Notre journaliste Roger Benoit
«Schumi me doit toujours un dîner»

Légende de Blick, Roger Benoit couvre la Formule 1 depuis 1970. L'homme aux 795 Grand Prix revient sur sa relation avec une icône de ce sport: Michael Schumacher. Interview.
Publié: 03.09.2023 à 18:08 heures
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Qui était donc ce Michael Schumacher? «Je ne peux pas encore répondre à cette question aujourd'hui.»
Photo: Lukas Gorys
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Daniel Leu

Roger Benoit est une légende du journalisme et de Blick. Ce week-end à Monza, il couvre son 795e Grand Prix de Formule 1. Depuis 53 ans, Roger Benoit a fait de ce sport sa vie, sa famille. Il a évidemment plein de souvenirs. Certains sur Michael Schumacher, dont il nous parle aujourd'hui. Interview de notre journaliste.

Sais-tu comment se porte Michael Schumacher depuis son terrible accident de ski en 2013?
Non. Il n'y a qu'une seule réponse à cette question et c'est son fils Mick qui l'a donnée en 2022 dans l'une de ses rares interviews: «Je donnerais tout pour parler à papa.» Cette phrase dit tout de l'état dans lequel se trouve son père depuis plus de 3500 jours. C'est un cas sans espoir.

Te souviens-tu de la première fois où tu as entendu le nom de Michael Schumacher?
C'était sans doute en 1990, lorsqu'il participait au championnat du monde pour l'équipe junior Sauber. On savait déjà à l'époque qu'il avait du talent. Mais je n'ai pas suivi cela jusqu'à Spa en 1991.

A l'époque, le pilote Jordan Bertrand Gachot s'était retrouvé en prison à la suite d'une dispute avec un chauffeur de taxi et le chef d'équipe Eddie Jordan avait besoin d'un pilote de remplacement à court terme.
C'est alors que le manager Willi Weber a soudainement fait son apparition et a mis son protégé sur le devant de la scène. Il parlait du talent du siècle et racontait que Schumi connaissait Spa par cœur, ce qui n'était pas du tout vrai. Comme Eddie Jordan a toujours été avide d'argent, il a exigé 300'000 marks pour la place dans le baquet.

Qui a payé?
Pas Willi Weber, mais Peter Sauber. Le partenaire Mercedes lui a demandé d'avancer l'argent. Plus tard, Sauber m'a dit qu'il n'avait jamais récupéré l'argent.

La suite de l'histoire est connue. Schumi s'est classé 7e sur la grille de départ dès ses débuts.
Dans le monde de la Formule 1, les choses se passent toujours de la même manière: lorsqu'un nouveau pilote arrive, on lui laisse le temps d'une course et on fait ensuite déjà des pouces vers le haut ou vers le bas. Lorsque Schumi a fait ce show à Spa, Flavio Briatore a immédiatement dressé l'oreille. Deux semaines plus tard, il était déjà assis dans la Benetton et a terminé cinquième à Monza. Il n'y a jamais eu de transfert aussi rapide en Formule 1, ni avant ni après.

Un an plus tard seulement, Schumi remportait son premier Grand Prix à Spa. Est-il vrai que tu as ensuite reçu sa combinaison de course en cadeau?
Oui. Quand j'ai croisé Schumi et Weber un jour, j'ai simplement dit: «J'aimerais bien avoir une combinaison de course.» Et c'est ainsi que je l'ai reçue en cadeau après la victoire de Spa en 1992.

Elle doit avoir beaucoup de valeur aujourd'hui.
C'est vrai, mais je ne l'ai malheureusement plus. Je l'ai prêtée une fois à un «ami» pour une exposition et soudain, on m'a dit que la combinaison avait été volée.

Cela t'a-t-il contrarié?
Ah non, j'ai beaucoup d'autres casques et combinaisons de course, dont celle d'Ayrton Senna en 1993 à Adélaïde. Cette combinaison est d'ailleurs conservée en lieu sûr.

Parlons de ton légendaire pari sur le paddock avec Schumi.
Attends, je dois faire un bref retour en arrière. Avant, nous pariions toujours sur le tour où le pilote McLaren Mika Häkkinen serait éliminé. Mais en 1995, il a eu un grave accident à Adélaïde, au cours duquel le médecin de Formule 1 Sid Watkins lui a sauvé la vie en pratiquant une trachéotomie. Il était alors clair qu'il nous fallait un nouveau pari sur le paddock. C'est ainsi que j'ai pensé à Schumi.

