Yann Sommer se confie à Blick
«J'ai beaucoup appris de Roger Federer»

Depuis cet été, Yann Sommer (33 ans) est devenu un héros national. Le gardien suisse nous parle ici de la santé mentale dans le football, de la suite de sa carrière et de ce qu'il a pu apprendre de la star du tennis.
Publié: 06.03.2022 à 10:33 heures
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Dernière mise à jour: 07.03.2022 à 08:49 heures
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Le gardien de la Nati Yann Sommer lors du rendez-vous avec Blick.
Photo: Sven Thomann
Andreas Böni (Interview) et Sven Thomann (Photos) à Mönchengladbach

C’est un matin pluvieux à Mönchengladbach. L’ambiance morose qui règne autour du Borussia-Park correspond à la situation sportive du club allemand. Gladbach, qui a commencé la saison dans la peau d’un prétendant à une place en Ligue des champions, commence à trembler. L’équipe de Yann Sommer n’est que 13e, à quatre points de la place de relégation.

Le gardien de 33 ans est préoccupé par cette situation. Malgré tout, il reste joyeux et garde le moral. Il a demandé que notre rendez-vous soit fixé tôt le matin, avant l’entraînement. La raison: il veut passer le plus de temps possible avec sa femme Alina et ses filles Mila (2 ans) et Nayla (8 mois) pendant son après-midi de libre.

La petite Nayla est née l’été dernier pendant l’Euro, après la déroute contre l’Italie à Rome (0-3). Yann Sommer était rentré en vitesse au pays, avant de porter la Nati jusqu’en quarts de finale de la compétition.

À Gladbach, les esprits sont encore marqués par la démission du directeur sportif Max Eberl, qui s’est retiré du football en larmes, épuisé par la pression. Yann Sommer a travaillé avec lui pendant sept ans et demi. Pour lui, la gestion de la santé mentale est un thème central dans le sport professionnel. «Pour construire mon équipe, j’ai beaucoup appris de Roger Federer», explique-t-il.

Yann Sommer, est-ce que vous arrivez bien à dormir?
Absolument. La petite fait déjà ses nuits. Elle se couche à sept heures et se réveille à six heures. Je dors donc suffisamment, sans problème. Mais bien sûr, la vie a bien changé, nos deux filles ont un autre rythme, il y a beaucoup plus à faire, même pour moi en tant que papa. C’est très agréable, nous profitons beaucoup de ces moments. C’est une période merveilleuse.

Ce qui l’est moins, c’est la saison avec Mönchengladbach qui est plutôt mauvaise jusqu’à présent.
Oui, c’est très mitigé. Nous l’avions vraiment imaginée autrement.

L’objectif, c’était une qualification en Ligue des Champions.
Bien sûr, après les campagnes internationales que nous avons menées ces dernières années, cela devait être l’objectif. Mais cela appartient déjà au passé.

Avez-vous peur de la relégation?
Non. Nous devons nous battre contre cette situation et nous en sortir. On voit chaque week-end à quel point tout est serré en Bundesliga.

Pourquoi en êtes-vous arrivé là?
C’est vraiment difficile à expliquer. Il nous manque de la constance. Nous avons battu deux fois le Bayern, mais nous avons rarement réussi à enchaîner les victoires. Nous n’avons pas atteint notre plein potentiel. Cela doit changer, et vite.

Le club a été secoué. Il y a quelques semaines, le directeur sportif Max Eberl a donné sa démission en raison d’un burn-out. Il était au club depuis 1999 et directeur sportif depuis 2008. Comment avez-vous vécu la conférence de presse où il a quitté le club en larmes?
Je n’ai pas tout vu, car nous sortions du terrain d’entraînement. Mais j’ai bien sûr été touché par sa détresse. Il m’a fait venir de Bâle en 2014 et nous avons donc travaillé ensemble pendant très longtemps.

Vous le connaissez depuis huit ans. Aviez-vous ressenti des signes annonciateurs de ce burn-out?
Non. Nous n’avons pas toujours eu un contact étroit. C’était plutôt une relation entre un chef et un sportif, même si nous avions beaucoup de confiance l’un envers l’autre. Et puis, il était toujours présent sur le banc et dans le vestiaire.

Il vous a averti de sa démission la veille. Comment s’est passé ce moment?
C’était très surprenant. Personne ne s’y attendait, mais l’équipe l’a bien pris. C’est très sérieux quand quelqu’un te parle de ce genre de choses. J’espère qu’il pourra prendre le temps qu’il faut pour se rétablir complètement.

