Dans le football français, son prénom a longtemps rimé avec famille, cadeaux et festivités. Né le 25 décembre 1941, Noël Le Graët doit à la nativité de se prénommer ainsi. Mais depuis le 7 janvier, tout s’est déréglé dans la crèche du ballon rond français, où ses opposants savent désormais que ses jours sont comptés à la présidence de la puissante FFF, ou 3F, la Fédération française de football.
En deux semaines, le bilan de ce chef d’entreprise breton, élu pour la première fois à ce poste le 18 juin 2011, rime avec le pire des pratiques sportives. Mauvais dribble. Mauvais gestes. Mauvaises parades. Désormais sous enquête judiciaire pour harcèlement moral et sexuel, alors que des audits internes ont été commandités par le Ministère des sports, le «coach des coaches» sait, à 81 ans, qu’il ne pourra plus jouer les prolongations.
Une fin de match présidentiel gâchée
Pourquoi une telle fin de match présidentiel gâchée? Pourquoi un tel manque de jugement au micro de RMC lorsque, le 9 janvier, celui qui préside toujours la FFF affirme, façon «tonton flingueur», qu’il n’aurait même pas décroché si Zinédine Zidane lui avait téléphoné pour proposer de succéder à Didier Deschamps comme sélectionneur des Bleus? Une théorie circule à Paris depuis le fameux coup de fil: celle d’un passage à vide lié, peut-être, à quelques verres trop pleins. Facile.
Le scénario de la dérive et du potentat footballistique est malheureusement plus crédible. En une décennie passée à la présidence de la FFF, Noël Le Graet a dérivé comme un bateau dont personne ne regarde la barre, le long des côtes bretonnes qu’il affectionne. «Imbu de sa personne, paternaliste… Ceux qui l’ont rencontré en dressent un portrait sombre», notait, fin 2022, l’un des auditeurs chargés d’examiner les plaintes pour abus de pouvoir au sein de l’organisation.
Oublié, l’atterrissage sans turbulences
Noël Le Graët avait pourtant une fin de parcours doré sur un plateau. Malgré les polémiques sur la tenue du Mondial de football au Qatar, un pays très impliqué dans le ballon rond français, la performance des Bleus lui garantissait un atterrissage final sans turbulences. Réélu pour quatre ans le 13 mai 2021, l’ancien maire socialiste de Guingamp (1995-2008), fondateur d’un groupe agroalimentaire, aurait pu suivre les conseils de ses proches qui lui suggéraient de partir avant le terme de son mandat, avant le prochain Euro en juin-juillet 2024. «Son problème est qu’il a pris peur, estime, protégé par l’anonymat, un ancien élu breton qui l’a bien connu. Noël a cru que la meilleure défense face à ces mises en cause, c’est l’attaque. Il s’est laissé piéger par sa paranoïa.»
Une autre explication avancée par son entourage est son état de santé et son goût des manœuvres secrètes. Au début des années 2000, l’intéressé, qui démarra dans la vie active comme instituteur, est frappé par un cancer des voies digestives, qu’il surmonte et ne révélera que bien plus tard, en 2018. Son combat n’est alors pas que médical. Le pouvoir au sein de la FFF est un dopant. Trois fois, il parvient à se faire réélire. Et ce, après deux mandats à la tête de la Ligue des clubs professionnels. Bien joué. Dribble parfait et tir au but réussi.
Ceux qui le comparent avec Jean-Michel Aulas, le président de l’Olympique Lyonnais (qui affirme ne pas vouloir prendre les rênes de la FFF) , insistent surtout sur les différences entre les deux hommes. «Aulas est un homme d’affaires mondialisé, juge un journaliste de 'L’Équipe'. Il ne se voit pas comme un parrain et il n’est pas aussi têtu que Le Graët. Le Lyonnais aime les coups qui rapportent à son club, et il coalise autour de lui. Le Breton a toujours joué en défense. Il a bétonné son pouvoir au lieu d’intégrer ses rivaux ou détracteurs.»
Le piège Zinédine Zidane
Et Zidane dans tout ça? Car c’est à cause de l’ex-champion du monde que tout a basculé lorsque Le Graët a déclaré, fanfaron, sur RMC: «Je ne l’aurais même pas pris au téléphone. […] Cela m’étonnerait qu’il parte là-bas. Il fait ce qu’il veut, cela ne me regarde pas. Je ne l’ai jamais rencontré et on n’a jamais envisagé de se séparer de Didier Deschamps. Je n’en ai rien à secouer, il peut aller où il veut, dans un club, il en aurait autant qu’il veut en Europe, un grand club. Une sélection, j’y crois à peine en ce qui me concerne.»
Didier Deschamp réagit enfin aux propos de Le Graët:
Là, le contentieux est plus profond et les excuses qui ont suivi n’y changeront rien. Le Graët, homme du terroir et provincial dans l’âme, a toujours préféré le Basque Didier Deschamps au Marseillais d’origine algérienne. Question de style, mais aussi de tempérament. Zidane est un taiseux qui ne prise pas trop les agapes à la française, les réflexions salaces, bref «le patrimoine gaulois», rigole un familier de la FFF.
Zidane est aussi, surtout, un homme de pouvoir en raison de ses contacts internationaux. Il a, dit-on, le soutien du Qatar. Bref, il est indépendant, par tempérament. Deschamps, lui, a toujours fait le dos rond et misé sur le tandem formé avec ce président qui l’a promu sélectionneur dès son arrivée à la FFF, en 2012. Avec le succès que l’on sait.
Lassitude républicaine
Le Graët, enfin, n’a pas compris la lassitude qui s’est installée à son sujet dans les arcanes du pouvoir en France. Emmanuel Macron, supporter de l’Olympique de Marseille même s’il est originaire de Picardie, aurait adoré voir Zidane conduire la destinée des Bleus. L’actuelle ministre française des Sports, ancienne dirigeante de la Fédération française de tennis et épouse du patron de la Société Générale, l’une des premières banques françaises, veut internationaliser le plus possible l’élite dirigeante du sport français avant d’accueillir les Jeux olympiques à Paris, à l’été 2024 (du 26 juillet au 15 août, juste après l’Euro en Allemagne).
Or Le Graët est un menhir. Trop français. Trop vieux. Trop ancré dans l’ancien monde du foot, celui qui fut le sien dans l’aventure du club de Guinguamp, qu’il dirigea de 1972 à 1991, puis de 2002 à 2011.
Les excuses à Zidane de Noël Le Graët:
Fin de partie pour ce dinosaure du ballon rond, dont la fin fait inévitablement penser à celle de l’ex-patron de la Fédération française des sports de glace, Didier Gailhaguet, parti sur fond de scandale et d’accusations similaires en 2020. Écarté de son poste le mercredi 11 janvier 2023, après une réunion extraordinaire entre tous les membres du comité exécutif de la 3F (COMEX), remplacé par l’un de ses adjoints (Philippe Diallo), Noël Le Graët ne peut être démis que par une Assemblée fédérale de la FFF. À moins que ce natif des Côtes-d’Armor, enfin conscient de son naufrage, ne décide enfin d’abandonner le gouvernail de son navire. Et de mettre pied à quai.