Concrètement, en quoi consistait le pari?
Il fallait à chaque fois pronostiquer le résultat de Schumi. Au début, la mise était de 10 marks, puis de 10 euros.

Qui participait?
Bernie Ecclestone, Flavio Briatore, Jean Todt et bien d'autres. Ecclestone plaçait toujours trois ou quatre paris différents pour augmenter ses chances de victoire. Une fois, il a ainsi gagné 3500 dollars en Argentine. Il est ensuite entré dans la salle de presse avec l'argent, s'est assis à l'avant de la table et l'a compté avec délectation devant la foule de médias réunie. Mais c'était aussi spécial avec Jean Todt. En tant que chef de l'équipe Ferrari, il était le patron de Schumi, mais il ne lui donnait que la deuxième place.

Tantôt ils jouaient ensemble au backgammon, tantôt ils ne se parlaient plus: Michael Schumacher, légende de la Formule 1, et Roger Benoit, vétéran de Blick.
Photo: Lukas Gorys

Pourquoi?
Il me l'a expliqué un jour. «Si Schumi termine deuxième, je gagne quelque chose. Et s'il gagne, je suis de toute façon content.» Mais après quelques années, il est venu me voir et m'a dit qu'il ne pouvait plus participer. Les médias italiens l'avaient découvert et avaient titré: «Todt parie toujours contre Schumi.»

On dit que tu fumais régulièrement un cigare avec Schumi après les courses.
C'était aussi une tradition. Après les courses, le restaurateur de Formule 1 Karl-Heinz Zimmermann, Schumacher et moi nous asseyions dans le motorhome de Bernie, nous fumions un cigare et buvions une bière. Ensuite, nous montions généralement sur le toit et tirions un coup de canon. Mais à un moment donné, la police est venue et l'a malheureusement interdit.

Mais personne ne pouvait t'interdire de jouer au backgammon avec Schumi.
Nous jouions régulièrement l'un contre l'autre à Hockenheim, dans le jardin ou dans le motorhome. C'était surtout pour s'amuser, la plupart du temps on pariait 10 marks ou quelque chose comme ça.

Schumi était-il un bon joueur?
Disons qu'il n'était pas aussi bon qu'en tant que pilote.

A propos d'Hockenheim… Comment était-ce en 1998?
C'était mon 400e GP. Une fête a donc été organisée pour moi. Avec un gâteau géant d'où a surgi une gentille dame, payée par Ecclestone et Schumacher. Lorsque je suis allé dans ma chambre avec cette femme, Ecclestone, Briatore et consorts étaient à la porte et voulaient entrer. Ils voulaient voir comment je gérais ce cadeau.

Y sont-ils parvenus?
Auparavant, ils s'étaient renseignés à l'hôtel sur le prix de cette porte. C'était 3000 marks. Ils l'auraient payé, mais ils n'ont pas réussi à défoncer la lourde porte en bois. J'ai d'ailleurs reçu un deuxième cadeau.

C'était quoi?
Schumi m'a offert un pull-over rouge Ferrari. Plus tard, lorsque j'ai participé à un talk-show, j'avais mis ce pull autour de mon cou, avec le logo blanc de Marlboro sur les manches, mais sans l'inscription. À la fin du talk-show, le présentateur s'est approché de moi et m'a dit: «Savez-vous qui vient d'appeler? Norbert Haug de Mercedes.» Il avait été terriblement contrarié par le fait que je sois invité à cette émission avec un pull Ferrari. Il m'a dit que je ne pouvais plus être objectif.

Ce sont toutes des histoires amusantes, mais tu as toujours critiqué Schumi de manière sévère.
Pour la première fois après la mort d'Ayrton Senna. Comme il n'a pas assisté aux funérailles, j'ai écrit: «Le leader du championnat du monde acclamé par l'Allemagne est un homme sans cœur ni respect.» Je suis en effet connu pour ne pas être le plus câlin de la Formule 1. J'ai mon opinion et, dans 90% des cas, j'avais raison. Rétrospectivement, il faut aussi préciser que Schumi s'est rendu plus tard sur sa tombe à Morumbi.

En 1994, tu as créé l'expression «Schumi le tricheur».
Il m'a dit un jour: «Je ne l'oublierai jamais.» Mais il savait lui-même que tout n'était pas conforme au règlement, surtout pendant sa période chez Benetton. À l'époque, Schumi avait beaucoup de partisans, mais aussi beaucoup de détracteurs. Peu importe ce que j'écrivais, j'étais toujours détesté par la moitié des gens.

