Parfois, une hyperbole est la meilleure des illustrations. «Les deux tiers de la terre sont recouverts d’eau. Le tiers restant par N’Golo Kanté», a dit un jour Gary Lineker, légende de l’Angleterre, en parlant de l’humble mais très précieux milieu de terrain français de Chelsea.
Kanté a fait de la conquête du ballon une forme d’art. Le milieu de terrain, qui ne mesure que 168 centimètres, travaille sur chaque mètre du terrain, récupérant des ballons partout, ne faisant pratiquement pas de faute, fermant les espaces, resserrant le jeu ou ralentissant le rythme, déclenchant des attaques. Le tout avec un calme qui a depuis longtemps fait la légende du Parisien. «Il est la clé de tout. C’est deux joueurs en un», s’extasie Thomas Tuchel, son entraîneur à Chelsea, à propos de son infatigable maestro du milieu de terrain.
A lire aussi
Beaucoup d’éloges pour celui qui, a œuvré dans l’ombre de nombreux exploits collectif: le titre de champion du monde 2018 de la France, les titres de champion d’Angleterre avec Leicester en 2016 et Chelsea en 2017, la Ligue Europa en 2019 et la Ligue des champions en 2021 avec les Blues.
Trop petit, trop silencieux
Le danger de voir Kanté prendre la grosse tête? Inexistant. Le natif de la capitale est une anti-star née. Rien n’est plus inconfortable pour le joueur au sourire timide que d’être sous le feu des projecteurs. Il ne donne presque jamais d’entretiens. On ne sait pratiquement rien de sa vie privée. Seulement que son père, originaire du Mali, travaillait comme éboueur à Paris et qu’il est mort quand N’Golo n’avait que 11 ans. Il a aussi perdu l’un de ses huit frères et sœurs, décédé d’une insuffisance cardiaque.
Kanté, l’homme qui préférait les actes sur le terrain que les paroles en dehors. Il est pourtant aujourd’hui extrêmement populaire auprès des fans du monde entier, précisément parce que peu d’autres professionnels incarnent ce décalage supposé entre des performances de classe mondiale et une existence tout à fait ordinaire.
Kanté ne semble jamais être sous pression. Six ou 60 000 spectateurs? Pour Kanté, cela ne fait aucune différence. Il sourit quand même. «Mon jeu s’est développé comme ça parce qu’à Paris, je jouais avec les autres dans la rue ou dans le parc», disait-il à l’époque de Leicester.
Ce qui vaut à Kanté des points de sympathie supplémentaires est qu’il s’est épanoui tardivement. Si le destin n’en avait pas décidé autrement, il jouerait encore dans ce parc aujourd’hui, plutôt que demain à Bucarest pour le huitième de finale du championnat d’Europe contre la Suisse. Le milieu de terrain n’a jamais fréquenté le centre de formation d’un grand club, et encore moins le centre national de formation de Clairefontaine comme Kylian Mbappé (22 ans), qui vient comme lui d’une des banlieues parisiennes.
Des clubs comme Amiens, Sochaux, Rennes et Lorient l’ont refusé lorsqu’il était adolescent. Les raisons: trop petit, trop silencieux.
Premier contrat professionnel à 21 ans
Au lieu d’évoluer dans un bon club, il joue pendant longtemps en sixième division. Sa carrière footballistique semblant être dans une impasse, Kanté a suivi un apprentissage de comptable. Mais il a rejoint ensuite la première équipe de Boulogne, a joué en troisième division avant de devenir professionnel pour la première fois à l’âge de 21 ans.
Caen a découvert N’Golo Kanté, l’a fait venir en Ligue 1 à 22 ans, où il est resté deux ans avant de partir à Leicester pour 10 millions de francs en 2015. Le reste appartient à l’histoire. L’outsider de la Premier League, avec une cote de 5000 contre 1, devient champion d’Angleterre de manière sensationnelle.
N’Golo Kanté envoie même le capitaine de l’équipe nationale suisse de l’époque, Gökhan Inler, sur le banc. Le Français est transféré à Chelsea pour environ 40 millions de francs juste après le titre.
Mais même à Londres, Kanté reste tout simplement Kanté. Malgré un salaire de plusieurs millions d’euros, il se déplace toujours dans sa Mini Cooper, car «c’est dans cette voiture qu’il a appris à conduire à gauche et c’est là qu’il se sent le mieux».
Un jour, il a raté son train pour Paris. Le fervent musulman s’est rendj dans une mosquée de Londres pour prier. Les fidèles l’ont reconnu. Invité à dîner, le footballeur vedette a accepté spontanément l’invitation, passant toute la soirée chez ses inconnus.
Et sur le terrain, il est plus fort que jamais. En finale de la Ligue des champions, il a été élu «homme du match» durant la victoire de son Chelsea face à Manchester City. Alors qu’il n’avait fait que son travail, avec la minutie d’un comptable qualifié.