Avez-vous encore eu des contacts avec lui ces dernières semaines?
Non. Je pense que peu de personnes en ont eu.

Pour succéder à Max Eberl, il était question du Bernois Christoph Spycher, mais il s’est désisté. Est-ce qu’il aurait convenu à Gladbach?
Je ne le connais que vaguement, nous n’avons pas joué ensemble en équipe nationale. J’ai entendu beaucoup de bien sur lui. Mais avec Roland Virkus, nous avons trouvé une solution à l’interne. Notre nouveau directeur sportif interne connaît le club et tout le monde. C’est excitant et encourageant.

Max Eberl souffrait mentalement. En tant que sportif, que faites-vous pour rester sain d’esprit?
C’est pour moi un énorme sujet, qui me préoccupait déjà il y a environ 15 ans. Car même en tant que junior, on sent qu’il y a de la pression quand on est footballeur. Dès l’âge de 18 ans, j’ai décidé de m’entourer d’un entraîneur mental. C’est à partir de ce moment-là que Christian Marcolli m’a rejoint.

De quoi parlez-vous avec lui?
De tout. Nous parlons par exemple beaucoup de la manière dont je dois aborder les matches, avec quelle attitude. Comment gérer la pression et la nervosité. Je pense qu’un burn-out peut toucher tout le monde, car chacun est fait différemment, chacun gère le stress et la pression autrement. L’important, c’est de donner de temps en temps un peu de répit à son esprit.

Avez-vous déjà été à bout psychologiquement?
Non, j’arrive toujours très bien à alterner entre ma vie privée et celle de footballeur. Et je gère bien les louanges et les critiques. Mais oui, la gestion des critiques, notamment dans les médias, est quelque chose de vraiment important et difficile.

Quel a été le pire moment pour vous?
En fait, je n’ai jamais rien lu qui m’ait extrêmement offensé. Il faut faire la différence: les journalistes jugent le fond, regardent chaque match, connaissent le business du football. Lorsque nous discutons pour savoir si j’ai fait une erreur ou non contre l’Italie lors du 1-1 à Rome, il s’agit d’une critique constructive. Car, elle vient des professionnels qui font simplement un autre travail. Mais sur les réseaux sociaux, beaucoup de choses sont destructrices. Je les lis de moins en moins. Même si je réponds parfois à des messages sympathiques sur Instagram.

L’un des problèmes de la santé mentale, c’est justement cette surabondance de réseaux sociaux sur les téléphones portables. Comment gérez-vous cela?
Quand je suis en famille, ce n’est pas un problème. Le téléphone portable est alors loin de moi. J’essaie aussi de le mettre de côté lorsque je voyage avec l’équipe.

Votre préparateur mental s’est aussi occupé de Roger Federer.
Oui, Roger Federer est une grande source d’inspiration pour tous les sportifs. Nous nous sommes vus plusieurs fois autour du FC Bâle et nous avons aussi discuté. Le secret de son succès réside sans doute dans le fait qu’il s’est entouré d’une petite équipe en laquelle il a confiance à cent pour cent, afin de pouvoir se concentrer entièrement sur le tennis. Il est important d’avoir un soutien fiable en dehors du terrain de football. Dans mon cas, c’est devenu comme une petite PME familiale.

Vous avez, en plus du préparateur mental, un coach personnel. Que fait-il?
Le préparateur mental s’occupe de l’esprit, le coach personnel du corps. La musculature, la mobilité, parfois aussi des exercices plus méditatifs. Nous nous voyons deux fois par semaine. Ensuite, j’ai aussi deux autres personnes de confiance sur le plan médical. Le médecin et les thérapeutes du club sont importants, mais je fréquente aussi des spécialistes externes en fonction de mes besoins.

Qu’est-ce qui vient encore s’ajouter à cette équipe?
Une manager qui s’occupe entre autres du marketing, des relations avec les médias, du sponsoring et des œuvres caritatives. Un conseiller financier et un avocat, et pour les réseaux sociaux, j’ai un photographe qui m’aide aussi. Puis, bien sûr, un agent qui s’occupe des transferts et des prolongations de contrat. Et ma famille, qui est particulièrement importante pour moi. En premier lieu, ma femme Alina, qui assure toujours mes arrières, ce que j’apprécie beaucoup.

Que fait votre père Daniel?
C’est lui qui a signé les premiers contrats avec le FC Bâle, il a été mon premier entraîneur de gardien. Aujourd’hui, je le décrirais comme mon papa et ma personne de confiance.

