Nager, monter sur un vélo, courir. Recommencer. Tel est le rythme quotidien de Thibault Rivier, à l’approche de ses 18 ans. Ce 28 janvier, le Lausannois sera présent à Martigny pour une table ronde organisée par Affidea Suisse, une organisation spécialisée dans la radiologie et les soins ambulatoires qui met en place un programme de soutien pour les jeunes sportifs. Au menu, une discussion sur les défis que rencontrent les jeunes professionnels du sport avec quatre d’entre eux: la coureuse de skicross Élodie Bertholet, la skieuse Juliette Fournier, le skatboardeur Simon Gerber et Thibault Rivier, dont la discipline est donc le triathlon.
Né en 2007 à Vevey, Thibault Rivier fait ainsi partie d’une génération qui apportera très bientôt ses heures de gloire au sport helvétique. L’an dernier, il a été champion de Suisse dans la catégorie des moins de 18 ans. Il s’est aussi illustré avec une seconde place en Coupe d’Europe junior à Zagreb (Croatie). Des résultats prometteurs qui donnent envie de comprendre comment un jeune athlète puise sa motivation et comment il jongle aves ses engagements, qui plus est dans un sport peu médiatisé.
Lorsqu’il débarque dans la rédaction de Blick pour une interview qui constitue un nouvel exercice dans ses nombreuses heures d’entraînements, c’est avant tout sa force tranquille qui frappe. Thibault Rivier avoue avoir bien préparé notre entrevue. A l’image d’une longue course, le Vaudois prend les étapes les unes après les autres, sans jamais perdre de vue son objectif. Interview.
Thibault, commençons par le début, à quand remonte ton premier souvenir lié à ta discipline, le triathlon?
Mon premier triathlon, c’était en 2018. Je ne maîtrisais pas du tout ça à l’époque puisque je ne faisais que de la natation. Mes parents m’ont inscrit à une course et j’ai tout de suite aimé. Bon, je me suis fait détruire à vélo car je n’avais aucune expérience (rires). Mais j’ai accroché à ce sport. Je suis par la suite resté nageur pendant deux ans avant de me consacrer entièrement au triathtlon.
C’est-a-dire que tu t’es dit «bon, la natation je maîtrise, mais le reste on verra bien…»?
A peu de chose près, oui… j’avais déjà fait un peu de vélo quand même mais je n’avais jamais suivi un entraînement spécifique.
Et alors quand s’est produit le vrai déclic qui t’a amené sur le chemin pour devenir professionnel?
Je pense que l’une des premières étapes a été de rentrer au gymnase sportif. Au gymnase Auguste Piccard à Lausanne, les aménagements d’horaires permettent vraiment de s’entraîner davantage. C’est à ce moment-là que j’ai senti que je n’étais plus vraiment un amateur.
Tu es donc en dernière année dans cet établissement, combien de temps consacres-tu à ton sport sur une semaine?
Sur une semaine normale, j’ai environ 20 heures d’entraînement. Et cela tous les jours. Après ça peut varier bien sûr. Quand je sais qu’il y a une grosse compétition, j’alterne entre des semaines de repos et des semaines de travail.
Quand je me revois au gymnase, je me demande comment j’aurais pu prendre la décision de me lancer comme professionnel… tu arrives à décrire ce processus qui t’a poussé à prendre cette voie? As-tu beaucoup réfléchi?
Professionnel, c’est peut-être un grand mot car je vis encore chez mes parents et je peux bénéficier de beaucoup de soutien… mais c’est certain qu’il y a un gros engagement à fournir. Je ne sais pas si on peut parler de sacrifices, mais il y a en tout cas des choix à faire que tout le monde ne fait pas à ce stade. Mais j’ai l’impression que tout se passe dans une certaine continuité. Après le gymnase, ce sera probablement plus compliqué. Je suis dans un cadre dans lequel beaucoup de jeunes font du sport de haut niveau. Je devrai me poser les bonnes questions par la suite.
