Les Kambundji sont la famille la plus rapide de Suisse. S’il fallait une preuve tangible de cela, Ditaji Kambundji (19 ans) l’a fournie de manière impressionnante lorsqu’elle a couru vers l’or du 100 mètres haies lors des championnats d’Europe M20.
La cadette s’est imposée avec une immense avance sur la concurrence, à une semaine du début des Jeux olympiques. À Tokyo, la plus jeune des quatre sœurs Kambundji fera ses débuts olympiques, aux côtés de sa grande sœur Mujinga (29 ans), qui participe déjà à ses troisièmes joutes.
Si Ditaji va acquérir une première expérience, Mujinga est au sommet de sa carrière après sa médaille de bronze aux championnats du monde 2019 sur 200 mètres. La sprinteuse a égalé son record de Suisse en série du 100 mètres pour son entrée à Tokyo (10''95) vendredi matin.
Mujinga et Ditaji Kambundji, vous êtes des sprinteuses, vos deux sœurs Kaluanda et Muswama aussi. Qui est la plus lente de la famille?
Mujinga: (elle réfléchit) Le plus jeune, il ne sait pas encore marcher.
Ditaji: (rires) Oui, le bébé…
Mujinga: Le petit de Kaluanda, notre sœur aînée. Il est sans aucun doute le plus lent, il ne peut pas encore marcher un mètre tout seul.
Ditaji: Mais au moins il peut déjà tenir sa tête tout seul!
Vous êtes donc récemment devenues tantes. Qu’est-ce que ça fait?
Mujinga: C’est une très grande joie. Comme nous sommes toutes très proches dans la famille, c’est un peu le bébé de tout le monde.
Les liens familiaux des Kambundji paraissent incassables. Lors des grands événements, un clan passionné à l’énergie communicative entoure votre mère Ruth et votre père Safuka dans les tribunes pour soutenir Mujinga. C’était le cas en 2016 à Rio, par exemple.
Ditaji: Nous étions une énorme clique, treize personnes qui se sont toutes rendues au Brésil pour soutenir Mujinga. Parents, proches, petits amis, sœurs. Treize personnes qui, autrement, ne partiraient probablement pas en vacances tous ensemble. Mais c’était tellement génial, tout le monde s’amusait même si c’était aussi un peu chaotique.
Chaotique?
Ditaji: Oui, passer deux semaines à Rio avec un groupe de 13 personnes âgées de 14 à 60 ans…
Mujinga:… répartis sur deux appartements, à une heure du stade…
Ditaji:… quelqu’un pense que c’est bien de prendre le métro maintenant, tandis que quelqu’un d’autre est convaincu que le bus nous y conduirait beaucoup plus vite.
Qui était le leader de ce groupe?
Ditaji: Il n’y avait pas de chef, c’est justement ce qui rend parfois les choses compliquées. Mais ce n’est pas grave. Il peut y avoir différentes façons d’atteindre la destination. Et ne vous méprenez pas: nous n’avons tout de même pas erré dans Rio pendant quinze jours avec un énorme groupe de treize personnes.
À Tokyo, vous devez vous passer de ce soutien.
Mujinga: C’est vraiment dommage. L’année dernière, les vols étaient déjà réservés. Ce sont toujours des voyages sympas et beaucoup de monde serait venu. Cette fois, ils auraient même pu encourager deux Kambundji!
Ditaji: Mais l’année dernière, j’aurais été là en tant que fan. J’avais également un billet d’avion pour être dans le stade en tant que spectatrice.
Mujinga: C’est juste! Si seulement les fans étaient autorisés cette année… Mais c’est comme ça. Et en tant qu’athlète, je dois dire clairement que la chose la plus importante reste que les compétitions puissent avoir lieu.
Qu’est-ce qui vous manque lorsque la famille n’est pas là?
Mujinga: Cela signifie beaucoup pour moi quand la famille et les amis viennent me supporter. Même si parfois je ne peux pas les voir dans le stade. Ne serait-ce que parce que je sais qu’ils sont là. Cela a toujours été important pour moi et ça l’est aussi pour nous deux. C’est aussi plus agréable après les courses, quand on peut partager une telle expérience ensemble. On ne se contente pas de raconter ce que l’on a vécu à Rio pendant que les autres étaient à la maison. Cela devient des souvenirs partagés.
Avez-vous beaucoup de contacts avec votre famille lors d’un événement majeur?
Mujinga: Pas avant la course. Il faut être concentré sur la préparation. À Rio, je suis restée avec eux quelques jours après ma compétition, et nous avons donc fait beaucoup de choses ensemble.
Comme vous participez toutes les deux aux Jeux, vous êtes presque les seules à avoir un peu de famille présente à Tokyo.
Mujinga: Nous avons aussi toutes les deux l’une de nos meilleures amies avec nous. Que nous puissions partager cette expérience est très, très agréable.
Ditaji: Cela signifie beaucoup pour moi. Nous sommes très proches malgré une différence d’âge de dix ans. C’est un immense privilège que de vivre ensemble ces moments si spéciaux.
Pour Ditaji, ce seront les premiers Jeux. Vous, Mujinga, en tant qu’athlète expérimentée, vous participez pour la troisième fois. Qu’est-ce qui attend votre sœur?
