Avant que tout le Jura tombe sur Blick (ce ne serait pas la première fois), il faut se défendre. Oui, le terme «déclin» est fort. Mais quand on prend la situation d'un point de vue extérieur, il est difficile de trouver un autre mot.
Vingt ans depuis la dernière apparition dans l'élite. Onze depuis celle en Challenge League. Le football professionnel en Suisse se refuse au canton du Jura depuis un certain temps. Le club phare, les SR (pour Sports-Réunis) Delémont, vient à peine de remonter en Promotion League. Mais l'envie de (déjà) retrouver la deuxième division se fait sentir dans les discours. Et le foot (à prononcer «fôte» dans cette région) cantonal ne va donc finalement pas si mal dans cette partie du pays.
«Depuis quatre-cinq ans, on est plutôt dans une phase ascendante, annonce Jacky Borruat, le président de l'Association jurassienne de football (AJF). Les clubs reprennent des places dans le football suisse qui correspondent à leur positionnement.» Les SR Delémont en Promotion League, Courtételle et Bassecourt en 1re Ligue classique, sept clubs en 2e Ligue et un en 2e Ligue Inter. D'ailleurs, cette équipe, c'est le FC Ajoie-Monterri, qui va recevoir «l'ogre» delémontain au premier tour de la Coupe de Suisse (vendredi, 19h30).
Mais à l'exception de Fribourg et du Jura, tous les cantons romands possèdent au moins une équipe dans les deux premières divisions. Blick a essayé de comprendre à quoi cela était dû chez les Jurassiens et deux facteurs semblent l'expliquer: l'argent et la formation.
L'argent fait le bonheur
Le principal problème du football jurassien porte un nom: le HC Ajoie. Bien sûr, toutes les personnes contactées sont très contentes du succès du club de hockey local. Mais la promotion en National League des Vouivres a porté un coup au porte-monnaie des autres sociétés locales.
Président du FC Ajoie-Monterri, Jean-Baptiste Petignat est peut-être l'un des plus impactés par la réussite du HCA. «Les entreprises de chez nous ont un certain budget pour le sponsoring, explique-t-il. Le gâteau reste le même mais il est partagé de manière différente.»
Son homologue des SR Delémont partage ce point de vue. «C'est normal pour les grands sponsors, qui seront plus visibles avec le HC Ajoie», constate Patrick Fleury. Mais il émet toutefois une réserve: «On constate qu'il y a quand même des partenaires footeux, qui sont restés fidèles et derrière nous.» Mais contrairement au hockey, ceux du ballon rond ne sont qu'une poignée.
Aussi les autres sports
Ces plaintes des équipes de foot, Jacky Borruat les entend. «On reçoit ces feed-back de la part des clubs, annonce le président de l'AJF. Dans le Jura, si le HC Ajoie prend 8 à 10 millions de francs du sponsoring, c'est tout de l'argent qui ne va pas aux autres sports.»
Ancien joueur de l'équipe de Suisse et actuellement employé à l'Office des sports du canton, Patrick Sylvestre a pu observer cette mainmise du HCA au niveau financier dans le canton. Et pas seulement sur le football: «C'est quelque chose qu'on perçoit, comme avec Boncourt au basketball.» Le club jurassien vient en effet de se retirer de l'élite. Mais chacun espère que cela n'arrivera pas à ceux de football.
Pour cela, on essaie de trouver d'autres solutions dans le Jura. «L'idée, ce serait d'avoir l'équivalent du HC Ajoie dans le football», expose Patrick Fleury. Loin est l'idée de vouloir installer ses SR Delémont dans l'élite, mais d'en faire le club phare du canton. Du côté de l'Association jurassienne, on veut se focaliser sur la formation des entraîneurs, «mettre des personnes compétentes en place».
