La présentation devant les clients ne dure qu'une minute. Puis les talons aiguilles s'éclipsent en toutes directions. Une femme aux cheveux bruns foncés entre dans le hall de la maison close, refermant doucement la porte derrière elle. Elle remet son string blanc en place et soupire: «Je n'ai pas été choisie.»
«Un mauvais jour, c'est quand aucun client ne vient. Ou bien lorsqu'ils ne veulent pas de toi — ou qu'ils sont brutaux», confie Gloria, travailleuse du sexe à Eden, une maison close à Schlieren (ZH). Depuis le Covid, les mauvais jours se sont accumulés. «Mon travail est plus difficile qu'avant», regrette-t-elle.
Dans le grenier de la maison close de Reppischhof (ZH), la comtesse Viola attend ses invités. Le studio est prêt: les fouets accrochés, les sex toys dans une vitrine, pas de poussière. La dominatrice avait l'habitude d'avoir deux à trois hommes par jour. Maintenant, il y en a autant par semaine.
Les clients veulent «se débarrasser des frustrations»
Le commerce du sexe est devenu plus difficile, tant les dominatrices que les prostituées en conviennent. Depuis le début de la pandémie, les maisons closes du canton de Zurich ont été fermées pendant dix mois. Elles ont été autorisées à rouvrir en juin, et se rendent compte aujourd'hui que le secteur n'est plus le même.
Gloria n'est de retour en Suisse que depuis quelques semaines. Elle a passé la période du deuxième confinement avec sa famille en Roumanie, où elle était serveuse dans un restaurant et arrivait à peine à joindre les deux bouts. Ses proches pensent qu'elle travaille comme femme de ménage ici.
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«Je remarque que les clients sont plus stressés, dit-elle, ils viennent me voir pour évacuer leur frustration.» Les hommes sont aussi plus arrogants qu'avant, se plaint-elle, et la traitent avec plus de mépris. «Certains me tirent les cheveux ou exigent quelque chose que je n'offre pas.»
Davantage d'hommes veulent avoir des rapports sans préservatif
Depuis le début de la pandémie, davantage d'hommes exigeraient des rapports sexuels sans préservatifs. La clientèle dérive ainsi vers deux extrêmes: certains hommes ne viennent plus du tout parce qu'ils ont peur du virus. Et d'autres, au contraire, ne se soucient plus de rien.
Gloria ne veut pas se vacciner. Elle a peur des effets à long terme. Tous les quelques jours, elle doit faire un test, comme toutes les travailleuses du sexe d'Eden. Elles n'ont pas peur du virus. «Aucune de mes amies n'a encore été infectée au travail», déclare sa collègue Lia. «Même pas dans les autres bordels.»
Lia travaille depuis six ans à Zurich et à Saint-Gall. Elle n'a pas revu beaucoup de ses habitués depuis l'apparition du Covid. Il y a quelques semaines, un client est revenu pour la première fois. «Avant, il me dévorait presque, voulait des fellations sans préservatif», raconte Lia. «Maintenant, il a complètement changé. Il ne veut plus de baisers et que du sexe par derrière».
Un client sur deux ne se présente pas
Au Studio Hades, où la comtesse Viola est manager, une pièce est aménagée en chambre d'hôpital. «Ma clinique», comme l'appelle la dominatrice. Cet après-midi-là, elle porte une tenue d'infirmière moulante, les lèvres rouge vif.
Viola a été vaccinée deux fois. Elle reçoit ses invités avec un masque facial transparent. Ils doivent fournir leurs coordonnées. Les certificats ou tests ne sont pas exigés par les autorités pour les établissements du sexe. Viola ne comprend pas: «pourquoi les règles sont-elles différentes pour nous et pour les fêtes au club ?»
Sa vie quotidienne est devenue plus bureaucratique, nous dit la comtesse. «En attendant, je dois m'occuper davantage de l'administration que des souhaits de mes invités.» De nombreux hommes écrivent à la dominatrice, mais ne se présentent pas au rendez-vous. Aujourd'hui, environ la moitié des clients le fait. Avant la pandémie, c'était un sur dix au maximum. Par contre, «ils m'envoient des textos sur Whatsapp ou des photos inappropriées», raconte Viola. «C'est inacceptable!»
Les laissées pour compte de l'Etat
La clientèle de la dominatrice comprend souvent des jeunes hommes de moins de 30 ans. Dans leur travail, ils ont généralement des responsabilités, dit-elle. «Ils viennent me voir pour lâcher prise et renoncer au contrôle», raconte Viola. Mais à cause du Covid, beaucoup de ses clients potentiels travaillent à domicile et ne peuvent pas s'absenter.
Pour la comtesse, cela a de graves conséquences. Elle a dû payer le loyer du studio pendant toute la durée du lockdown et n'a reçu aucune compensation. Les craintes financières la tourmentent: «j'ai dû me serrer la ceinture. Et je ne peux même pas penser à partir en vacances.» Elle n'abandonne pas, espère que le secteur se redressera, qu'elle ne devra pas fermer à nouveau à cause du Covid. Car dès lors, «alors je ne saurais pas quoi faire.»