«J'aurais pu passer pro mais tu connais, les croisés…» Cette phrase – blague sur les réseaux sociaux –, Noha Sylvestre (25 ans) peut la prononcer au premier degré. Ancien junior de West Ham, le Jurassien s'est déchiré à trois reprises les ligaments croisés du genou droit. Au total, 24 mois de rééducation ont entaché une carrière qui s'annonçait prometteuse.
D'ailleurs, le milieu de terrain n'était pas dans l'effectif des SR Delémont, qui se sont qualifiés en Coupe de Suisse face à leur voisin d'Ajoie-Monterri ce vendredi soir (0-3). En octobre dernier, il a subi la troisième grosse blessure de sa carrière. «Mais je m'entraîne à nouveau et je pourrais normalement le réintégrer dans deux semaines», nous confie-t-il.
Le Jura, puis Bâle
Mais la question la plus importante à laquelle Noha Sylvestre doit répondre pour le moment concerne son prénom. Pourquoi ce «h» au milieu? «Tu devrais la poser à mon père, en rigole le fils de Patrick, ancien international suisse. Je n'ai jamais vu quelqu'un l'écrire comme ça, mais j'aime bien.» En Angleterre, cela ne lui a pas posé problème. «Mais en Suisse alémanique, ça sonnait différemment», précise-t-il.
Car avant de rejoindre Londres, Noha Sylvestre a fait ses classes à Bure (JU), puis s'en est allé à Concordia Bâle. «A la fin de la saison, un recruteur de West Ham est venu à un match et j'avais bien performé, se souvient Noha Sylvestre. J'ai eu l'opportunité d'aller une semaine là-bas et ça s'est bien passé. Je vivais un rêve que j'avais dans la tête depuis tout petit: devenir footballeur professionnel.»
Le capitanat à West Ham
Bien sûr, son arrivée chez les Hammers est un beau dépaysement pour le Jurassien. «Lors du premier entraînement, je me fais casser deux dents par un coéquipier, se remémore – avec un sourire réparé – Noha Sylvestre. Je n'aime pas le dire mais là-bas, c'est soit tu bouffes, soit tu te fais bouffer.»
Mais ce ne sont pas ses deux dents brisées qui vont empêcher le jeune joueur de croquer la vie à pleines dents dans la capitale anglaise. Rapidement, il s'impose dans le club. Chez les M18, Noha Sylvestre porte même le brassard de capitaine et se voit offrir un premier contrat pro. Sur le terrain, tout se passe pour le mieux.
Évidemment, il a parfois un peu le mal du pays: «Mais j'ai la tête dure et je savais ce que je voulais. Même si c'était très difficile, je me disais: 'T'as le choix, tu peux laisser tomber. Tu as le droit de rentrer à la maison, il n'y a pas de problème. Mais tu as eu une opportunité que tu as gâchée. Ou alors, tu te donnes les moyens, tu t'accroches.' J'ai eu énormément de chances d'avoir une famille et des amis en or.»
Deux grosses blessures à la suite
En 2017 arrive la première déchirure des ligaments croisés. «C'était contre Liverpool, sur un contact en fin du match, se souvient le Jurassien. Un duel anodin, car ma jambe reste coincée et le haut du corps part dans l'autre sens.» Une opération en Angleterre, huit mois de rééducation et quelques complications plus tard, Noha Sylvestre peut réintégrer l'effectif.
Mais la poisse le poursuit. «Je reviens et je joue un match. Puis vient la pause estivale et le premier entraînement après, je reçois un ballon à hauteur du genou, détaille-t-il. Il y a eu un mouvement que je pensais à nouveau anodin. Mais l'IRM du lendemain m'annonçait que c'étaient à nouveau les croisés du genou droit.»
Cette fois, le milieu décide de venir se faire opérer et soigner en Suisse. A son retour de blessure, West Ham ne prolonge (logiquement) pas son contrat et il doit faire un choix. Noha Sylvestre prend la décision de revenir dans nos contrées, à Neuchâtel Xamax.