Si tu devais décrire les principales différences entre la vie d’un gymnasien «classique» et la tienne, quelles seraient-elles?
La différence principale est tout simplement que je passe mes après-midi à faire du sport. Et cela induit que je n’ai pas forcément le temps de travailler le soir. Enfin tout dépend de l’organisation de chacun mais moi, je commence sûrement à travailler un peu tard le soir. Au niveau social, on a aussi moins de temps pour voir les gens. On passe moins de temps au gymnase et après la pause de midi plus personne n’est là. On a peut-être des liens un peu différents et on doit chercher à en créer ailleurs que dans le cadre scolaire. On ne peut pas sortir tous les vendredis et les samedis soir. Il faut être régulier. Le samedi, par exemple, j’ai entraînement à 8 heures. Donc je ne sors pas jusqu’à point d’heure.
Tu dois avoir une hygiène de vie irréprochable, c’est ça le «deal» finalement?
J’essaie d’avoir une bonne hygiène de vie, oui. Mais j’ai aussi appris que pour performer, il fallait avoir un certain plaisir, un certain équilibre. Du coup j’essaie aussi de sortir, sans boire ni me coucher trop tard. On peut avoir du plaisir sans ça. En ce moment, pour la période hivernale, je n’ai pas de compétition, alors j’ai un peu moins cette pression. Mais durant la saison, d’octobre à mars, on prévoit parfois 4-5 jours de pause pour penser à autre chose.
J’imagine que tu peux aussi compter sur tes parents pour te soutenir?
Bien sûr, ce sont mes principaux soutiens. Mais j’ai aussi la chance d’avoir un coach, Joël Maillefer, dont je suis proche, avec beaucoup de communication. Tout comme mes amis aussi bien sûr, ou les sponsors comme Affidea.
Et quel est le principal défi que tu dois gérer au quotidien?
Je pense que ma principale difficulté, c’est l’organisation. Avoir assez de temps, assez d’heures d’entraînement, assez de récupération, assez de temps pour travailler. Il y a des moments dans lesquels ce n’est pas facile de combiner tout ça. Mais j’ai davantage la notion du sacrifice aujourd’hui qu’il y a un ou deux ans, quand je commençais à vouloir sortir. Maintenant, j’ai fait mes choix. Je sais ce qui me plaît et j’arrive à y trouver du plaisir la plupart du temps.
Si tu t’accordes un petit écart, que choisis-tu de faire?
Franchement, dans les moments vraiment durs, j’ai juste envie de rester au lit et dormir. C’est moins tentant en été, car on voit moins les heures passer, mais parfois j’ai juste envie de me reposer.
C’est une charge physique et mentale difficile à imaginer pour certaines personnes qui ne pratiquent pas du sport de haut niveau?
Oui, exactement. C’est beaucoup de fatigue physique. Et généralement, cela entraîne la fatigue mentale. Quand on est très fatigué, on a tendance à s’énerver plus facilement. Du coup ça ajoute du stress, de la pression… C’est un cercle vicieux.
Est-ce que tu suis aussi une alimentation stricte ou un régime particulier?
J’essaie d’avoir une alimentation correcte, mais pas hypère stricte. Il n’y a pas de catégorie de poids en triathlon comme en judo par exemple. Je n’ai pas cette pression.
Est-ce que tu as des sportifs modèles qui t’inspirent ou d’autres célébrités?
J’ai beaucoup discuté de ça avec mon coach. Parfois, il vaut mieux tracer son propre chemin, en essayant de moins se comparer aux autres. Mais j’admire beaucoup Alex Yee, triathlète qui a eu l’or à Paris. C’est un très grand athlète, très humain aussi. Je le trouve formidable. J’ai envie de faire son parcours mais j’ai envie de tracer le mien indépendamment de cela. En tant que sportif, c’est se mettre beaucoup de pression que de se comparer à des modèles. Si on se compare à quelqu’un qui est allé très vite vers le sommet par exemple, on a l’impression d’être en retard ou de ne pas se donner assez
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En parlant de ton propre parcours, quels objectifs te fixes-tu?