Cela t'a-t-il dérangé?
Non. Moi aussi j'ai toujours eu du respect pour ses performances. La manière dont il travaillait chez Ferrari était unique. Il restait régulièrement dans le box jusqu'à minuit, une attitude de travail incroyable. Et il détient encore aujourd'hui le record de 19 podiums consécutifs.

À un moment donné, vous ne vous êtes plus parlé pendant des années. Pourquoi?
Je ne m'en souviens plus. Peut-être parce que nous sommes tous les deux des têtes de mule. Certaines choses ne me convenaient pas et je l'ai écrit. J'ai également porté un regard critique sur son retour chez Mercedes en 2010. Les résultats m'ont donné raison, il n'est monté qu'une fois sur le podium en trois ans et a ensuite été remplacé par Lewis Hamilton. C'était une fin triste et tragique pour une telle star.

Michael Schumacher a fait ses débuts en Formule 1 à Spa. La suite de l'histoire est connue.
Photo: imago images/Motorsport Images

Comment s'est faite la réconciliation?
À Suzuka, 2011. Là-bas, il y avait un petit chemin à côté du grand paddock derrière les stands. Lorsque les pilotes voulaient avancer discrètement et rapidement, ils l'empruntaient. J'avais toujours ma chaise au fond chez Sauber et je fumais un cigare. Soudain, j'ai vu arriver Michael Schumacher. Il s'approchait de plus en plus.

Et ensuite?
Puis il m'a dépassé en courant. Mais après deux mètres, il s'est arrêté, est revenu, a frappé mon genou de sa main et a dit: «Oublions donc tout ce qui a été. Reprenons tout à zéro.»

Comment as-tu réagi à cela?
J'ai d'abord tiré une autre bouffée de mon cigare, puis j'ai dit: «D'accord.» Depuis, nous avons recommencé à nous parler.

Lorsque Schumacher a définitivement pris sa retraite en 2012, tu as écrit: «Depuis ses débuts en Formule 1, Schumi a toujours pris la fuite. Et c'est ainsi que le monde continue à s'interroger, même après sa retraite: qui était ou qui est vraiment ce Michael Schumacher?» As-tu aujourd'hui une réponse à cette question?
Je ne peux pas vraiment répondre à cette question aujourd'hui. Mon analyse est la suivante: c'est un phénomène exceptionnel qui ne s'est jamais vraiment senti à l'aise dans sa peau. Il s'est souvent compliqué la tâche avec son ambition démesurée. C'est parfois le cas de Max Verstappen aujourd'hui. Mais les grands champions sont tous comme ça. On avait déjà vu Schumi devenir ainsi lors des essais de 1992.

Que s'est-il passé?
À Hockenheim, Senna s'est senti gêné par lui sur la piste. Il s'est donc rendu dans le box Benetton pour le confronter. Et qu'a fait Schumi? Avec son air arrogant, il a quasiment dit au grand pilote brésilien d'aller se faire voir. C'est aussi ce genre de comportement qui caractérise une superstar.

Pour beaucoup, Schumi est le plus grand pilote de tous les temps. Qu'en penses-tu?
En tant que sextuple champion du monde, il fait certainement partie du top 5.

Six fois champion du monde?
Bien sûr, je sais qu'il a été sept fois champion du monde. Mais on devrait lui retirer le titre de 1994, puisqu'il ne l'a gagné qu'à cause de sa faute sur Damon Hill.

Si tu croisais Schumi au coin de la rue, que lui dirais-tu?
Je m'étonnerais d'abord, je me réjouirais ensuite et je boirais une bière avec lui. Et je lui rappellerais qu'il me doit encore un dîner.

Pourquoi?
Un jour, il s'est approché de moi et m'a dit: «Roger, tu es de plus en plus gros! Tu dois bien peser 90 kilos.» Je lui ai répondu: «Tu es fou, je fais 84.» Mais il ne s'est pas arrêté là et a fait en sorte que je sois obligé de monter sur une balance dans les boxes. Celle-ci indiquait alors 86,8 kilos, mais avec une chemise et un pantalon. Il m'a alors promis un dîner si je descendais sous la barre des 80 kilos.

Tu y es arrivé?
Je n'ai ensuite mangé presque que de la viande des Grisons et j'y suis effectivement parvenu. Schumi était impressionné et m'a promis le souper. Il me devra sans doute toujours ce pari. Mais je lui suis quand même reconnaissant, car sans lui, je n'aurais pas perdu de poids. D'ailleurs, je suis aussi monté sur la balance ce matin.

Et quel poids affichait-elle?
80,8 kilos! Schumi serait fier de moi…

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