Le retour en Suisse
A l'été 2019, son aventure outre-Manche prend donc fin et le voilà propulsé en Super League. Mais tout ne se passe pas très bien à la Maladière. Il joue contre Young Boys et Saint-Gall, avant d'être relégué avec la deuxième équipe. «Je regrette un petit peu de n'avoir pas eu plus d'opportunités, soupire-t-il. Même si je comprenais la situation du club avec un objectif de maintien.»
La malchance continue de suivre Noha Sylvestre à la trace. Il est prêté à Bienne en janvier 2020 et trois semaines plus tard, le Covid arrête le championnat. L'ancien junior de Bure ne peut même pas revenir à Xamax pour jouer, vu qu'il est sous contrat avec les Seelandais.
«Je ne prenais plus de plaisir»
A la fin de cet exercice 2019/2020, le Jurassien prend la décision de descendre d'un échelon et de signer à La Chaux-de-Fonds. «Ça faisait quatre ans que je ne jouais plus et que je ne prenais plus de plaisir», avoue-t-il. Chose qu'il retrouve (enfin) au Stade de la Charrière. «C'est aussi le moment où je reviens à la vie réelle, après tout ce rêve.» Puis, après une saison là-bas, il revient dans son canton.
Alors que tout se passe pour le mieux aux SR Delémont, voilà le retour de la malchance. En octobre, il se blesse sur le terrain du rival Bassecourt. «C'est un terrain très gras et au moment de changer de direction, je sens comme la toute première fois. Tout de suite, je reconnais malheureusement ce mouvement et je sais.» Un troisième passage sous le bistouri s'impose.
«A ce moment, j'ai la certitude que je ne jouerai plus au foot. J'avais décidé d'arrêter», nous confie Noha Sylvestre. Et pourtant, le voilà à deux semaines de retourner sur le terrain avec Delémont. «J'ai eu une grande réflexion… qui a duré deux semaines, en rigole-t-il aujourd'hui. Puis j'ai décidé de repartir sur une rééducation.»
Aucun regret
Désormais, le rêve de footballeur professionnel semble loin pour Noha Sylvestre. Y croit-il encore? «Je ne me pose pas la question, répond-il. Je suis principalement revenu ici pour représenter le canton. Et j'ai une autre vision de la vie, avec le côté professionnel et la formation, dans lequel je veux vraiment aboutir.» Actuellement, le Jurassien finit sa maturité en apprentissage d'employé de commerce afin de pouvoir ensuite se lancer dans un bachelor en économie d'entreprise.
Mais avec une carrière aussi riche, Noha Sylvestre n'a-t-il pas de regret? «Absolument aucun. Je pense que j'ai pris les bonnes décisions. On peut se poser la question avec Xamax – j'ai peut-être vu un peu gros – mais je n'ai pas de regret. Les expériences que j'ai vécues vont beaucoup m'aider tout au long de ma vie.»
«Je ne méritais pas ça»
Au vu de sa carrière, Noha Sylvestre est l'un des grands «si» du football suisse. Declan Rice, son ancien coéquipier à West Ham, vient de signer pour 120 millions à Arsenal. De son côté, le parcours du Jurassien a été miné par de graves blessures. «Intérieurement, il y a une partie en moi qui est brisée, car à 16 ans, je marchais vers le centre d'entraînement et je voyais les Lamborghini et les Range Rover des joueurs de la première équipe, explique-t-il. J'ai vu très grand, mais sans jamais prendre la grosse tête.»
Mais le résident de Bure précise aussi que c'est surtout de la malchance – «et j'ai le parcours de vie que peu de gens auront, et ça, c'est une chance incroyable.» La poisse l'a pourtant suivi toute sa carrière, comme le lui a dit un jour son médecin. «Je me suis demandé pourquoi ça tombait sur moi, et je pense que je ne méritais pas ça», soupire-t-il. Noha Sylvestre ne perd toutefois pas son sourire et se réjouit de retrouver les terrains avec les SR Delémont.