Grossophobie sur Tinder & Co
«Tu as l'air gourmande. Et au lit alors?»

Le surpoids est un fantasme prisé sur les apps de rencontre. Du compliment maladroit à la fétichisation morbide, les personnes aux morphologies rondes s'y cognent souvent à des remarques grossophobes. Sophie* et Lia ont accepté de raconter leur expérience à Blick.
Publié: 06.08.2021 à 16:25 heures
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Dernière mise à jour: 08.08.2021 à 21:57 heures
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Valentina San MartinJournaliste Blick

Tinder, AdopteUnMec, Happn, … Tout le monde ou presque peut trouver un compagnon d’une nuit ou pourquoi pas le grand amour sur les sites de rencontre où on juge sur photos. Comment cela se passe-t-il lorsqu’on ne correspond pas aux standards de beauté traditionnels? Que ressent-on lorsqu’on est hypersexualisée et qu’on n’avait rien demandé à la base? Blick a approché des femmes en surpoids qui racontent leur expérience et la profonde gêne qu’elles ont parfois éprouvée: celle d’être fétichisées par des hommes pour leur surpoids.

«Tu as l’air gourmande. Et au lit alors?»

Cela fait déjà quelques années que Sophie* – qui a tenu à préserver son anonymat – est inscrite sur des apps de rencontre. Son intuition et son caractère bien trempé ont toujours été de bons alliés pour venir à bout de certains commentaires déplaisants. «Je sais que les formes peuvent plaire à une certaine catégorie d’hommes et c’est ok. Par contre, lorsqu’on me balance des: «Tu dois être gourmande. C’est aussi le cas au lit?» Ou encore qu’on insiste sur la beauté de ma corpulence, je me méfie», nous explique la Romande.

Photo: shutterstock

Toutefois, ne s’agit-il pas là de simples maladresses? Sophie en est certaine: ceux qui lui font ce genre de remarques ne sont pas tous malveillants. Et à l’heure où le body positive s’impose dans la culture mainstream, les rondeurs sont de plus en plus convoitées par les hommes. Toutefois, la jeune femme est claire: elle a plein de qualités qui méritent que l’on s’y intéresse. Etre réduite à une enveloppe corporelle la met en colère: «C’est tellement déshumanisant! Je suis plus qu’un corps en surpoids!»

Pour elle, fétichiser les personnes grosses à outrance est une forme de grossophobie et comparable au fantasme «exotique» des corps de personnes racisées. «Généralement, ce genre de soi-disant préférences sont suivies par les propos très essentialisants, note Sophie. Certains vont même jusqu’à user de termes comme «sauvage» ou «tigresse» quand ils parlent d'une femme noire. C’est problématique et raciste. A la différence de la grossophobie, les clichés raciaux sont issus de l'histoire coloniale. Selon leur corpulence, les personnes racisées peuvent subir ces clichés en plus de la grossophobie.»

Les feeders: ceux qui aiment nourrir les gros

Photo: shutterstock

Il arrive parfois que certaines soient confrontées à des problèmes plus graves: les feeders. Des personnes attirées par des gens en surpoids et qui aiment les nourrir. En 2018, Lia est au chômage et se sent seule. Elle décide de se créer un profil sur une app et y rencontre un jeune homme sympathique au premier abord.

«Très rapidement, il a commencé à me faire des compliments sur mon physique. Il disait me trouver très «callipyge» et confiait adorer mes seins», explique la trentenaire. Et puis, après quelques échanges, le jeune homme lui parle de sa fascination pour Botero, un peintre et sculpteur colombien réputé pour ses personnages aux formes voluptueuses. Bref, l’homme semble vouer un amour tout particulier à la morphologie des rondes comme celle de Lia.

La jeune femme finit par accepter un rendez-vous et, ensemble, ils se rendent au King Size, un bar lausannois. «Il était environ 17h00 et il voulait absolument que l’on commande à manger». Lia n’a pas particulièrement faim mais accepte par politesse. Au moment où les assiettes arrivent, Lia remarque que son rencard ne cesse de la regarder: «Il ne touchait pas à son plat mais me fixait». Mal à l’aise, la jeune femme tente d’entamer une discussion mais son date n’est pas forcément là pour ça. «Non, non, on discutera après, mange», lui lance-t-il.

Pour se tirer de cette situation étrange, Lia prétend avoir rendez-vous avec une amie. L’homme insiste pour l’accompagner à l’arrêt de métro et, au moment de partir, il l’enlace de force. «J’ai senti ses mains se balader sur mon dos jusqu’à attraper et palper mes poignées d’amour. Depuis ce jour-là, je ne supporte plus qu’un inconnu me touche. Je ne l’ai jamais revu et j’ai arrêté les apps de rencontre durant un moment.»

