Plus injoignable que Joe Biden, écrivais-je dans l’épisode précédent. Impossible donc de se caler un rendez-vous à l’aéroport. Sachant que nous prenons le même vol – c’était là tout l’objectif –, cela ne devrait pas être trop compliqué de trouver Luca, appelé à cristalliser l’attention durant toute la journée. Bingo! À peine entré dans le terminal que le voici qui culmine devant moi. Entre lui et moi: trois caméras et deux fois plus de journalistes. Il n’est pas encore sept heures, mais il y a davantage de files pour approcher le «Superfan de la Nati» qu’au centre PCR de l’aéroport de Kloten.
Un journaliste de la presse gratuite alémanique a tiré le bon ticket, le premier. Son défi: trouver une langue commune avec le Jurassien, qui ne parle pas allemand. Il va donc poser les questions en anglais et obtiendra des réponses en français. We have a deal. Le «Superfan» explique qu’il est content d’être là, qu’il remercie beaucoup Swiss et qu’il prédit une victoire suisse par deux buts à un. Et ce sera tout, au suivant. Le journaliste lui demande de faire un peu de promotion pour son média, mais obtient un refus.
Plutôt un pote que sa copine
Pendant que l’employé de banque travaille sa paraphrase en expliquant la même chose mais, autant que faire se peut, avec d’autres mots à l’équipe média suivante (en l’occurrence la télévision SRF), d’autres journalistes impatients de créer du contenu tournent leur caméra vers un autre homme posté à côté. Comme Luca, il est grand. Très grand. Un mètre 98 sous la toise exactement comme son compère, apprendra-t-on plus tard entre deux rayons du duty free.
Le prénom de l’autre Hulk suisse? Jarkko, d’origine finlandaise. Il a grandi dans le même village que le plus connu des Jurassiens – au moins jusqu’à ce soir. Ami fidèle, Jarkko est le «+1» de Luca. Pas question pour le «Superfan» d’inviter sa copine au détriment de son compère de toujours, avec lequel il a vu plusieurs dizaines de rencontres de la Nati. «Le foot, on le vit ensemble», explique le physiothérapeute. Presque toujours: pas convaincu des chances helvétiques, Jarkko s’était épargné le déplacement en Roumanie. Mal lui en a pris, au vu du scénario, mais il ne sera pas puni pour son pessimisme. Au contraire, il aura droit à une séance de rattrapage de luxe, à condition d’accepter une autre casquette que celle qui cache sa chevelure hirsute: conseiller aux médias.
Marques, médias et influenceurs
Sur son bloc-notes, Jarkko compile religieusement toutes les demandes. Du moins celles qui ont passé le filtre, puisqu’il y en a eu «plusieurs centaines», selon les deux hommes. RTS, Swiss, Canal Alpha et Credit Suisse: le programme est chargé jusqu’au décollage prévu à 9h25. Il ne devrait pas faiblir une fois les pieds posés sur sol russe. À Saint-Pétersbourg aussi, médias («Gazzetta», «Russia Today») et marques (Gazprom, Radisson) se tireront la bourre (rime facile, je sais) pour obtenir une bribe du planning de ministres des hommes-sandwichs. «Ah, et il y a encore des Youtubeurs espagnols qui ont 35 millions de followers et veulent faire une vidéo», s’extasie Jarkko, qui s’est bien pris au jeu.
L’affaire semble méticuleuse, elle est pourtant complètement improvisée. Jusqu’au week-end dernier, Luca Loutenbach n’avait de compte sur aucun réseau social, et il en était fier. Cela a bien changé. Le Jurassien en profite – «Même si en buvant ce Red Bull, j’ai l’impression de faire du marketing», sourit-il –, mais il s’agit également d’une stratégie défensive. «Tellement de gens ont usurpé mon identité, c’est fou! Il y a eu des cryptomonnaies lancées à mon nom pour escroquer des gens», s’étrangle le jeune homme de 28 ans.
Le drapeau du Jura dans les bagages
Canal Alpha vient nous interrompre pour arracher quelques déclarations à la star du jour. Jarkko prend le relais et constate avec amusement que son compère a emporté avec lui le drapeau jurassien. «Nous ne le prenions plus depuis un petit moment, mais il veut sans doute assumer son rôle de héros local», rigole l’ami de Luca.
Un homme en uniforme s’approche de nous, visiblement à la recherche de quelqu’un. «You’re looking for Sir Loutenbach, right?», l’interroge Jarkko. «No, I’m looking for Dario.» À force, nous avions oublié que la terre ne tournait pas autour du visage le plus vu de la semaine sur Instagram. Ou peut-être que si, finalement: Dario s’occupe des réseaux sociaux de Swiss.
«Si c’est gratuit, c’est toi le produit», dit le dicton. Le duo va donc prendre la direction du tarmac pour poser fièrement avec l’avion qui nous transportera vers Saint-Pétersbourg ainsi qu’avec le «cabin crew». Il faut dire que la compagnie a mis les petits plats dans les grands pour ses passagers VIP et leur escorte médiatique – qui a payé elle-même son billet. Puisque c’est de moi que l’on parle, je fais la file en la prestigieuse compagnie d’un certain Philippe Senderos.
Avec le variant Delta qui plane sur nos têtes (le jeu de mots est éculé), il faudra faire preuve de la plus haute vigilance, quand bien même nous sommes tous vaccinés et avons réalisé un test PCR avant l’embarquement. Il a aussi fallu obtenir un fan ID de l’UEFA, qui servira de visa (la démarche est presque aussi fastidieuse) et remplir de nombreux formulaires. Tout est en ordre, tout comme le shooting de Swiss avec les deux égéries nationales.
Le temps de s’installer, de se restaurer et de rédiger ces quelques lignes (sur un téléphone, ce n’est pas très pratique), il est très exactement 11h21, nous sommes quelque part à 950 km de Saint-Pétersbourg, où notre atterrissage est prévu à 12h36 heure suisse. «Mesdames et messieurs, quelques passagers/ères vont être tiré(e) s au sort pour passer un nouveau test PCR à l’atterrissage», explique le commandant de bord. Un quart de finale de l’Euro en temps de Covid, ça se mérite.
Note: un troisième épisode suivra après la rencontre, d’ici là, retrouvez les péripéties de Luca et Jarkko sur nos réseaux sociaux ainsi que dans notre direct.