Cela s'est passé mercredi à Milan. La surprise fut de taille, lorsque Valon Behrami est sorti du parking souterrain pour rejoindre la Piazza Como: les cheveux de l’ancienne star de la Nati sont poivre-sel.
Valon Behrami, où sont passés vos cheveux blonds?
Disparus. Tous mes tatouages ont également été recouverts, j’ai maintenant 37 ans et je suis dans une nouvelle étape de ma vie.
Quand avez-vous porté vos cheveux naturels pour la dernière fois?
Il y a environ 20 ans, je crois. Ensuite, je me suis toujours teint les cheveux — sauf en 2009, lorsque je me suis déchiré les ligaments croisés antérieurs à West Ham. Ensuite, j’ai décidé, par superstition, de toujours me teindre les cheveux jusqu’à ce que j’arrête le football. Il y a quelques mois, j’ai pris du recul et j’ai arrêté de me teindre les cheveux. Je gagne beaucoup de temps, car avant, je passais quatre heures chez le coiffeur toutes les six semaines.
Votre voiture aussi est moins spectaculaire. Avant, vous conduisiez des Lamborghini et des Ferrari, maintenant vous arrivez en Range Rover.
Oui, c’est fini les voitures de sport où l’on est assis si bas sur le sol. J’ai mal au dos. Vraiment.
Votre retraite sportive n’a jamais été communiquée. C’est un coéquipier de Brescia qui l’a révélée dans une story Instagram.
Il voulait faire quelque chose de bien, mais il a fait l’inverse.
Qu’auriez-vous fait?
Je n’aurais rien communiqué du tout. J’aurais tout simplement arrêté. Lara et moi avons supprimé tous nos réseaux sociaux il y a cinq ans. C’était la meilleure décision de ma vie — nous sommes beaucoup moins stressés. Je suis mort de rire en voyant des footballeurs qui mettent toute leur vie sur Instagram et se plaignent ensuite d’être attaqués et qu’il faut préserver leur vie privée. Ce sont des conneries. La solution est à portée de clic. Supprime ton profil et tu seras tranquille.
Mais entre footballeurs, il y a aussi une compétition pour savoir qui a le plus de followers.
Oui, c’est très bien et tu peux aussi gagner de l’argent avec ça. Mais alors fais-le, prends l’argent et l’attention. Et ferme ta g*****.
Vous n’avez pas donné d’interview pendant trois ans. Pourquoi?
Parce que je ne voulais plus mélanger vie privée et football. Ma dernière année en Serie B à Brescia, c’était de trop. Je n’avais plus aucune émotion envers les supporters, le sport, et je sentais que d’autres choses étaient plus importantes. Un exemple: quand mes filles — elles ont maintenant 13 et 6 ans — venaient me rendre visite le vendredi et que je devais aller à l’hôtel le samedi pour le match du lendemain avec l’équipe, je ne voulais pas. Je voulais être avec mes filles. Pendant sept ou huit mois, je ne ressentais tout simplement plus rien, j’étais mentalement mort. Cela m’était égal que nous gagnions ou que nous perdions.
Voilà qui ressemble à un burn-out.
Non, pas du tout. Dans ma vie privée, j’étais et je suis super heureux. Il n’y a qu’avec le football que c’était comme ça. Mon corps n’était plus en adéquation avec le sport de haut niveau.
Et maintenant que vous avez pris votre retraite, que faites-vous de vos journées?
Le matin, à sept heures, je fais du crossfit. En tant que footballeur, j’avais du mal à me lever à neuf heures. En tant que retraité, j’y arrive, tout à coup… Et en Italie, je suis consultant et co-commentateur pour la chaîne privée DAZN. Cela signifie que je dois être à la page. Je regarde trois ou quatre matches par jour, je lis, je m’informe. Et je me rends compte que vous, les journalistes, avez un travail vraiment difficile (rires)…
Corso Garibaldi, dans le centre-ville. Behrami commande un verre de vin blanc au restaurant Radetzky. Comme d’habitude en Italie, il y a des olives, des poivrons et un peu de pizza pour l’apéritif. Pour mettre Behrami en jambes, nous décidons de le faire parler de 2018, lorsque l’entraîneur Vladimir Petkovic l’a expulsé de la Nati...
