Il faut être honnête: un gardien titulaire à Dortmund le serait également dans la plupart des sélections nationales. Mais ce n’est pas le cas pour la Suisse. L’indéboulonnable gardien de Gladbach, Yann Sommer, occupe le poste de numéro 1 en équipe nationale depuis août 2014. Gregor Kobel, gardien du BVB, doit donc ronger son frein.
Vous êtes le numéro 1 du Borussia Dortmund depuis un peu moins de quatre mois maintenant. Quel a été le plus grand changement après vos passages à Hoffenheim, Augsbourg et Stuttgart?
Gregor Kobel: C’est une tout autre dimension. Je fais désormais partie d’un des dix meilleurs clubs au monde. Mais le plus grand changement est à mettre au compte de la Ligue des champions. Nous avons des matches tous les trois jours et beaucoup plus de voyages. Mon corps doit encore s’adapter. Dernièrement, j’ai eu une tendinite au genou et j’ai malheureusement dû manquer la fenêtre internationale avec la Nati. Mais cette tension accrue est quelque chose que j’ai attendu avec impatience. C’est à ça que sert le football et je suis vraiment content.
Et votre adaptation dans la ville de Dortmund, comment se passe-t-elle?
Très bien, j’ai un bel appartement mais je vais peut-être déménager (rires). J’arrive à un âge où je me sentirais mieux dans une maison.
Vous n’avez que 23 ans...
Tout va plus vite dans le football. Je suis sûr que cela inclut également le fait de devenir indépendant plus rapidement. Je suis seul à l’étranger depuis l’âge de 16 ans et j’ai beaucoup de coéquipiers qui ont déjà une petite famille à mon âge.
Allez-vous devenir père?
Non, non. J’ai encore le temps.
Vous gardez votre petite amie complètement hors de la vue du public. Pourquoi?
Pour le moment, je préfère garder certaines choses privées.
Êtes-vous satisfait de votre début de saison sur le plan sportif?
Il est bon. Nous aurions pu gagner plus souvent et nous avons égaré quelques points. Mais nous sommes en haut du classement en Bundesliga, nous avons de bons résultats en Ligue des champions et nous sommes toujours en lice en Coupe. Ça se passe donc plutôt bien.
Vous êtes parti à Dortmund pour remporter le championnat?
Devenir champion d’Allemagne, c’est bien sûr un rêve. Et gagner des titres est toujours l’objectif à Dortmund. Mais pour le moment, nous allons tenter de remporter le plus de matches possible et nous verrons où cela nous mène. Personne n’a jamais gagné de titres avec des paroles.
Est-il réaliste de vouloir terminer devant le Bayern cette saison?
Nous travaillons dur pour cela.
La situation du gardien de but à Dortmund est particulière. Il y a vous comme titulaire, Marwin Hitz comme gardien remplaçant et Roman Bürki, troisième dans la hiérarchie. Comment le vivez-vous?
Le fait que nous soyons trois Suisses est une situation un peu particulière. Bien sûr, ce n’est pas toujours facile. Mais nous travaillons tous ensemble et essayons de nous pousser les uns les autres.
Comment sont les relations entre vous trois?
Je dirais professionnels et positives.
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Comment Roman Bürki, à qui vous avez pris la place, se comporte-t-il avec vous?
Je ne peux pas me plaindre, il reste professionnel.
Et Marwin Hitz?
Pour la troisième fois: de manière professionnelle.
Les gardiens de but peuvent-ils être amis?
Oui. Je considère Fabian Bredlow et Jens Grahl, avec qui j’étais à Stuttgart, comme des amis. Mais gardien de but est un drôle de poste: d’un côté, vous êtes en compétition et de l’autre, vous devez vous pousser à mieux travailler. Mais une attitude détendue et une bonne ambiance font aussi partie du jeu.
Votre idole d’enfance était Oliver Kahn, n’est-ce pas?
En tant que petit garçon, oui. J’étais impressionné par son agressivité et je regardais plusieurs de ses matchs. Mais j’ai aussi travaillé avec Jens Lehmann à Augsbourg, où il était assistant. Je l’ai écouté et j’ai beaucoup appris.
Entre Lehmann et Kahn, ce n’était pas exactement une histoire d’amour. L’entraîneur national de l’époque, Jürgen Klinsmann, a fait de Kahn son numéro 2 avant la Coupe du monde en 2006 et a mis Lehmann dans les cages.