Pour cette année, j’aimerais bien refaire des podiums en Coupe d’Europe et viser un top 20 aux Championnats du monde junior et un top 10 au championnat d’Europe junior.
Et à plus long terme?
Je pense que c’est le rêve de la majorité des athlètes: les Jeux olympiques. Je vais essayer pour 2028, même si c’est peut-être encore un peu tôt. Je vais voir comment ça évolue, mais en tout cas pour 2032, c’est clair, c’est un gros objectif.
Concrètement, une fois que tes objectifs sont fixés, ça peut paraître bête vu de l’extérieur comme question, mais tu fais quoi? Ça doit être vertigineux de se dire, «maintenant, je veux aller aux Jeux olympiques»…
Oui c’est assez dur. C’est dans quatre ou huit ans. C’est sûr que préparer une course qui a lieu dans deux semaines, c’est plus réalisable. Mais typiquement, dans ces moments, il faut se raccrocher à cet objectif. Ça permet de se dire que c’est une période à traverser pour y parvenir. Et je pense que ça passe par le travail chaque jour. Il faut avoir une bonne vision du chemin avec le coach. On discute beaucoup des grands axes à suivre sur trois mois, six mois ou un an. Le reste, ce sont des petits réglages chaque jour à l’entraînement.
Si on prend ta discipline, quelles sont les spécificités physiques et mentales qu’elle exige?
Il faut avoir beaucoup d’endurance mais aussi beaucoup d’explosivité et de vitesse. Bien sûr, ce n’est pas un 100 m, mais en natation il faut avoir la capacité d’aller vite sur les 50 premiers mètres pour sortir du groupe, pour ensuite se mettre davantage sur un régime d’endurance. Mais l’avantage est qu’il n’y a pas de morphologie précise pour le triathlon, il y a un peu de tout. Dans une compétition de natation, ce sont huit mêmes bonshommes alignés. Là, c’est différent. Et sur le plan mental je pense qu’il faut accepter, voire aimer un peu la douleur. Il faut faire preuve de résilience et continuer d’avancer quoi qu’il arrive.
Et quelle est ta discipline de prédilection parmi les trois? La natation?
Même pas! La course à pied. C’est avec ça que tu termines la course. Si tu es excellent nageur, mais que tu ne sais pas courir, tu ne vas jamais gagner. Mais le secret est bien sûr d’équilibrer les trois disciplines, tout en m’améliorant encore en course à pied.
Tout à l’heure tu n’étais pas super partant à l’idée de te qualifier de professionnel. Comment te définirais-tu alors?
Je ne sais pas… un athlète d’élite étudiant ou un étudiant athlète d’élite, quelque chose comme ça (rires).
Penses-tu que les sportifs comme toi sont suffisamment bien encadrés en Suisse?
En ce qui concerne le triathlon, ils font quand même mieux en France. Là-bas, ils ont ce qu’ils appellent des centres de performance et ils réunissent tous les jeunes sur place. Ils font tout au même endroit, aussi bien l’école que les entraînements. Ils sont beaucoup plus encadrés pour ça. Ça serait un bon progrès en Suisse, même si nous sommes beaucoup moins d’athlètes ici. Après on est déjà bien lotis avec des infrastructures comme celles mises en place au gymnase dans lequel je suis par exemple. On se sent quand même moins seul dans la quête de performance.
En parlant de performance justement, quelle est celle qui te rend le plus fier?
Je pense que c’est la Coupe d’Europe qui m’a permis de me qualifier pour mes premiers Championnats du monde l’an dernier. C’était à Zagreb, j’ai fait une excellente deuxième place. Je suis particulièrement content parce que j’ai pris une pénalité après avoir fait tomber mon vélo, ce qui est interdit quand on lâche notre vélo. Il faut le ranger. Je n’avais pas vu que j’avais une pénalité et j’ai dû taper deux sprints pour lâcher le groupe et refaire mon retard. Du coup je suis vraiment allé au bout de moi-même. J’étais grillé, mais heureux.