Petkovic vous a fait savoir en 2018 qu’il prévoyait de faire jouer la Ligue des Nations à de jeunes joueurs. Vous l’avez ressenti comme un limogeage de la Nati — et vous avez quitté l’équipe nationale, énervé.
Je me suis fait expulser, j’en suis sûr à 100%. Il ne voulait plus non plus convoquer Stephan Lichtsteiner, c’est certain. Mais lorsque mon cas a fait trop de vagues et que Steph s’est trop défendu, il a renoncé.
Avez-vous encore des contacts avec Petkovic?
Certainement pas. Plus du tout! Je ne veux plus avoir dans ma vie que des personnes qui me font du bien. Je lui faisais confiance et il m’a trahi. Cela m’a fait très mal. Je n’ai plus besoin de lui et je ne veux plus échanger avec lui.
Mais sur le plan professionnel, Petkovic avait raison. Vous n’auriez plus été assez bon pour l’Euro 2021.
C’est comme ça. S’il me l’avait dit en face, j’aurais pris ma retraite internationale avec plaisir. Et après une déception certaine, je l’aurais admiré pour sa franchise. Mais il ne m’a pas respecté. Tu ne peux pas dire ce genre de choses à un joueur comme moi dans une conversation téléphonique de 30 secondes. Il avait peur de ma réaction s’il me le disait en face — et peut-être à juste titre. Il s’est passé des choses lors de la Coupe du monde 2018 en Russie. Une bagarre a éclaté à l’hôtel après le premier match contre le Brésil.
Une bagarre?
Presque. J’étais tête contre tête avec le secrétaire général de l’époque et nous nous sommes hurlés dessus.
Qu’est-ce qui s’est passé?
Tout le monde était content après ce super match et tous les proches des joueurs étaient à l’hôtel. C’était aussi le cas de Lara et de mes parents. Nous avons mangé ensemble, ma femme et mes parents se sont mis à table. Le secrétaire général (ndlr: Alex Miescher) s’est approché, et il leur a reproché de ne pas avoir de respect, et de ne même pas lui avoir dit bonjour. Puis ça a dégénéré et nous nous sommes battus. Accuser ma famille de ne pas avoir de respect, cela m’a profondément touché — parce qu’ils se comportaient comme tout le monde.
On a aussi insinué que Lara était trop souvent dans votre hôtel.
C’est juste parce que Lara est célèbre, c’est certain. Nous avons toujours respecté les règles. Toujours. D’autres femmes de joueurs étaient là bien plus souvent. Mais nous nous voyons si peu — pourquoi passer du temps ensemble lors d’un tournoi devrait-il être interdit? Mais justement, les scandales ont continué. Soudain, tous les binationaux ont voulu partir de la Nati à cause de ce même secrétaire général.
Il avait donné une interview selon laquelle il fallait envisager d’interdire les binationaux — et a démissionné plus tard.
Exactement, tous les binationaux ne voulaient plus jouer pour la Suisse.
Tous? Même Granit Xhaka et Xherdan Shaqiri?
Pour Shaqiri, je ne sais plus exactement. Mais sinon, tous, oui. J’ai pris la défense de mes coéquipiers — et j’ai appelé Alex Miescher pour lui exposer le problème. Cela n’a pas aidé et l’ASF n’a rien fait. Je me suis fait d’autres ennemis, c’est clair.
Avant cela, l’affaire de l’aigle bicéphale avait fait les gros titres.
Aujourd’hui encore, je déteste parler de ce sujet. Nous jouons au football, nous ne faisons pas de la politique. Ce geste n’a rien à faire sur un terrain de football, c’est un non-sens. Lorsque nous jouons, nous ne sommes pas en guerre. Au Kosovo, on m’a reproché de ne pas avoir fait ce geste. Les joueurs serbes sont pourtant mes amis, ils sont nés après la guerre. Lors de cette Coupe du monde, tout le monde devrait simplement jouer au football et faire abstraction de tout le reste.