Je m’en souviens comme si c’était hier. Je regardais tout à la télévision, comme les comparaisons pour savoir qui était le meilleur. C'est un pan entier de de l’histoire des gardiens de but.
En 2019, vous avez quitté Augsbourg, club de Bundesliga, pour Stuttgart, club de seconde division alors que vous auriez pu rester dans l’élite. Pourquoi avoir fait ce pas en arrière?
Ce n’était pas un pas en arrière, mais je vais vous expliquer ma décision. Tout d’abord, les dirigeants de Stuttgart me voulaient vraiment. Ensuite, après avoir expérimenté les petits clubs de Bundesliga comme Hoffenheim et Augsbourg, Stuttgart était un club mythique. Chaque match, on jouait devant 60’000 personnes et on avait la pression de devoir tous les gagner afin d’être promus à la fin de la saison. C’était une préparation parfaite pour Dortmund, où il faut aussi gagner tous ses matches. De plus, j’étais dans une équipe qui faisait le jeu et j’ai donc pu me développer sur le plan footballistique. Stuttgart a créé un environnement où les jeunes joueurs peuvent bien se développer. C’était la décision parfaite.
Les choses ont bien commencé pour vous à Dortmund, même si l’équipe a encaissé trop de buts.
Bien sûr, et nous essayons de changer cela. Il y a encore trop souvent des lacunes. Mais nous jouons de manière très offensive. C’est quand même plus agréable à voir jouer. Mais vous savez ce qui m’embête vraiment?
Dites-le nous.
Lors des dernières rencontres, j’ai toujours été battu par un joueur suisse. Une fois par Andi Zeqiri d’Augsbourg et une fois par Denis Zakaria de Gladbach. Quand c’est Denis, ça m’ennuie particulièrement. Il en avait déjà marqué contre moi la saison dernière, son seul but de la saison. Contre moi. Ça commence à sérieusement m’embêter (rires).
Pourquoi êtes-vous toujours resté en Allemagne?
J’aime la mentalité, l’enthousiasme pour le football et dans les stades. Il n’y a aucune raison pour moi d’aller dans un autre pays pour le moment.
Parlons de l’équipe de Suisse. Vous n’avez pas été retenu pour l’Euro par Vladimir Petkovic. Vous n’étiez que numéro 4 derrière Yann Sommer, Jonas Omlin et Yvon Mvogo. Avez-vous compris cette décision?
Oui, bien sûr. Lorsque Jonas s’est blessé, j’ai quand même été autorisé à voyager avec eux. Sous Murat Yakin, je suis désormais numéro 2, ce qui me rend très heureux. Mais pour être honnête, la Nati n’est pas encore ma priorité cette année. Tout d’abord parce que Yann fait du très bon travail. Ensuite, car je dois m’habituer au nouveau rythme ici avec le championnat et la Ligue des champions. Je ne me prends pas la tête avec tout ça.
Votre chance pourrait se présenter après la Coupe du monde 2022 au Qatar. Yann Sommer devra alors décider s’il prend sa retraite de l’équipe nationale, à l’âge de 34 ans.
C’est encore un peu loin. Mais c’est certainement un rêve et aussi mon objectif de devenir le numéro un de la Nati à un moment donné de ma carrière. C’est quelque chose dont on rêve même quand on est un petit garçon.
En Allemagne, on a parlé d’une «ambition démesurée» à votre égard. Vous êtes d’accord avec cette affirmation?
Non, je ne pense pas être trop ambitieux.
Travaillez-vous avec un coach mental?
Oui. Pour un gardien de but, le côté mental d’un match est très important. Il faut continuer à développer cet aspect.
Comment ces discussions vous aident-elles?
Je deviens plus mature, j’apprends à mieux classer mes priorités. C’est un processus général. On parle des exercices que je peux faire ou des livres que je peux lire pour élargir mon horizon.
Que lisez-vous en ce moment?
En ce moment, la biographie de Rafael Nadal. Mais il peut aussi s’agir de sujets complètement différents, par exemple, j’ai aussi lu «The Shoe Dog», la biographie du fondateur de Nike, Phil Knight.
Parlons de votre période en Suisse. Vous avez grandi à Zurich?
