Du creux au top de la vague
Maya Gabeira: «Expérimenter la mort m'a permis d'abandonner ma peur»

La surfeuse Maya Gabeira, qui détient le record de la plus haute vague surfée par une femme, était de passage à Lausanne pour raconter ses exploits et encourager chacune et chacun à se réaliser. Blick a pu la rencontrer juste avant son entrée en scène.
Publié: 10:33 heures
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Dernière mise à jour: 10:55 heures
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Maya Gabeira détient le record de la plus haute vague surfée par une femme (22,4 mètres en 2020 à Nazaré).
Photo: keystone-sda.ch
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Thibault GilgenJournaliste Blick

Le Swiss Tech Convention Center était sur son 31 ce vendredi. Glaciale à l’extérieur, l’atmosphère se voulait plus inspirante à l’intérieur de l’imposant bâtiment de l’EPFL. Au programme, outre les petits fours et le champagne, le récit d’une sportive hors normes qui a surfé au large des plages du monde entier: Maya Gabeira, l’une des meilleures surfeuses de la planète depuis son entrée sur le circuit en 2006.

Blick a pu la rencontrer dans le cadre des conférences TEDxWomen proposées sur le campus lausannois. La Brésilienne y était attendue sur scène pour raconter son parcours, ses peurs et sa résilience à toute épreuve, qui lui a permis de vivre pleinement ses rêves. Jugez plutôt: à 37 ans, elle détient tout simplement le double record du monde de la plus haute vague surfée par une femme. Son exploit est estampillé «Guinness World Record» et s’élevait à 20,7 mètres en 2018 à Nazaré (Portugal), puis à 22,4 mètres en 2020 au même endroit.

Une affaire de défis

C’est d’ailleurs dans la ville portugaise – avec laquelle elle entretien un lien particulier, nous le verrons – que vit la championne, aussi passée par l’Australie dans sa jeunesse pour s’ouvrir à sa discipline. L’eau, l’océan, les vagues, tout le destin de la Brésilienne s’est joué face à la force des éléments: «L’océan m’a libérée», explique Maya Gabeira à Blick. «Il m’a permis de visiter le monde, de l’explorer et de me trouver. Aujourd’hui, je profite chaque jour de cette liberté.»

Un cadeau pour lequel la championne a dû se battre, à l’image de son franc-parler qui ne laisse pas de place à la demi-mesure. Il faut dire que, face aux immenses vagues qu'elle a vaincues, il n’y a pas de place pour l’observation: «Pour moi, c’est un challenge», déclare-t-elle. «Quand on voit toutes ces vagues au loin, c’est juste de l’amour, tant j’adore surfer. Mais prise une à une, chaque vague est un défi pour moi.»

Se battre, relever des défis, se réaliser, recommencer: c’est de tout cela dont est venu parler la surfeuse à Lausanne. Dans son long métrage «Maya and the Wave» dévoilé en 2022, le spectateur pouvait suivre la surfeuse au plus près de sa préparation et de ses exploits. Elle y racontait aussi comment, en 2013, elle a frôlé la mort après avoir perdu connaissance sur une énorme vague à… Nazaré, là où, comme un symbole, elle renaîtra par deux fois pour décrocher ses deux records. Sauvée de la noyade par son compatriote Carlos Burle, elle a dû être réanimée sur la plage et avant d'être transportée aux urgences.

La mort de près

Un passage proche des abysses qui résonne encore chaque jour chez la surfeuse et qui ne fait que de renforcer sa mentalité de sportive d'élite: «Il est plus facile d’accepter la mort quand elle arrive alors que vous faites quelque chose que vous aimez beaucoup. Et c’était mon cas», confie-t-elle visiblement très émue.

«Mais la mort est aussi un défi, car je me suis battue très fort pour m’en sortir. J’étais très bien préparée en tant qu’athlète, j’avais donc l’expérience de la plongée en apnée, de l’essoufflement, de la privation d’oxygène et d’autres choses de ce genre. Mais lorsque mon esprit est devenu inconscient, je suis entrée dans un espace dans lequel tout était noir. Et je pense qu’il était porteur de beaucoup de sagesse. C’était un espace d’inaction. Je n’avais que 26 ans et je suis presque sûre que j’ai supplié de revenir parce que j’avais encore trop de choses à faire.»