Avez-vous été touché par la guerre?
Et comment! J’ai fui à l’âge de quatre ans et demi à Stabio, au Tessin. J’ai pleuré toutes les nuits pendant deux mois. Mes grands-parents me manquaient, il faisait très froid, je n’aimais pas la nourriture. Nous avions été placés dans un hôtel d’accueil pour réfugiés.
Comment êtes-vous arrivés en Suisse?
Nous sommes arrivés du Kosovo par le dernier bus, lorsque nous avons compris qu’il n’y avait plus d’avenir. Peu de temps après, la guerre a commencé. Notre maison a été brûlée, nous avons perdu des amis et des parents, un oncle s'est retrouvé en prison. Chacun de nous a son histoire. Ma tante et un autre oncle se sont cachés et ont été retrouvés. Toutes les femmes ont été mises d’un côté et tous les hommes de l’autre. Et ma tante a dû regarder son mari et tous les autres se faire tirer dessus. Le pire, c’était l’incertitude, parce qu’on ne savait pas grand-chose.
Il n’y avait pas encore de téléphone portable.
Oui, et puis tu entendais à la télévision que 20 personnes étaient mortes. Et tu ne savais pas si c’étaient tes grands-parents. Je ne comprenais pas encore tout, mais pour mes parents, c’était terrible. En même temps, nous nous sommes installés en Suisse, nous avons appris l’italien, nous sommes allés à l’école. Mon père livrait des salamis pour Rapelli, car il ne voulait pas l’argent de l’État. Ma mère travaillait dans une usine qui fabriquait des cylindres de voiture. J’ai fait de l’athlétisme, puis du football. Et puis, tout à coup, on nous a annoncé que nous devions être expulsés.
C’était en 1998.
Quel choc ça a été... Nous avons reçu une lettre qui nous informait que nous devions partir d'ici à trois mois. Je pleurais à nouveau tous les jours. Et puis le football m’a aidé. Le père d’un coéquipier s’est engagé pour nous et a récolté 2000 signatures dans la commune. Nous avons pu rester.
Vous l’avez aussi rendu au pays, puisque vous avez longtemps évolué pour l’équipe nationale.
Je pense que nous sommes quittes.
Behrami est maintenant assis au restaurant El Porteño. Il commande un verre de vin rouge pour accompagner son steak argentin. Un sujet nous brûle les lèvres: comment gère-t-il sa vie privée depuis qu'il est marié à Lara Gut-Behrami, l’une des femmes les plus connues de Suisse?
Comment votre vie a-t-elle changé lorsque vous avez rencontré votre femme?
Après quelques mois, nous avons pris la décision de nous éloigner des gros titres et des réseaux sociaux. C’était la meilleure décision de notre vie.
Un de ces titres disait qu’elle était tombée amoureuse de votre Ferrari.
C’est une chose qui m’a beaucoup dérangé. Parce qu’on décrivait une femme qui tombe amoureuse d’un riche footballeur juste à cause de sa grosse voiture. Désolé, mais Lara peut s’acheter dix Ferrari si elle le veut! Comme si elle était tombée amoureuse de moi pour une voiture… Notre histoire était bien plus que cela.
Comment ça?
J’avais vécu une rupture difficile qui m’avait beaucoup affecté. Je n’ai dormi que très peu durant des semaines, car j’avais tellement du mal à voir ma famille se déchirer et de ne plus voir mes filles. Ensuite, je me suis blessé. Et j’ai rencontré Lara chez un physio. Elle m’a demandé des conseils pour sa déchirure des ligaments croisés, parce que j’étais souvent blessé. Puis nous avons échangé quelques messages et sommes allés boire un verre. Une chose en a entraîné une autre. Nous nous comprenions. Nous devions gérer les déceptions, la pression et les émotions en tant que sportifs. C’est ce qui nous a liés.
Pourquoi vivez-vous en Italie?