Quand j’étais bébé, ma famille s’est installée à Davos pour une courte période, où mon père était hockeyeur. Il a également évolué à Kloten et Zurich. Mais je ne me souviens pas de ses matches. Seulement que j’étais autorisé à aller dans le vestiaire avec lui après une rencontre et parler à Arno Del Curto, qu’il connaissait bien. Le reste du temps, j’ai grandi à Zurich.
Étiez-vous déjà gardien de but dans votre enfance?
Oui, directement. Ma mère m’a inscrit à des cours de tennis au complexe sportif de Lengg (ZH), où les terrains de football et les courts de tennis sont très proches les uns des autres. J’ai vu mes camarades de classe jouer au football et j’ai immédiatement voulu y participer. J’avais sept ans et j’ai tout de suite été dans les buts. Après un ou deux ans, je suis parti à Grasshopper. Ils avaient besoin d’un gardien de but, et par chance, j’ai été autorisé à partir là-bas et j’y suis resté. Même si toute ma famille est fan du FC Zurich.
Et vous pas?
Non, j’étais pour GC. Mais mon père, ma mère, mon oncle... ils supportaient tous le FCZ.
On dit aussi que votre père a été votre premier entraîneur aux buts.
Je ne dirais plus ça maintenant, il n’a pas pu m’apprendre grand-chose… (rires) Non, mais en tant qu’ex-professionnel, il a pu m’apprendre beaucoup de choses. Il a toujours été important pour mes parents que nous fassions beaucoup d’exercice, de sport et que nous soyons dehors. J’ai joué au football, au tennis, au hockey sur glace, j’ai fait du ski et du snowboard. Papa m’a rapidement dit que j’avais plus de talent au football qu’en hockey. Et en tant qu’ancien pro, il pouvait m’expliquer que je devrais faire beaucoup de sacrifices pour réaliser mon rêve.
Par exemple, vous êtes parti à l’étranger à 16 ans parce que l’histoire à Grasshopper ne s’est pas concrétisée. Pourquoi?
Parce que je ne voyais pas vraiment de perspectives. Le club ne m’a pas montré qu’il comptait sur moi ou qu’il s’appuyait sur moi. J’étais numéro 2 ou 3 chez les U18 et personne ne m’a dit: «Greg, on te trouve bon, on veut que tu deviennes pro ici un jour.» À ce moment-là, Hoffenheim est venu me dire qu’ils me trouvaient excellent et qu’ils voulaient que je rejoigne l’équipe première dans deux ans. Ils m’ont montré un plan d’avenir et c’était la meilleure décision à prendre. Partir à l’étranger à 16 ans, avoir mon propre appartement, faire ma propre lessive, cuisiner pour moi-même. Cela m’a fait mûrir très tôt, sur et en dehors du terrain.
Est-ce aussi une satisfaction pour vous, par rapport à GC, de défendre les buts de Dortmund?
Non, pas du tout. Ma carrière, je la fais pour moi.
Aujourd’hui, vous vous entraînez avec Erling Haaland, l’un des meilleurs joueurs du monde et une future star. A l’entraînement, vous préférez l’avoir dans votre propre équipe?
Au contraire. J’aime les défis. Erling peut toujours jouer contre moi. C’est un grand attaquant. C’est incroyable ce qu’il peut faire et le chemin qu’il a parcouru à son âge. Rapide, excellent à la finition, grand, fort. Il a le profil du buteur parfait. Et un bon gars en dehors du terrain. C’est très amusant. C’est dommage qu’il nous manque en ce moment (ndlr: il a raté quatre des cinq derniers matches du BVB en raison de problèmes musculaires).
Vous êtes-vous déjà fait des amis à Dortmund?
Nous passons beaucoup de temps ensemble sur le terrain. En dehors, il faut encore du temps pour construire cela.
Vous avez des meilleurs amis?
Oui, un ou deux de mon enfance. Et en Allemagne, il y a quelqu’un avec qui j’ai vécu à Hoffenheim dans ma première colocation. Aujourd’hui, il joue pour Mannheim, en troisième division.
À 23 ans, vous avez déjà quatre passages en Bundesliga derrière vous. Comment sera Gregor Kobel dans dix ans?
Je ne sais pas, mais j’espère avoir gagné quelques titres. Le rêve serait le championnat allemand, bien sûr.