Et votre maman Monika?
Elle s’occupe toujours de la comptabilité, elle est donc quasiment la chef des finances de ma petite PME. Tout est donc réparti sur onze paires d’épaules, en plus de nombreux autres interlocuteurs formidables au sein du club et de l’équipe nationale.

L’interlocuteur principal a changé avec la Nati. Qu’est-ce qui est nouveau sous Murat Yakin par rapport à Vladimir Petkovic?
Beaucoup de choses. Chaque entraîneur a un caractère et un style complètement différents. C’était un grand changement. J’ai connu «Muri» en tant que joueur, j’étais alors troisième gardien à Bâle. Je me suis réjoui de la décision de la fédération.

Il a d’abord dit qu’il fallait veiller à ce que Yann Sommer ne soit pas le meilleur homme à chaque match…
Oui, nous jouions auparavant avec beaucoup de courage et de puissance vers l’avant, ce qui permettait à l’adversaire de se procurer régulièrement des occasions inutiles. De son côté, «Muri» attache beaucoup d’importance à un bon équilibre entre l’offensive et la défense.

Et pourtant, il fallait se qualifier directement pour la Coupe du monde. C’est quand même fou que l’Italien Jorginho a manqué deux penalties contre vous. Avec Chelsea, il en a marqué 13 d’affilée.
Ce sont des situations où, en tant que gardien de but, tu essaies de semer le doute. Déstabiliser le tireur, comme je l’ai fait en huitième de finale de l’Euro contre Mbappé. Malgré tout, les chances de réussite sont faibles. Chez Jorginho, le timing est important, il attend longtemps avant de faire un pas. Sur le premier penalty, où je suis resté longtemps debout, mon tempo était parfait.

Et sur le deuxième, il a tiré au-dessus. L’avez-vous déstabilisé?
Peut-être. Je me prépare avec l’entraîneur des gardiens Patrick Foletti avant chaque match. Nous regardons ensemble des vidéos, nous étudions le style des tireurs potentiels.

C’est aussi grâce à vous que la Nati peut se rendre au Qatar. Est-ce que les quarts de finale sont aussi jouables à la Coupe du monde?
Je ne suis pas fan de ce genre de déclarations. Si nous avions été éliminés par la Turquie lors du troisième match de groupe à l’Euro, l’ambiance aurait été très différente.

La Coupe du monde au Qatar fait l’objet de nombreuses critiques. Comment voyez-vous cela en tant que sportif?
C’est un sujet très délicat, mais la fédération et nous nous en préoccupons. Il s’agit de bien savoir comment nous traitons le sujet pour que l’on puisse avancer au Qatar sur des thèmes comme les droits de l’homme.

Que pensez-vous des menaces de boycott?
Nous misons sur le dialogue et non sur le refus. Et lorsque le football est en jeu, les gens doivent pouvoir en profiter. En tant qu’équipe, nous ressentons très bien à quel point les gens en Suisse nous soutiennent après cet Euro réussi.

Avez-vous peur que l’équipe soit à nouveau chamboulée par des débats sur la vaccination? Certains joueurs comme Granit Xhaka ou Kevin Mbabu n’ont pas voulu se faire vacciner.
J’espère que la situation s’améliorera d’ici novembre. Mais chacun est libre de prendre sa décision. Pour moi, il était clair dès le début que je me ferais vacciner.

Encore trois questions sur l’avenir. Premièrement: allez-vous prolonger votre contrat à Gladbach, qui court jusqu’en 2023?
Je ne le sais pas encore. Ce n’est pas le moment de me préoccuper d’autre chose que de notre situation actuelle.

Deuxièmement: allez-vous continuer avec l’équipe nationale après la Coupe du monde 2022?
Là aussi, c’est complètement ouvert. Il est hors de question que je prenne une décision avant la Coupe du monde. Après, il y aura suffisamment de temps.

Troisièmement: jusqu’à quand souhaitez-vous jouer et comment pouvez-vous imaginer votre vie après votre carrière?
Je me sens très bien, j’investis beaucoup dans mon corps et j’aime mon travail. Gigi Buffon joue toujours à 44 ans. Je jouerai tant que j’y trouve du plaisir et que mon corps me suit. Si un jour je n’aime plus aller à l’entraînement, j’arrêterai. Ce que je ferai après, c’est ouvert. J’ai déjà quelques idées en tête.

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