Farid est bien seul. Bon camarade, il applaudit au passage des voitures d’où sortent des drapeaux rouges flanqués de l’étoile verte à cinq branches.
Sur sa veste de survêtement, le supporter arbore le nom de son pays, la Tunisie, qui jouera mercredi 30 novembre contre la France. Mais ce dimanche soir sur les Champs-Elysées, l’heure est à la fête d’un autre pays du Maghreb: le Maroc.
Paris, capitale du Maroc qui gagne
Tous Marocains. Tous vainqueurs. Tous fiers de leur équipe qui vient, au Qatar, de battre sèchement deux buts à zéro l’équipe de Belgique, donnée largement favorite. Farid se retourne. Une nuée de supporters, tous enveloppés dans le drapeau marocain, remontent les pavés de la plus prestigieuse avenue parisienne sous la surveillance des forces de police dépêchées sur place dès le coup de sifflet final.
Paris, capitale du Maroc qui gagne. Il est 19 heures et jusque-là, tout se passe bien. Le Tunisien et ses amis acceptent le drapeau que leur tend un automobiliste. Ce soir, eux aussi sont marocains et ils le clament au milieu des «youyous» et des slogans «On a gagné».
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La fièvre marocaine est soudainement montée en fin d’après-midi. Puis, elle s’est mise à faire rougeoyer les Champs-Élysées, enguirlandés par leurs illuminations de Noël. Les touristes des pays du Golfe, nombreux en cette saison, se risquent à chanter en arabe les louanges du Maroc.
Dur pour les Belges et pour la Belgique, où vivent entre 600 et 800’000 Marocains. Un jeune montre sur son portable les images de quelques rues de Bruxelles déjà transformées en zones d’émeutes. Là-bas, des voitures sont retournées et la police a dû intervenir. Rien de tel à Paris, du moins jusque-là. L’ambiance est bon enfant.
«C’est la soirée Tajine pour tout le monde»
Devant le grand cinéma UGC et face au Fouquet’s, le fameux restaurant de l’avenue, Zora et ses copines prennent un selfie en faisant le V de la victoire. L’Arc de Triomphe domine sur les photos. «C’est la soirée Tajine pour tout le monde» clame l’une des filles, tout juste sortie du métro bondé de supporters au drapeau rouge.
Qu’importe si un match de poule reste à jouer contre le Canada. Avoir gagné contre l’une des meilleures équipes de foot européennes suffit à leur bonheur. Et si demain, la France se retrouvait face au Maroc dans la compétition? Les sourires éclatent. «On gagnera de toute façon. Marocaine et française, c’est le ticket de la victoire.»
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Il y aurait pourtant de quoi s’inquiéter. Depuis des mois, les relations entre la France et le Maroc sont en mode tempête. Emmanuel Macron et sa Première ministre, Élisabeth Borne, se sont tous deux récemment rendus en Algérie, le frère ennemi du Maghreb. La polémique sur les réductions des visas accordés aux Marocains, en rétorsion contre le refus du royaume d’accepter ses ressortissants expulsés du territoire français, a fait parler la poudre diplomatique. Rabat et Paris s’évitent.
Les Marocains de France avaient grandement besoin d’un symbole pour dire qu’ils comptent aussi. Ils sont près d’un million en France. Les binationaux ne se comptent plus. L’ancienne ministre socialiste de l’Éducation, Najat Vallaud-Belkacem, a prouvé qu’ils peuvent arriver au sommet de l’État.
L’avenue fétiche des «Bleus» a viré au rouge et vert
Alors, pourquoi avoir peur du Maroc lorsqu’il gagne? «On veut montrer que cette avenue est aussi la nôtre, c’est tout» lâche un père de famille accompagné de ses deux filles. La maman, un voile sur la tête, est en train de nouer le drapeau rouge à étoile verte autour du cou de son aînée. La cadette préfère, elle, arborer le bonnet de père Noël qu’elle vient de se faire offrir, à la fête foraine du jardin des Tuileries.
Un doigt se lève vers le ciel. Au-dessus des Champs-Elysées, un petit drone bourdonne, traînant derrière lui le même drapeau. Applaudissements. Devant l’entrée du Lido, l’un des cabarets les plus célèbres de France, le Maroc est partout.
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L’avertissement est clair. Il résonne. Il rebondit sur les pavés des Champs-Élysées. L’avenue fétiche des «Bleus», celles où ont défilé les vainqueurs de la Coupe du Monde 1998, puis de 2018, peut virer au rouge. «Imaginez ce qui va se passer si on gagne. Paris sera marocain» rigole Hassan, musique locale à fond dans sa voiture. Pas faux. La préfecture de police de Paris a dû revoir, ce dimanche, ses plans à la hâte. La victoire du Maroc n’avait pas été anticipée. En fin de journée, les sirènes se sont mises à hurler. Une vingtaine de cars de police se sont installés de chaque côté de l’avenue, comme un rempart.
Tout va bien. Oui. Et après? Les photos des scènes de liesse à Lyon, Lille ou en banlieue parisienne, donnent le ton sur les portables. Le Mondial est arabe. Le Qatar et le Maroc ont affiché, depuis le début de l’année, leurs très bonnes relations. «Frères un jour, frères pour toujours» ont dit devant les caméras le Premier ministre qatari, Cheikh Khalid Bin Khalifa Al Thani, et le chef du gouvernement marocain, Aziz Akhannouch.
Emmanuel Macron? Son nom n’est pas cité. Le président français aurait dû se rendre au Maroc en octobre. Le voyage n’a pas eu lieu. Sa première et dernière visite remonte à 2017. Il venait alors d’être élu. La France «marocaine» attendait plus, et elle le dit aussi ce dimanche, dans un Paris à la mode «tajine».
Zidane et Benzema, tous deux d’origine algérienne
L’affirmation est en tout cas visible. Les Marocains de l’hexagone font le pari que ce Mondial va servir leur cause. Les Bleus? Leur succès de samedi, contre le Danemark, a fait aussi des heureux parmi les supporters qui klaxonnent sur les Champs-Élysées.
Sauf que… L’un d’entre eux me crie l’évidence à l’oreille. Zinedine Zidane, que l’on dit bien placé pour entraîner demain le onze tricolore? D’origine algérienne. Karim Benzema, le buteur reparti blessé de Doha? D’origine algérienne. Pas simple. Le malentendu est un peu sous-jacent. Les «Vive le Maroc» font taire mon interlocuteur, qui m’égrainait les noms des joueurs d’origine marocaine en Ligue 1. Pour l’heure, les CRS en faction n’ont pas encore mis leurs casques et leurs équipements de protection.
Et mercredi: Tunisie-France
Il est 20h30. Une armada de voitures aux drapeaux rouges s’arrête devant un contingent de policiers pour les saluer. Cette fois-ci, la liesse est paisible. Pas de dégâts à recenser. La symphonie marocaine peut continuer: les Parisiens sont prévenus. Si le Royaume chérifien continue de l’emporter, la fièvre rouge entend bien rendre jaloux les supporters des «Bleus».
Farid a remis sur ses épaules son survêtement marqué «Tunisie». Les Marocains lui adressent des signes de victoire. Pour qu’ils gagnent contre les Bleus? «Non, pour qu’ils fassent le meilleur match possible contre la France et pour que le meilleur gagne» répond une jeune femme. Inch’Allah!