Marco Odermatt et Lara Gut-Behrami sont à nouveau prêts à nous faire vibrer par leurs exploits, pendant que Mariah Carey ressort du placard. Autrement dit, c’est bientôt l’hiver. Et si la saison est motif de réjouissances pour certains amateurs de glisse, d’autres, plus expérimentés, s’en inquiètent.
C’est le cas de Dominique Perret, pour qui retour de la neige rime certes avec plaisir, mais aussi avec danger de la montagne. À bientôt 62 ans, on peut dire que le Chaux-de-Fonnier connaît bien les hautes cimes. Nommé «meilleur skieur freeride du siècle» en 2000, il est l’un des pionniers de la discipline, établissant plusieurs records, comme celui du saut de falaise à ski en 1990 (39,40 mètres). Il a aussi skié sur l’Everest à plus de 8500 mètres. Un dépassement de soi qui a forcément créé des émotions fortes. Pour le meilleur… mais aussi pour le pire. «Pendant ma carrière, j’ai perdu 30 copains en montagne, soit à peu près un par année», soupire-t-il.
Un constat douloureux qui l’amène à s’engager dans une voie parallèle: la prévention. En co-fondant, il y a deux ans, la plateforme WeMountain, l’homme a voulu mettre toute son expérience et son expertise au service de la sécurité des riders.
Objectif 33/33
«Quand j’ai commencé ma carrière en freeride, nous étions une dizaine de professionnels tout au plus. Aujourd’hui, il y a 2,8 millions de pratiquants, rien qu'en Europe. Le marché est en plein boom depuis le Covid et le retour à la nature qui s’est opéré à ce moment-là», explique l’athlète. Problème: le nombre d’accidents et de décès qui impliquent des skieurs a du mal à être endigué. «En Suisse, on dénombre entre 24 et 30 morts en montagne chaque année. C’est un chiffre stable, mais c'est quand même hallucinant», fait remarquer Dominique Perret. Outre les décès, ce sont surtout les accidents «non fatals» qui ont augmenté de 220% ces dernières années. Avec WeMountain, l’objectif est ambitieux, mais très clair: réduire de 33% tous les accidents d’ici à 2033.
«Nous voulons rendre la montagne plus sûre. D’une part pour sauver des vies, mais aussi car tous ces accidents ont un coût énorme pour la société. Entre le sauvetage, les soins, les traitements ou encore les arrêts de travail, cela coûte chaque année 300 millions de francs suisses. Lorsque l'on sait le débat habituel sur les primes, il est important de s’en rendre compte.»
Autre élément qui motive WeMoutain à s’engager dans cette voie: la préservation des espaces de liberté. Non pour y faire n'importe quoi, mais pour y partir à l'aventure dans les règles de l'art: «Pour pratiquer notre sport, nous n’avons pas envie d’être limités. Le problème, c’est quand on pense à des accidents de montagne, comme pour d’autres choses dans la vie d’ailleurs, on a tendance à mettre en cause ceux qui sont sur place et surtout, à interdire certaines pratiques. Nous ne voulons pas de ces restrictions qui ne règlent pas le problème. Nous voulons, au contraire, éduquer le plus possible les pratiquants pour qu’ils puissent avoir les clés en main et se responsabiliser.»
L'humain au centre
Mais comment s’y prendre pour donner accès à la prévention au plus grand nombre? C’est par le digital que Dominique Perret a décidé de frapper un grand coup: «Aujourd’hui, personne n’a envie de prendre un jour de vacances ou de perdre une journée de ski pour suivre un cours théorique de type auto-école», concède-t-il. La solution toute trouvée vit donc avec son temps: c’est sur une plateforme en ligne que l’utilisateur peut suivre des cours et valider sa progression via un examen certifié. Grand avantage, la possibilité de se connecter partout, en tout temps et à son rythme. Avec une telle offre, pour un coût de 69 à 99 francs pour un cours de base, Dominique Perret estime qu'il n'y a plus d'excuse: la sensibilisation est à portée de main... ou plutôt à portée de clique.
Mais l'un des dangers du digital, admet le rider expérimenté, est de rapidement se croire instruit et expert en chaque situation. Pour éviter tout raccourci de ce genre, rien n’a été laissé au hasard lors de la mise en place la formation: «Nous avons investi 3 millions de francs pour WeMountain. Nous avons travaillé avec des pédagogues, des psychologues et différents types d’experts. Nous proposons des cours en anglais et en français et nous nous basons sur des méthodes internationales, dont j’ai également pu bénéficier pendant mon parcours d’athlète», développe le co-fondateur de la structure basée à Lausanne.
Une façon aussi de proposer des angles jusque-là sous-estimés pour appréhender la montagne: «On parle toujours de l'environnement, de la pente, de la montagne en elle-même et c'est très bien. Mais nous voulons aller plus loin, en mettant l'humain au centre. Car ce facteur est à prendre en compte à 50% lorsqu'il y a un accident», poursuit le recordman. Ainsi, la formation s'articule autour de l'humain et de la perception qu'il a de lui-même. Quels sont ses besoins, ses aptitudes, ses habitudes nutritionnels, son sommeil etc. Tous ces éléments aident à prendre la bonne décision au bon moment lorsqu'un danger survient.
Un ski club 2.0
À l’heure actuelle, plus de 3500 membres sont inscrits sur la plateforme, dont beaucoup sont suisses. WeMoutain aspire donc à créer une véritable communauté, une sorte de ski club 2.0. En cas d’intérêt, une fois la formation en ligne validée par un examen, les plus motivés peuvent se rendre sur le terrain et valider leurs nouvelles compétences avec des instructeurs, guides UIAGM (Union internationale des associations de guides de montagne) et professeurs de ski avec brevet qui ont reçu une formation pédagogique spécifique de la part de WeMountain.
Le cours est également soutenu par plus d'une quarantaine de «Safety Angels», champions, athlètes alpinistes, membres de la communauté et représentant de l'industrie qui s'engagent volontairement pour partager leur expérience. Parmi eux, on retrouve par exemple le journaliste de la RTS et passionné de montagne Simon Matthey-Doret, Dominique Perret lui-même ou encore Arianna Tricomi, trois fois championne du monde de ski freeride.
Éviter, réagir, sauver
Le concept a même séduit les fournisseurs, qui collaborent avec WeMoutain. «Souvent, les marques vendent du matériel et laissent le client se débrouiller. Mais il s'agit généralement de matériel de secours plus que de sécurité. Il faut donc savoir l'utiliser. Ainsi, nous attirons aussi l'attention des fournisseurs sur leur propre responsabilité.» Le Freeride World Tour, les athlètes, les stations de ski comme Verbier, mais aussi Air Glacier sont autant de partenaires qui voient en WeMountain l'acteur idéal pour balayer les idées reçues sur la montagne et rendre les aventuriers plus informés. En somme, et c'est bien connu, mieux vaut prévenir que guérir.
«Dans 90% des cas, les avalanches sont déclenchées par les skieurs eux-mêmes. L’objectif est donc de réduire un maximum ces mauvaises décisions, qui se jouent sur une multitude de petits paramètres, en faisant prendre conscience des bons réflexes, des bonnes pratiques», résume Dominique Perret. Pour ce faire, la prévention se développe en trois axes: éviter, réagir et sauver. Si cela peut permettre, à terme, de réduire les accidents, Dominique Perret n'en serait que plus heureux pour sa discipline.