupe Spengler depuis plusieurs années. «Plus de dix ans, remarque le directeur de l’établissement. Pour nous, c’est évidemment une grosse perte. Nous allons dorénavant devoir discuter avec l’organisation et le Canton pour savoir comment nous retourner. J’espère avoir des réponses rapidement.»
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Mais au-delà de l’aspect purement financier, il y a tout le reste. «La Coupe Spengler, c’est un moment que chaque personne de la station attend, nous confie-t-il. Dans notre hôtel, tout était prêt. Nous avions déjà tout prévu. La fête de Noël était organisée. Nous avions dû mettre en place une infrastructure pour assurer la sécurité sanitaire de l’équipe et nous nous réjouissions que cela commence enfin.» La formation tchèque n’avait pas encore pris la direction de Davos au moment de l’annulation.
«Lorsque j’ai appris la mauvaise nouvelle, je ne peux pas dire que j’ai été surpris, précise Toni Morosani. Mais tout de même, cela fait un petit coup. Surtout lorsque cela arrive de manière aussi tardive.» Le Slovan Bratislava devait loger au Hilton, à quelques centaines de mètres du Morosani. Le club slovaque n’a pas eu la même chance que Prague puisque les joueurs étaient arrivés la veille à Davos. «Je crois que le Sparta a été informé peu avant de prendre l’avion, détaille Toni Morosani. Ils se sont évité les désagréments du voyage puisqu’ils devaient arriver en fin de journée chez nous. Au moins ça…»
«On vient malgré tout»
Dans la station grisonne, les fans de hockey sont tout de même présents. Plusieurs écharpes d’Ambri-Piotta sont fièrement arborées sur la Promenade de Davos. À la base, les Léventins devaient être présents avant leur renoncement en début de semaine. Chaque bar et chaque restaurant semblent d’ailleurs regorger de supporters déçus.
À un jet de puck de la patinoire, deux Romands conversent, une canne de hockey à la main. David et Kilian sont deux Vaudois fans de hockey sur glace. «Nous jouons dans une équipe de corpo, les Kangaroos, précise Kilian, 21 ans. Quand j’étais plus jeune, je regardais souvent la Coupe Spengler en famille. Lausanne était alors en LNB et j’ai soutenu le HC Davos. Ce n’est pas la première fois que je devais vivre la Coupe Spengler. Mais c’est forcément une grande déception.»
Billets remboursés
Son pote, lui, allait participer à sa première édition du tournoi grison. «Nous avions des billets pour quatre matches, détaille David. Lorsque nous avons appris que le tournoi était annulé, nous avons décidé de nous rendre à Davos malgré tout. Nous espérons qu’il se passera tout de même quelque chose et que nous pourrons profiter de la station.» Après notre rencontre, les deux fans de hockey se sont rendus sur la patinoire artificielle pour se dégourdir les jambes.
Laurent, Frédéric et Charly, eux, étaient déjà en route lorsque la mauvaise nouvelle est tombée, samedi. «Un ami nous a appelés, relate Frédéric. Il rigolait au bout du fil et pour tout vous dire, j’ai cru que c’était une blague.» Laurent abonde: «Plus les jours passaient et moins je pensais qu’une annulation allait être possible. Nous avions songé à ne pas venir, mais finalement nous nous réjouissions. Nous avons appris la mauvaise nouvelle après avoir passé Berne. On n’allait pas revenir en arrière quand même…» Le trio de fans de Fribourg Gottéron va tout de même tenter de s’occuper et de profiter de l’air de la montagne. Au programme? Luge, raquette et ballades. «Comme nous avions beaucoup de matches à regarder, nous n’avons pas pris les skis avec nous. C’est encore plus rageant (rires).»
Par chance pour ces supporters déçus, les billets leur seront intégralement remboursés. Mais pas les autres frais. «J’ai essayé de regarder pour annuler notre appartement, précise Laurent. Mais comme aucune mesure sanitaire ne nous empêchait de venir, les propriétaires ne sont pas rentrés en matière.» Les trois Fribourgeois, qui vivent dans un canton à la traîne en matière de vaccination, n’avaient pas encore pu prendre un rendez-vous pour leur troisième dose. «On va aller voir s’il y a moyen de la faire ici, rigole Laurent en tentant de prendre rendez-vous avec Charly. Comme ils n’annoncent pas très beau, si on a des effets secondaires, on ira à la piscine se coucher sur un transat (rires).» Renseignement pris, leur tentative a échoué. Décidément, ce n’est pas leur semaine.
«40% de pertes»
Du côté du tournoi, le ton est moins léger. Forcément. Marc Gianola, président du conseil d’administration, précise qu’il n’y avait aucune assurance contre cette annulation tardive. «Le concept de protection cantonal fait office d’assurance pour nous, a-t-il confié à Blick. C’est ainsi car l’annulation a été décidée par les autorités grisonnes.»
Le club de Davos, lui, va également assumer de lourdes pertes. «Environ 40% des recettes du HC Davos proviennent de la Coupe Spengler, enchaîne le dirigeant grison. Le club fait donc face à une perte sèche importante. Mais comme je l’ai dit, c’était déjà le cas en 2020, et nous avons quand même réussi à boucler la saison. Nous y parviendrons donc aussi cette année.»
Bien loin de ces considérations budgétaires, la cité grisonne a passé un dimanche soir bien plus calme que d’habitude à cette période de l’année. Ce d’autant plus que les restrictions sanitaires compliquent encore un peu la vie des restaurateurs. L’ex-Bar, rendez-vous incontournable de l’après-match, a d’ailleurs opté pour la règle de 2G +. C’est-à-dire que les clients doivent être vaccinés depuis moins de quatre mois ou doivent présenter un test négatif. Une condition obligatoire pour que les clients puissent consommer debout.
Passé le contrôle de sécurité, l’ambiance ne change pas d’un après-ski normal. On y braille des chansons à boire en allemand («Anton aus Tyrol» est évidemment une valeur sûre). Une seule casquette de hockey vient rappeler qu’un tournoi devait avoir lieu dans la station. Un fan d’Ambri est attablé, un verre de gin tonic à la main. «C’était soit ça, soit je restais à la maison, nous a-t-il confié. Et pour tout vous dire, je préfère passer une dernière semaine sans restriction. Ça ne va pas durer.» Prophétique? Possible.
Fin de partie
S’il y a du monde dans le pub, ce n’est pas la folie à laquelle on peut être habitué dans ce bar situé au centre du village. Loin de là, d’ailleurs. À deux pas de l’Ex-Bar se trouve un autre haut lieu des nuits et des petits matins davosiens: le «Piano-Bar». Rendez-vous traditionnel du petit monde du hockey sur glace, le bar d’hôtel est désespérément vide comparé à une année normale. Un chanteur au piano — il faut bien justifier le nom de l’endroit — s’égosille. Une reprise particulièrement réussie de «Rocket Man» suscite quelques applaudissements polis, rien de plus. Même là, le cœur ne semble pas franchement y être.
Point d’agent de joueur ni de hockeyeurs. Le lieu qui habituellement regorge de gens «du milieu» sonne cette fois-ci creux. À l’image d’une station qui traditionnellement vit par procuration en cette dernière période de l’année, le «Piano-Bar» paraît souffrir de l’absence du petit monde du hockey sur glace. Sur les trottoirs de la bourgade rhétique devant l’Hôtel Europe, quelques jeunes avinés titubent dans une atmosphère de fin de partie que n’aurait pas renié Samuel Beckett. Problème? La partie n’a même pas eu le temps de commencer.