La star du BMX se confie
Zoé Claessens: «J’ai joué toute seule pendant des heures, dehors»

Désormais célébrée partout, sacrée athlète vaudoise de l’année, la médaillée olympique de BMX Zoé Claessens raconte la vie à la fois simple et courageuse d’une sportive de haut niveau, sa grande famille derrière elle.
Publié: 01.01.2025 à 22:13 heures
Photo: keystone-sda.ch
Marc David
L'Illustré

En ce matin clément de décembre, Zoé Claessens (23 ans) pilote son vélo sur les bosses arrondies de la piste de BMX du Centre mondial d’Aigle, au pied des Préalpes. On la voit qui décolle et se réceptionne sans un soupçon de déséquilibre. Aussi précise que ce vendredi d’août 2024 où, sur la piste enrubannée de Saint-Quentin-en-Yvelines, elle a gagné une médaille de bronze olympique qui l’a placée en pleine lumière. Depuis, célébrée comme une princesse à rayons dans sa région de Villars-sous-Yens, sacrée sportive vaudoise de l’année, invitée ici et là, elle est devenue l’ambassadrice souriante d’un sport que quelques moqueurs traitèrent naguère de «jeu d’enfant» et qui se taisent désormais. Les honneurs la laissent intacte. Elle reste la fille d’une très vivante famille de six enfants dont le père, Vincent, a fondé dès 1983 un club de bicross à Echichens avec deux autres familles du lieu, les Neri et les Roulet. Il avait 15 ans et ce fut la première «vraie» piste de BMX de Suisse, imaginée sur la base d’une maquette en papier mâché. Zoé est donc l’héritière d’une histoire qui dure depuis plus de quarante ans.

Après votre médaille, vous ne vous souveniez plus de la course. C’est revenu?
Seulement grâce aux vidéos. Je me revois sur la grille, attendant de partir, puis j’ai un peu oublié dès le premier virage. Tout va si vite: mon entraîneur m’a toujours dit que ce que je fais doit devenir automatique, tellement je répète le même mouvement. Tout se passe comme quand on conduit une voiture: on reste concentré et on ne se souvient pas toujours exactement de ce qui s’est passé, car c’est un automatisme. 

Nous sommes à Aigle. Qu’est-ce que cet endroit signifie?
Je me suis entraînée plusieurs années ici, j’y ai atteint mon meilleur niveau. Je me rappelle bien mes premiers jours. J’avais 17 ans, je ne parlais pas l’anglais. C’est là que j’ai appris à devenir une vraie professionnelle du BMX. 

Avez-vous beaucoup observé?
Beaucoup. Je suis assez observatrice, je sais choisir les bons exemples autour de moi. Mon entraîneur a joué un rôle essentiel, c’est lui qui m’a appris à être une vraie athlète et à arriver à mon niveau actuel. Aujourd’hui encore, il reste un modèle pour moi et continue de m’apprendre énormément. Il y avait aussi dans mon équipe une fille du Danemark un peu plus âgée que moi, forte, une des meilleures. Elle m’a servi d’exemple un peu pour tout, notamment pour m’entraîner.

En quoi votre entraîneur a-t-il compté?
Il s’appelle Liam Phillips. Pour que cela marche avec moi, j’ai besoin d’un entraîneur avec qui je peux parler quand je veux. Qu’il y ait un planning structuré, les entraînements à l’avance. Il a compris cela. Il a été trois fois aux Jeux olympiques, il a été champion du monde.

En quoi avez-vous changé?
J’ai pris beaucoup d’expérience. Avant, j’étais certes une athlète, j’avais même gagné des Coupes d’Europe, mais je courais plutôt pour le plaisir. Ici, j’ai découvert la performance et j’ai percé au niveau des résultats. Je ne suis toujours pas parfaite, j’ai beaucoup à améliorer.

Quelles sont vos qualités?
Je m’entraîne bien et je suis forte en technique. J’ai toujours été parmi celles qui osaient attaquer de grosses bosses que les filles ne sautaient pas. Ici, il y en avait une de 11 à 12 mètres de long, par-dessus un virage. Seuls les garçons la sautaient et j’y suis allée en premier, comme un objectif personnel. 

Vous êtes casse-cou dans la vie?
Pas vraiment. Si mon entraîneur pense que je ne peux pas le faire, je l’écoute, je ne me lance pas. A Paris, par exemple, je dirais que ce n’était pas ma meilleure performance, je me donnerais un 8,5 sur 10. Ce ne fut pas la meilleure course de la saison. Or, en BMX, je vise toujours le tour parfait, même si on ne peut jamais l’être... 

