L’égalité salariale n’est pas encore un acquis. Dans le monde du football et des équipes nationales, c’est même un mirage dans bien des pays. Joueurs et joueuses n’évoluent pas dans le même monde financier. Pourtant, certaines nations tentent d’inverser cette tendance en rétribuant équitablement les hommes et les femmes en sélection. La Norvège a été une pionnière en la matière et les Américaines – quadruples championnes du monde – traînent leur fédération devant les tribunaux pour gagner plus. Dernière avancée en date dans ce dossier, l’Irlande s’est fermement engagée pour l’égalité salariale au début du mois.
Et la Suisse alors? On a posé la question à Tatjana Haenni, cheffe du football féminin à l’Association nationale. Un poste que la Bernoise (ancienne joueuse de la Nati) a aussi occupé à la FIFA par le passé (de 1999 à 2017). Pour elle, il faut dépasser l’effet d’annonce. Le problème ne se limite pas aux salaires des meilleures joueuses du pays.
La fédération irlandaise a annoncé il y a deux semaines que ses joueurs internationaux – hommes et femmes confondus – seront payés la même chose. À quand la parité salariale avec la Nati?
Malheureusement, ce n’est pas si simple et ce n’est pas pour demain. La différence de moyens entre le football masculin et féminin en Suisse ne se résume pas au salaire des joueurs et joueuses en équipe A. Mieux payer celles qui sont au sommet de la pyramide ne suffit pas pour gommer toutes les autres disparités. Au contraire, j’y vois même un effet d’annonce, un coup marketing qui est l’arbre qui cache la forêt.
Elle ressemble à quoi la forêt dans le football suisse?
Les différences sont nombreuses. Pour vous donner un exemple, le nombre d’entraîneurs et de d’encadrements n’a rien à voir. Chez les femmes, le sélectionneur de l’équipe A, Niels Nielsen est aussi en charge des équipes juniors – des M19 aux M16 – en plus du centre de formation national à Bienne. Je ne crois pas que Murat Yakin a le même cahier des charges.
Les revenus ne sont pas les mêmes non plus.
Evidemment. Les droits TV ou le sponsoring, par exemple, sont très différents. Les montants versés dans le foot masculin sont démultipliés. C’est aussi le cas pour les primes de qualification pour les grands tournois versés par l’UEFA ou la FIFA. Pour la Coupe du monde féminine 2019 en France, les 24 équipes devaient se partager 30 millions de dollars. Au Mondial 2018 en Russie, l’enveloppe atteignait 400 millions de dollars pour les 32 sélections masculines. C’est incomparable, c’est vrai. Mais l’Association suisse de football a annoncé que le développement du foot féminin était l’une de ses priorités à court terme. C’est aussi une volonté portée par le président Dominique Blanc. Cela nécessite des investissements, comme c’est le cas pour les sélections juniors masculines par exemple qui ne rapportent pas d’argent. Je vais m’engager pour que les budgets suivent.
Mais quand même, est-ce qu’en 2021, l’ASF ne pourrait pas payer la même chose ses deux équipes nationales A?
Il faudrait alors changer le système de rémunération qui est complètement différent. Les hommes sont payés en fonction de leurs performances et des objectifs atteints. Chez les femmes, toutes les joueuses ne sont pas professionnelles. Elles doivent donc prendre congé ou réduire leur taux de travail pour être en équipe nationale. Leur rémunération tient plus de la compensation salariale, à l’image d’une assurance perte de gain (APG). Mais, encore une fois, à mes yeux il y a d’autres chantiers plus significatifs et urgents pour développer le football féminin suisse.
Est-ce que la Nati masculine et ses joueurs cadres devraient s’engager et soutenir publiquement cette cause?
Ce n’est pas leur responsabilité de savoir combien gagnent les internationales suisses. Mais si on parle de l’égalité salariale, cela pourra passer par un soutien de la Nati masculine. Mais je pense que les médias et les sponsors ont aussi un rôle à jouer. Ces derniers pourraient par exemple exiger qu’une partie significative des sommes versées soient destinées au football féminin. Tout est lié, si le niveau de jeu augmente, que les matches sont télévisés et médiatisés, l’intérêt du public augmentera. Les sponsors auront ainsi plus de retours sur leur investissement.