Parce que Lara et moi avons le droit à une vie privée, ici. A Sion, nous vivions ensemble, mais nous ne nous sentions pas libres. Les gens étaient gentils, mais en Valais, nous sommes toujours observés. A Udine, personne ne nous reconnaît. En Suisse, nous avons vécu des choses qui ne nous ont guère plu, comme lorsque quelqu’un a dit un jour à ma femme: «Tu es beaucoup plus belle qu’à la télévision.» Je l’ai remis à sa place, car je trouve inconcevable que quelqu’un réduise ainsi ma femme à son apparence. C’est une skieuse.
Vous allez encore sur les courses?
Plus maintenant, non. Je regarde tout à la télévision. Quand je suis dans la raquette d’arrivée, toutes les caméras sont braquées sur moi. Et cela m’énerve. Elles devraient être braquées sur ma femme, pas sur moi.
Vous voulez des enfants plus tard?
Cela ne dépend pas de moi, mais de la carrière de ma femme. C’est aussi quelque chose que j’ai toujours trouvé irrespectueux. Quand nous nous sommes mariés, on a tout de suite spéculé. Et les gens ont dit: «Elle n’est pas concentrée sur son sport.» Lorsqu’un homme se marie, on dit plutôt: «Il est enfin serein dans son sport, il est devenu plus calme parce que sa femme le regarde.»
00h44, Piazza Duomo. Dernières photos. Et une histoire sur sa période à Naples… «Tout à coup, j’ai eu un pistolet braqué sur ma tête», commence Valon Behrami...
Comment ça?
J’étais assis dans la voiture, on me suivait et je ne l’avais pas remarqué. Ils ont brisé mon rétroviseur latéral et j’ai baissé la vitre. Puis j’ai eu le pistolet braqué contre ma tempe. On m’a pris ma montre et j’étais choqué. L’un d’eux portait un collant sur la tête, mais j’ai vu le deuxième — et je suis allé à la police.
Cela a-t-il aidé?
Oui. J’ai été convoqué pour une confrontation, comme dans un film, derrière une vitre. Je l’ai identifié. Pendant les deux ou trois mois qui ont précédé le procès, je me suis senti menacé par la famille de cet homme. Un jour, je suis allé chez le coiffeur avec ma fille — et ils m’ont volé ma voiture. J’ai alors dit: «Je veux partir de Naples.»
Vous avez récupéré votre montre et votre voiture?
Oui. On a tout retrouvé — parce que j’étais joueur de Naples.
Parlons encore de Balotelli. Est-ce que ça va bien se passer bien avec Christian Constantin?
On verra bien. Constantin aime le spectacle, les interviews et est même parfois venu à la pause pour faire un discours dans le vestiaire. C’est assez problématique et je suis curieux de voir comment cela va se passer avec Balotelli. Mais…
Oui?
Je n’ai jamais eu de problèmes humains avec CC, mais je jouais mal. Ce n’était pas le bon club pour moi et je n’étais pas le bon joueur pour le club. Je lui ai dit un jour: «Pourquoi payer autant d’argent pour un joueur comme moi et ne rien faire avec tes infrastructures?» Il vaut mieux renoncer à un joueur comme moi ou Balotelli et construire quelque chose de moderne. Une fois, j’étais dans la salle de musculation qui était pleine de sportifs amateurs et tout le monde voulait échanger avec moi. Tu ne peux pas travailler dans ces conditions en tant que professionnel. Ça me stressait.
Étiez-vous beaucoup stressé à Sion?
Une nuit, je me suis réveillé à 4 heures du matin et mon visage était gonflé. Lara était avec moi. À cinq heures, nous sommes allés à l’hôpital et on a découvert que c’était une réaction au stress. Le médecin m’a dit que je devais prendre de la cortisone. Je lui ai répondu: «D’accord, mais c’est contraire aux règles antidopage.» Le médecin m’a demandé qui j’étais. J’ai dit que j’étais un joueur du FC Sion. Si je ne l’avais pas dit, j’aurais été suspendu plus tard pour dopage. Pour moi, cela montre le manque de professionnalisme en Valais. Et c’est pour ça que je suis curieux de voir comment l’affaire Balotelli va se terminer à Sion.