Mujinga: J’aimerais bien le savoir! Les Jeux de cette année seront très différents. Ce qui m’a impressionné lors de mes premiers JO en 2012, c’était la vie au village olympique. Vous rencontrez des athlètes d’autres sports, vous échangez des idées avec eux, vous vous revoyez sans cesse, vous les encouragez. Vous faites beaucoup de connaissances, c’est génial. Ce ne sera pas la même chose cette année. Cette atmosphère olympique si particulière manquera probablement un peu. En ce qui concerne la compétition, c’est finalement assez similaire aux championnats du monde. En juste un peu plus grand.
Qu’est-ce que ça veut dire?
Mujinga: Les procédures sont plus complexes. À Rio, il nous a fallu une heure pour arriver au stade, à Londres, nous avions une salle d’appel de 45 minutes. Tout est plus grand, mais aussi plus professionnel. Dans la salle d’appel, il y a un bloc de départ où vous pouvez entraîner vos départs. Après la course, il y a la zone mixte, où il faut 15 minutes pour passer devant les caméras de télévision, les radios et les journalistes de presse écrite. Je pense que c’est cool pour «Didi» de pouvoir juste découvrir tout cela sans nourrir de trop grandes ambitions.
Comment vous sentez-vous lorsque vous pensez à vos débuts olympiques, Ditaji?
Ditaji: Il y a d’abord beaucoup de joie. Ce sera une expérience incroyable. Je suis particulièrement impatiente de participer à cette compétition internationale. Ça va être dur surtout que je me suis pleinement engagée sur les haies, il y a seulement un an.
Mujinga: (rires) C’était la première fois que tu courais sur des haies plus hautes!
Ditaji: C’est vrai. Et maintenant je me présente contre les plus grandes athlètes du monde.
Qu’est-ce qui compte le plus dans l’environnement olympique?
Mujinga: Il est très important pour elle de comprendre, de réaliser où elle se trouve et ce que cela signifie. Parfois, vous êtes tellement concentrée que vous ne réalisez pas ce que vous avez accompli. Parfois, on travaille pour un but, puis on l’atteint et on ne pense pas à tout ce qui aurait pu mal se passer, à tout ce qui a dû tourner rond pour que cela fonctionne. Elle devrait profiter de ce moment. Se qualifier pour les Jeux olympiques à cet âge, c’est un énorme exploit! C’est pour cela que mon conseil est le suivant: «il ne faut pas oublier que les Jeux olympiques peuvent être très amusants».
Les Jeux olympiques constituent la plus grande scène possible. Votre entraîneur commun, Adrian Rothenbühler, dit que vous avez toutes les deux cette capacité à donner le meilleur de vous-même dans les grands moments. D’où cela vient-il?
Mujinga: Simplement de notre famille. (Rires) Nous avons juste les mêmes gènes. En ce qui me concerne, j’ai toujours réussi à faire mieux lorsque cela comptait. Et avec «Didi», c’est exactement la même chose. Elle savait qu’elle devait réaliser des performances de haut niveau lors des championnats suisses et au meeting de Lucerne à la fin du mois de juin pour se qualifier pour les Jeux. Elle l’a fait! Peut-être que de l’extérieur, on a parfois l’impression qu’il n’y a pas grand-chose derrière. Mais à l’entraînement, les performances ne sont pas toujours de cette qualité. Nous avons en quelque sorte cet interrupteur que nous pouvons actionner. Nous fonctionnons tous comme ça dans la famille.
Ditaji: J’ai besoin de cette pression.
Mujinga: À l’école, par exemple…
Ditaji:… j’étudie beaucoup mieux lorsque je sais que l’examen a lieu bientôt. Je sais que je n’ai pas d’autre choix que d’étudier, sans quoi j’aurai un problème. Je ne suis pas le genre de personne qui fait un petit bout à la fois, par petites bouchées, des semaines à l’avance. Mais je peux me lancer à fond quand ça compte.
Après la médaille de bronze de Mujinga lors des championnats du monde de Doha, votre mère Ruth a déclaré que les personnes qui planifient leur vie en étant toujours à la limite ne craquent pas sous la pression dans les moments décisifs. Vous vous reconnaissez là-dedans?
Mujinga: Il y a probablement quelque chose de vrai. On aime aussi se ménager parfois, se dire: «Allez, on fera ça plus tard.» Mais nous en assumons aussi la responsabilité. Vous n’avez alors qu’une heure pour une tâche au lieu de cinq. Vous apprenez à devenir plus efficace.
Ditaji: Cela aide certainement dans les situations de stress et sous pression.
Quelle pression subissez-vous à Tokyo?
Mujinga: La pression que je me mets moi-même. J’espère que cela restera une pression positive. Je suis en bonne forme, mais il me reste des petites choses à corriger. J’espère pouvoir montrer tout ce que j’ai dans les jambes.
Ditaji: Pour moi, il s’agit d’acquérir de l’expérience. Mon plus grand objectif, c’était les championnats d’Europe M20 (ndlr: où elle a remporté l’or). Tokyo est un rêve devenu réalité.