Grossophobie nichée derrière le fantasme

Pour Katja Schläppi, fondatrice et présidente de Perceptio Cibus, association suisse romande de soutien aux personnes vivant avec l'obésité, la sexualisation des personnes en surpoids est encore taboue. «Les victimes de ce genre de fétiche ont parfois honte de venir en parler. Tout dépend bien entendu des humeurs et des caractères mais certaines personnes ont déjà tellement perdu confiance en elles, qu’elles peinent à s’ouvrir sur ces expériences d’autant plus traumatisantes.»

Et si tout un chacun a le droit d’avoir des préférences physiques, réduire une personne à son poids est bel et bien grossophobe. Quand bien même il s’agit de compliments, de manifestations d’un goût prononcé pour une corpulence particulière, on reste encore et toujours dans une forme de stigmatisation basée sur des préjugés: «La personne fétichisée devient un objet auquel on attribue des pouvoirs magiques au service de l’excitation de l’autre et ça peut être très violent», précise Katja Schläppi.

Le nœud du problème se trouve dans le manque de sensibilisation et d’éducation. «Certes, certains fétiches peuvent être d’ordre pathologique. Mais dans ce cas-là, j’ai l’impression qu’il s’agit souvent d’une problématique ancrée dans la société et donc totalement inconsciente.» Néanmoins, les choses sont en train de changer: «Des formations au niveau médical et paramédical dans le but de venir à bout de la stigmatisation des personnes en surpoids sont en cours de création. Perceptio Cibus propose aussi des entretiens motivationnels et participe également à différents projets du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) afin d'améliorer la prise en charge des personnes concernées par l'obésité».

Surpoids et obésité en Suisse

Selon les chiffres de la Confédération, environ 42% de la population suisse adulte est en surpoids dont 11% est obèse. Du côté des enfants, 15% sont en surpoids ou obèses. A noter que les chiffres sont restés relativement stables ces dernières années.

L'Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré l'obésité comme une maladie en 2008. Toutefois, être en surpoids ne veut pas forcément dire être malade. Divers facteurs comme un choc émotionnel ou la génétique peuvent par exemple le provoquer.

Selon les chiffres de la Confédération, environ 42% de la population suisse adulte est en surpoids dont 11% est obèse. Du côté des enfants, 15% sont en surpoids ou obèses. A noter que les chiffres sont restés relativement stables ces dernières années.

L'Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré l'obésité comme une maladie en 2008. Toutefois, être en surpoids ne veut pas forcément dire être malade. Divers facteurs comme un choc émotionnel ou la génétique peuvent par exemple le provoquer.

Un fétiche comme un autre

Mais alors, d’où vient le fétiche? «Le fantasme est souvent emprunté à l’enfance, note Laurence Dispaux, psychothérapeute et sexologue à Morges. Dans le cas du goût des rondeurs, il peut venir d’une maman ou d’une tante qui était elle-même pulpeuse.»

Il peut aussi s’agir d’un phénomène de mode. Pour preuve, les termes comme «Chubby», «BBW» pour «Big Beautiful Women» ou les noms précédés de l’adjectif «fat» sont de plus en plus en vogue sur les sites pour adultes. C’est ce que démontre notamment la plateforme pornographique Pornhub dans ses dernières statistiques.

Laurence Dispaux note que les fétiches sont souvent portés par les hommes même si cela tend à changer aujourd’hui. En effet, depuis la nuit des temps, la société a imposé aux femmes le rôle d’objets du désir et aux hommes le rôle de conquérant. Cela pourrait expliquer pourquoi les femmes grosses sont davantage sexualisées que les hommes gros. Ces derniers se retrouvent quant à eux réduits au cliché du «gentil gros nounours».

Dans une société qui idéalise la minceur pour les femmes, être excités par des personnes avec des kilos en trop devient un moyen de satisfaire son besoin d’interdit, de nouveauté ou encore de variété. Toutefois, avoir un fétiche n’est pas forcément négatif, signale la sexologue: «On peut aimer le SM ou les pieds, par exemple. Quant aux rondeurs, c’est un fantasme comme un autre. C’est lorsque le fétiche devient exclusif ou essentiel pour l’excitation et qu’il est imposé à l’autre qu’il devient un problème», explique l’experte à Blick.

*Prénom connu de la rédaction

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