Énumérer les plus grandes figures de la Premier League? Compliqué. Thierry Henry, Alan Shearer. Que faire d'Eric Cantona, Cristiano Ronaldo, Gianfranco Zola et tous les autres? La complexité de cette tâche – de par la densité de joueurs talentueux qui ont marqué l'histoire du championnat anglais – est une des preuves de sa qualité. Aujourd'hui encore, il trône à la première place du classement UEFA devant la Serie A italienne et la Liga espagnole.
En Suisse, il n'est pas rare de croiser – au détour d'une conversation footballistique – un fan atteint par la fièvre du foot anglais. Nombreux sont ceux allant jusqu'à payer des fortunes pour une place à Old Trafford ou à Anfield. Des ravagés de «fote» pour certains, des puristes de la Premier League pour d'autres, qui refuseraient, même sous la contrainte ou contre rémunération, d'aller voir un match de Super League entre le FC Sion et le Lausanne-Sport (pas tous), mais dépensent des centaines de francs chaque semaine pour s'envoler en direction de Liverpool, Londres, Newcastle et Manchester.
Comment expliquer l'attrait du football d'outre-Manche sur ces fans du Valais, du canton de Vaud ou de Fribourg? Blick est allé poser la question à ces passionnés romands.
Des histoires de famille
«La passion de Manchester United? Elle nous a été transmise par notre papa, qui est fan depuis toujours. De cette passion, on a eu les abonnements, ça doit faire une dizaine d'années», explique Roxanne Chevalley. Ancienne joueuse d'Yverdon Sport, la Nord-vaudoise essaie de voir un match des Red Devils au moins deux fois par saison. Celle qui va au Stade municipal d'Yverdon depuis qu'elle est en âge de marcher partage son amour pour ce sport avec son frère, ses parents et même ses grands-parents: «Le foot, c'est une histoire de famille.»
Comme l'admiration pour un artiste, le goût pour le ski ou les médailles du tir cantonal à grand-papa, certains s'appliquent à transmettre leur attachement pour un club. «Depuis que je suis gamin, j'ai toujours adoré Liverpool. Même avant l'ère Jürgen Klopp, les années où c'était le pain noir. Ce club-là, son histoire, les valeurs – je pense que ça me correspond dans l'état d'esprit. J'aimerais beaucoup y retourner. J'ai mon garçon qui a dix ans, qui est forcément un Scouser (ndlr: terme utilisé pour désigner les personnes de Liverpool), parce qu'il suit le père (rires). Il meurt d'envie d'aller un jour à Anfield. Il fête son anniversaire après-demain. On ira bientôt voir des matches», se réjouit Florent May, responsable des sports pour la chaîne de télévision valaisanne Canal 9. «Tu sens que le lien envers le club, c'est au-delà du foot, c'est culturel, c'est familial, c'est profond», continue le journaliste, qui suit notamment le FC Sion de près dans le cadre de son travail.
Déformation professionnelle ou souvenirs intrusifs – le récit du Valaisan est ponctué d'anecdotes sur le club anglais: «Le premier match européen de Jürgen Klopp à l'extérieur, c'était à Tourbillon (ndlr: Le deuxième – Liverpool s'était déjà déplacé sur le terrain de Rubin Kazan). Au stade, ils n'avaient pas encore changé le système de chauffage de la pelouse. Le match s'est joué en hiver, il faisait froid… Toute une partie de la pelouse avait gelé. Jürgen Klopp en avait fait un scandale.»
Une société tournée autour d'un club
Bien souvent, l'aura des clubs anglais dépasse le simple sport. Avec sa tradition ouvrière, Newcastle est sûrement l'un d'eux. Malgré leur rachat en 2021 par un fond d'investissement saoudien, les résidents de Saint James' Park ont su garder leur identité et la passion qui anime le club.
«Là-bas, le club joue un grand rôle social. Les gens vivent, se rattachent au club. S'il va bien, la région ira bien. Si le club joue mal, c'est toute la région qui ira mal», explique le fan des Magpies Christian Bavaud. Difficile d'imaginer un parallèle avec sa région yverdonnoise: lorsqu'Yverdon Sport jouait en 1re ligue, voilà encore quelques années, les amateurs de football du coin s'en émouvaient certes, mais l'économie locale continuait de tourner...
Tombé amoureux de Newcastle lors d'un voyage d'études en 1996, il va chaque année six à sept fois à St James' Park. Quelques matches à l'extérieur aussi. «C'est plus compliqué d'avoir des billets maintenant que le club joue le haut du tableau», confie le fan de foot. Et lors des années noires de Newcastle? «La chute en deuxième division a été très compliquée pour le club.» Christian Bavaud continuait-il à les suivre? «7 à 8 fois par saison.»
L'esprit plus que le spectacle
Le jeu est rude, rapide – la majorité des rencontres sont disputées. Cette forme intensive de football offre un véritable spectacle au public en tribunes. Ces dernières, si ce n'est des chants dont la créativité des paroles les rend souvent viraux, restent calmes en comparaison à d'autres championnats européens. Le résultat d'années de politique de lutte contre le hooliganisme.
«Je ne vais pas à Old Trafford pour l’ambiance, mais pour la passion. Le foot y est rassembleur», détaille quant à lui Dylan Erismann, fan des Red Devils et fils de fan des Red Devils. Le Valaisan retient avec passion la rencontre la plus mémorable que son père a pu vivre: la finale de la Ligue des champions en 1999 au Camp Nou.
En attendant le prochain titre européen de Manchester United, Dylan Erismann les suit de près. Cette saison, il a traversé sept fois la Manche. «Le week-end, ils vivent pour le football ou le cricket. Dès le matin, les gens sont au pub avec une pinte de bière et le maillot de club. Tout le monde y participe: parents, enfants, des personnes de 85 ans… Tout le monde!»
«L'hymne national anglais est sifflé»
A chaque club son identité et sa part de politique. A Liverpool, dans le nord-ouest, s'est développée une culture ouvrière partagée avec d'anciennes cités industrielles. Le club a subi dans sa chair la tragédie d'Hillsborough, lors de laquelle 97 spectateurs périrent, et a vécu de l'intérieur toute la répression qui a suivi. Parmi les supporters des Reds, une forme de défiance envers le gouvernement a grandi au fur et à mesure.
«Le club est multiculturel, avec une grosse base de supporters irlandais. C'est vrai que ce n'est pas vraiment le même type de club qu'un club londonien. Il y a cette particularité, notamment chez les Scousers, de ne pas s'identifier à l'équipe d'Angleterre. Quand Liverpool joue en finale de Coupe de la Ligue ou en FA Cup à Wembley, l'hymne national anglais est sifflé, chose qui est quand même assez particulière dans un pays en général qui respecte un peu les traditions», explique Jérôme Murisier: un amoureux de l'identité du club de Liverpool.
Membre des Swiss Liverbirds, un fan club des Reds composé de près de 400 membres, le Vaudois détaille avec coeur l'histoire de Liverpool. Un passionné qui a fait à l'époque tous les déplacements européens de son équipe. Depuis son Gros-de-Vaud, Jérôme Murisier explique avoir traversé le continent. Il a voyagé en Russie, à Kiev également, pour voir les Reds jouer. «Par passion, juste par passion.»