Les juniors qui pèchent
La formation des entraîneurs, c'est bien. Celle des juniors a encore beaucoup de travail devant elle. Tous les acteurs contactés s'accordent sur ce point. Actuellement, dans le Jura, il y a un suivi pour les jeunes jusqu'à 15 ans. Puis, dès les M16, les jeunes pousses du canton doivent rejoindre la Fondation Gilbert Facchinetti et la Team BEJUNE (Berne-Jura-Neuchâtel).
«Mais aller à Neuchâtel entraîne des problèmes pour les jeunes, au niveau des déplacements par exemple», soupire Patrick Sylvestre. Pour l'ancien international suisse, faire deux heures (voire plus) de train pour aller et revenir de chaque entraînement peut rapidement décourager les pépites jurassiennes.
«Avec les difficultés qu'il y a pour arriver au sommet – en mettant en parallèle avec les possibilités d'autres sports –, est-ce que certains sont prêts à faire les efforts? Je ne pense pas», répond leur président Jacky Borruat. De plus, les talents jurassiens peuvent difficilement prendre des modèles, puisque quasi aucun joueur provenant de leur canton évolue en Super League. Rare exception: Nathan Garcia, au Stade Lausanne Ouchy.
«Il faut un club phare»
Du côté du FC Ajoie-Monterri, on se revendique comme club formateur. C'est d'ailleurs de cet endroit qu'a éclos l'avant-centre stadiste. «Mais on n'est pas toujours convaincu par la structure BEJUNE, nous avoue son président Jean-Baptiste Petignat. Ils viennent parfois chercher nos joueurs très jeunes – en juniors D par exemple. Ils en prennent beaucoup, puis laissent certains sur le carreau. A ce moment, ceux-là sont dégoûtés du foot et certains changent même de sports.»
Aux Sports, on veut bien avouer leurs fautes. «Notre club n'a peut-être pas investi comme il le fallait dans la partie formation, lâche Patrick Fleury. Mais Delémont n'est pas le seul responsable.» Pour lui, son équipe avait besoin de l'unanimité au niveau régional et ne l'a pas obtenue: «Il faut un club phare dans le canton.»
Et l'avenir?
Malgré un titre un poil aguicheur, il faut l'avouer: le football jurassien va mieux. La remontée des SR Delémont va faire le plus grand bien à tout un canton, qui a retrouvé la troisième division helvétique.
Mais les problèmes ne sont pas si loin. Pour preuve, la fusion du FC Courgenay et du FC Cornol-La Baroche en 2020, qui a donné Ajoie-Monterri. «C'était un mariage presque obligatoire, sinon un des clubs allait couler», nous explique le président Jean-Baptiste Petignat. Mais une chose est sûre: aucune des personnes interrogées ne souhaite d'un «FC Jura» en Challenge ou Super League.
«On veut monter en Challenge League à moyen terme, à savoir entre deux et cinq ans», nous balance le président de Delémont. Un projet viable selon lui. Mais les autres personnes interrogées prennent plus de pincettes.
Les SR Delémont en Challenge League?
«A l'heure actuelle, je dirais que le meilleur club jurassien ne peut jouer qu'en Promotion League, se mouille Jean-Baptiste Petignat. Ça ne serait pas sain pour le sport jurassien qu'on ait une équipe à un échelon supérieur et ça ne tiendrait pas sur le moyen ou long terme.»
Même son de cloche du côté de l'Association jurassienne de football. «Si on se compare à Bienne, aller au-delà de la Promotion League est pratiquement impossible… si on n'a pas un budget à 3-4 millions, souffle Jacky Borruat. Actuellement, avoir les SR Delémont à ce niveau, c'est le mieux qu'on puisse espérer.»
Mais Patrick Sylvestre croit au club qu'il a entraîné durant six mois en 2022. «Ça peut être réalisable, clame-t-il. Cette Ligue n'est pas aisée, avec les contraintes du football professionnel, mais 90% des joueurs qui travaillent à côté. Mais retrouver la Challenge League, ce n'est pas utopique, mais il faut du budget.» Pour l'ex-international aux onze sélections et toutes les personnes contactées, c'est là le nerf de la guerre pour le football jurassien.