On dit qu’avec 20 mètres de plus vous auriez gagné…
Je ne sais pas. L’Australienne gagnante l’a mérité. Je suis contente pour elle.

Quel souvenir de vos débuts?
Mon père a créé le club d’Echichens avec des amis. Au début, dans la forêt. Puis il a poussé la commune à créer une piste de BMX. D’abord près d’un hangar, puis il a réussi à avoir un terrain et le club a grandi. J’ai suivi mes deux frères, qui ont commencé avant moi. J’avais 7 ans. 

Photo: keystone-sda.ch

Etiez-vous douée?
Honnêtement, je ne m’en souviens pas. J’adorais tous les sports quand j’étais petite. Dès que je rentrais de l’école, je jouais au tennis. Même si personne ne voulait jouer avec moi, parce que je n’arrêtais pas de pratiquer. Un jour, ma mère m’a acheté un plot avec un élastique et une balle de tennis. J’ai joué toute seule pendant des heures, dehors. C’est aussi à cause du sport que je n’étais pas la meilleure à l’école. Au lieu de faire mes devoirs, j’adorais sauter de nouveaux sauts à vélo.

C’était le plus grand plaisir?
Oui, les sauts. Essayer de passer le plus bas pour aller le plus vite possible. Petite, je m’entraînais beaucoup avec les garçons. Il y avait juste une autre fille dans le club, un peu plus forte que moi, Eloïse Donzallaz. Nous étions très amies, nous le sommes toujours. Cette rivalité a compté. Si elle essayait un nouveau saut, j’avais envie de l’imiter. Nous avons progressé ainsi. 

Vous êtes devenue une ambassadrice du BMX…
J’aime cela. Je l’ai déjà vécu dans ma famille, où je suis l’aînée des sœurs. Cela m’a toujours fait plaisir de montrer l’exemple aux plus jeunes. 

Votre famille a compté?
Grâce à eux, j’ai commencé le BMX. J’ai adoré vivre dans une famille nombreuse, je l’ai pris comme une chance: avoir beaucoup de frères et sœurs, avoir toujours quelqu’un avec qui parler. Manger avec seulement deux personnes à table me fait bizarre. Chez moi nous rigolons beaucoup, nous sommes tous différents. 

Vous avez décidé un jour de quitter le gymnase pendant un an...
Nous y avons beaucoup réfléchi avec mes parents. Ils m’ont encouragée, ils ont cru en mon potentiel, avec l’accord du gymnase. J’ai même dû partir deux ans, parce que les Jeux de Tokyo ont été décalés. Quand je suis revenue, j’avais oublié beaucoup de choses et j’ai dû cumuler mes compétitions en même temps. J’ai même dû manquer un examen pour une Coupe du monde. Comme j’étais en culture générale, la possibilité de sport-études n’existait pas pour moi. Si j’avais une pause à midi, j’allais travailler à la bibliothèque. Pendant cette période, je faisais passer l’entraînement en premier et je travaillais sur mes études tard le soir. Plusieurs fois, j’ai dû poser mes livres parce que je n’arrivais pas à me concentrer.

Photo: PATRICK B. KRAEMER

Quel métier visiez-vous?
Enseignante. Maintenant, j’aimerais travailler dans le domaine du sport.

Des remarques sur votre sport vous agacent-elles?
Des gens pensent encore que le BMX n’est pas sérieux. Ils n’imaginent pas à quel point nous nous entraînons professionnellement. C’est vraiment un sport de performance. Cela m’agace un peu, c’est vrai. 

Quelles qualités nécessite-t-il?
D’abord de la technique. L’idéal est de commencer très jeune pour maîtriser les sauts, prendre de la vitesse, savoir partir. Après, il faut un peu de tout: le pédalage, le physique, la musculation. Un bon mental, car nous sommes huit sur la grille de départ et il faut «performer» au bon moment.

Qu’est-ce que la médaille a changé?
Je suis invitée à beaucoup d’événements, je suis mise en valeur en même temps que le BMX. Quand les gens me voient, ils pensent à ma médaille. Dans les classes, les élèves me disent: «Je t’ai regardée à la télé, aux JO!» Mais il est toujours difficile de trouver des sponsors...

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