«Oh les pauvres petits, ils veulent faire grève alors qu'ils sont payés des millions?» «Moi, pour 50'000 francs par mois, je jouerais tous les soirs.»
Voilà, maintenant que les arguments démagos et stupides sont évacués, passons au fond du problème: Les footballeurs professionnels jouent-ils désormais trop de matches dans une saison? Ceux qui s'expriment depuis plusieurs semaines sur le sujet ont-ils raison de le faire? Une grève est-elle une bonne idée? Le fait est que le sujet est désormais sur la table et que les médias les plus sérieux s'en sont emparés, notamment après la grave blessure de Rodri, lequel, coïncidence ou non, s'est écroulé sur le terrain ce week-end, quelques jours après avoir dénoncé le rythme infernal du calendrier auquel ses coéquipiers de Manchester City et lui étaient soumis. Et c'est là, justement, qu'on mesure toute l'absurdité de corréler le salaire de ces superstars au nombre de matches qu'ils sont amenés à débuter dans une saison: le fait que les ligaments croisés de Rodri soient ceux d'un multimillionnaire ne les a pas empêchés de céder.
Alors quoi? Grille-t-on les joueurs au profit du fric, du «toujours plus de matches», du «dieu football»? Le raccourci est tentant. Mais il mérite un peu de recul.
Non, 99% des joueurs ne jouent pas trop
Le problème, selon moi, tient beaucoup moins dans le déséquilibre entre les superstars du foot et les autres que dans le calendrier à proprement parler. Un joueur du FC Stade-Lausanne-Ouchy, professionnel du football, joue 36 matches dans une saison, plus deux ou trois de Coupe de Suisse. Il a ses trois semaines de vacances en été, et trois autres en hiver. Il s'entraîne de 10h à 12h, avec éventuellement des séances individuelles l'après-midi et, s'il n'est pas à la maison le samedi comme un travailleur de bureau, il a congé le lundi. Le rythme est tenable et la vérité est que le joueur du FC Stade-Lausanne-Ouchy fait partie des 99% de joueurs dans le monde qui gagnent leur vie avec le football, mais ne sont pas des millionnaires.
Or, qui porte leur voix dans le débat actuel? Personne. Cela ne veut pas dire que Manuel Akanji et Rodri n'ont pas de raisons objectives de se plaindre, mais ils ne représentent qu'eux-mêmes, pas la totalité des joueurs de football de la planète. Prenons le cas du défenseur suisse, vu qu'il est proche de nous. Après l'élimination en quart de finale de l'Euro face à l'Angleterre, le 6 juillet, il a soufflé quelques jours, puis était sur le terrain le 10 août en match officiel avec Manchester City. Mais évidemment, il n'a pas eu 34 jours de vacances, puisqu'il a dû effectuer une préparation. La vérité est qu'il a coupé quelques jours à peine et qu'il entre désormais dans un long tunnel qui l'amènera jusqu'à... juillet prochain, vu que la Premier League joue entre Noël et Nouvel-An, qu'il ne peut pas profiter des trêves internationales pour souffler (étant international suisse), qu'il joue la Champions League en semaine et que la première édition XXL de la Coupe du monde des clubs aura lieu en juin prochain!
La qualité du spectacle souffre
Ce cri-là, il faut l'écouter, et il faut le prendre en compte pour deux raisons: premièrement, la santé de ces vedettes, qui est en question. Et deuxièmement, la qualité du spectacle dans les différentes compétitions. Les superstars sont arrivées cramées à l'Euro (Kevin de Bruyne, Antoine Griezmann, tant d'autres...) justement parce qu'elles jouent trop et qu'elles doivent performer tous les trois jours, et qu'on ne leur pardonne aucun coup de moins bien. C'est ce système-là qui doit évoluer, c'est ce modèle qu'il faut rééquilibrer, celui de ces joueurs de top niveau qui sont engagés dans absolument toutes les compétitions envisageables... et même dans les matches d'exhibition!
Qui se rappelle de ces fans chinois qui avaient payé très cher leur billet pour un match amical de l'Inter Miami et avaient exigé un remboursement, furieux, parce que Lionel Messi était absent? L'absurdité va jusque-là: les consommateurs de football ne viennent plus voir une équipe, ils viennent voir un joueur. Ils exigent qu'il soit sur le terrain. Ils ont payé pour cela.
Vers un rééquilibrage des forces et des revenus? On peut toujours rêver
Ce système-là doit disparaître. L'individualisation du football est un fléau. Mais personne ne veut le combattre. Parce qu'il rapporte beaucoup. La solution pour répondre aux souhaits de Manuel Akanji et de Rodri est connue, mais personne ne veut la mettre en œuvre: diminuer les sources de revenus dans le football, ce qui n'arrivera jamais. Alors, je propose une solution intermédiaire: rééquilibrer un peu. Arrêter de presser les superstars comme des citrons et les rendre plus rares, plus désirables, plus exclusives. Cela n'arrivera jamais.
Mais de grâce, ne tombons pas dans l'excès inverse et, par pure démagogie, ne réduisons pas le nombre de matches des 99% qui ne sont pas des superstars, que personne n'écoute et qui, eux, ne jouent pas trop. Je me réjouis ainsi de découvrir les premières mesures que prendront les instances du football pour répondre à l'ampleur médiatique que prennent ces revendications. Iront-elles en faveur d'un rééquilibrage des forces, de la charge de travail et des revenus? Vous et moi, malheureusement, connaissons déjà la réponse...