Une expérience de mort imminente qui renforce son état d'esprit et qui fait finalement de sa doctrine un ensemble terriblement concret: «Pour mon esprit curieux, c’était une bonne chose d’expérimenter la mort, car je pense que nous sommes tous désireux de savoir ce qui se passe lorsque nous mourons. Et le fait de le vivre de près m’a permis d’abandonner cette peur. Ça a été un moteur très puissant pour moi.»

Une peur qui remonte à l'enfance

La peur, justement, semble être au cœur du message que souhaite faire passer la recordwoman. Faut-il forcément en éprouver lorsque l’on poursuit ses rêves? «Je pense que la peur fait partie de la vie. Et je pense que la vie nous demande d’être courageux», tranche Maya Gabeira qui se réfère à l’enfance pour expliquer cette volonté de dépassement de soi. «J’ai grandi avec un asthme sévère et, enfant, je craignais de mourir à bout de souffle. Il se trouve que j’ai été attirée par quelque chose qui reproduisait cette même sensation. J’ai donc relevé le défi en faisant quelque chose qui me faisait très peur», confie-t-elle.

Maya Gabeira en plein dans son éléments ici à Nazaré (Portugal), en janvier 2024.
Photo: keystone-sda.ch

Mais avec un tel vécu, bien loin du commun des mortels, la championne n’a-t-elle pas la crainte d’elle-même impressionner ses auditeurs du soir plutôt que de les aider à se réaliser? «La vie est impressionnante en elle-même. Mais la vie est aussi un miracle. Et si vous la considérez comme acquis, vous n’en profiterez pas», répond la championne. 

Elle a ouvert la voie aux femmes

De façon beaucoup plus universelle, Maya Gabeira a aussi dû se battre pour se faire une place en tant que femme au sein de sa discipline, ouvrant la voie, là aussi, à une plus grande liberté: «Il y a davantage d’espace pour les femmes dans le surf aujourd’hui. Nous avons plus de concurrence et nous pouvons concourir aux côtés des hommes. C’est un énorme pas en avant par rapport à mes débuts. Nous n’avions rien à l'époque.»

Une progression que la Brésilienne espère enfin observer aussi dans notre société: «Nous devons permettre aux femmes d’être libres. N’est-ce pas là la volonté de chacun? Faire ce que l’on veut et être qui l’on veut. Nous nous imposons tous des limites les uns aux autres et nous nous compliquons mutuellement la vie», regrette-t-elle.

La Brésilienne a pour habitude de repousser ses limites.
Photo: IMAGO/Ingo Kutsche

Une lutte qui traduit également sa volonté d’engagement, y compris pour l’environnement, elle qui a pratiqué son sport dans des endroits paradisiaques: «J’ai eu la chance de surfer à Tahiti, aux Fidji, en Indonésie, aux Maldives, à Hawaï et, bien sûr, à Nazaré. Le monde est tellement beau…» Maya Gabeira se bat ainsi pour préserver ces espaces maritimes à travers diverses associations, ce qui lui a notamment valu d’être nommée «Championne pour l’océan et la jeunesse» par l’Unesco en 2022.

Dualité assumée

Et ce ne sont pas les voyages à rallonge, ni les contrats avec de juteux sponsors qui viendront bousculer sa conviction: «La vie est faite de dualité. Nous devons l’accepter et faire de notre mieux. Si vous voyagez avec les bonnes valeurs et pour les bonnes raisons, je ne pense pas que l’empreinte de votre présence dans un avion commercial puisse nuire à la planète», rétorque-t-elle à Blick.

À 37 ans, Maya Gabeira témoigne donc d’un vécu impressionnant, d’une volonté sans faille et d'un discours bien rôdé. De quoi envisager les prochaines décennies avec plus de calme? «Je ne veux plus rien faire de trop dur», sourit-elle. «Je veux quelque chose de plus facile maintenant et je vis bien avec ma réalité.» À quelques mètres de là, les flots du Léman sont d’un calme peut-être trompeur. De quoi tenter un dernier challenge? «Ça a l’air bien froid, volontiers en été», rigole la surfeuse. En attendant, la scène l'attend pour raconter ses exploits. 

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