Dans ton sport, tu ne peux pas vraiment compter sur les autres. Tu es seul pendant la course. Est-ce que cela te demande d’être à l’aise avec toi-même, c’est-à-dire de t’accepter comme tu es, apprécier ta seule compagnie face au temps que tu passes à nager ou courir tout seul?
C’est dur comme question! J’ai la chance d’être dans un groupe où on se tire tous vers l’avant. C’est important. On s’entraîne ensemble. Si tu as un coup de mou, il y en a toujours un plus en forme qui va te guider.
Mais à quoi penses-tu quand tu es tout seul en train de courir?
Il y a une partie de moi qui pense à la technique. Une autre qui m’encourage à ne rien lâcher. Et encore une fois je repense à mes objectifs, cela m’aide à comprendre que je ne fais pas ça dans le vide.
Et à la fin d’une course comment te sens-tu?
Tu es à la fois fier et soulagé que ce soit fini. Mais quand tu es au maximum de l’effort et que tu te sens bien, alors là c’est juste incroyable comme sensation. Il n’y a pas de douleur, c’est toi qui décides de pousser et c’est juste une sensation de vitesse et de fluidité.
As-tu déjà eu envie de tout plaquer?
J’y ai pensé quelques fois. Mais je ne crois pas que j’ai vraiment été proche de le faire. C’est mon rêve d’enfant, j’ai envie de réussir. Comme je l’ai dit, j’ai une bonne communication avec mon coach et si je ne me sens pas bien, on en parle et on essaie d’aménager le temps pour retrouver le plaisir.
Comment tu fais pour te ressourcer alors?
Je pense déjà à voir mes amis, c’est la première ressource. Ensuite j’aime bien dessiner de temps en temps, même si j’ai moins le temps. Je faisais ça avec mon grand-papa quand j’étais petit. Et au final, se rendre au gymnase de temps en temps, ça change les idées.
Donc tu as presque du plaisir à aller aux cours alors?
Je n’irai pas jusque-là (rires).
Tu te sens parfois sous pression face à tous ces engagements que tu prends?
Un peu parfois. Mais la plus grande pression, je me la mets moi-même. Bien sûr, il y a des gens qui croient en moi et qui me soutiennent alors je ne veux pas les décevoir. J’ai constamment l’envie de bien faire.
Le 28 janvier, à Martigny, tu vas représenter des jeunes sportifs tels que toi lors d’une table ronde, quel sens donnes-tu à un événement comme celui-là? Vous arrivez souvent à échanger vos expériences entre vous?
C’est la première fois que je vais faire ça, donc je suis un peu nerveux quand même. Mais je pense que c’est surtout une bonne occasion pour les gens qui viendront de se rendre ce que le quotidien des jeunes athlètes représente. C’est toujours intéressant de comparer son expérience avec d’autre sports. En discutant avec les autres, ça permet de s’enlever un peu de pression en se disant que l’on n’est pas tout seul. Ça donne des solutions pour savoir comment gérer des défis communs.
Quelle est la plus belle chose que l’on peut te souhaiter pour la suite?
Je dirais plusieurs participations aux Jeux olympiques. Et surtout que j’arrive à garder du plaisir dans mon sport, sans être dégoûté et arrêter du jour au lendemain.
Alors soit. Merci beaucoup Thibault. Je peux te demander une faveur pour terminer?
Bien sûr!
Quand tu seras médaillé olympique, je pourrai t’interviewer?
Avec grand plaisir.
Événement: «Jeunes talents, grands défis: la réalité des jeunes sportifs professionnels», 28 janvier au CERM de Martigny. Participation gratuite et sur inscription