«Avec le temps, va, tout s’en va» disait Léo Ferré dans l’une de ses chansons iconiques. C’est vrai, avec le temps, les blessures s’apaisent, les peurs disparaissent, les angoisses s’adoucissent… Mais le temps est parfois long, très long. Surtout lorsque sa propre vie est mise en jeu.
Dans ce quatrième épisode du podcast «Face au miroir», animé par Johan Djourou et coproduit par Blick, Myriam retrace le conflit qui a opposé le Liban à l’Israël en 2006, un conflit dont elle a été témoin, bien malgré elle.
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Des vacances de rêve (ou presque)
Nous sommes en 2006. Début juillet, Myriam part en vacances chez son copain qui vit à Jounieh, au nord de Beyrouth, avec sa famille plutôt aisée. Au menu pour la jeune Française de 19 ans: plages, restaurants, discothèques... Bref, tout ce dont une jeune femme de son âge peut rêver.
Et puis, au bout de la troisième semaine, l’ambiance change du tout au tout. Des hommes du Hezbollah s’en prennent à une patrouille israélienne à la frontière. Ils tirent des roquettes, tuent huit soldats et en emprisonnent deux. Israël décide alors de lancer une série d’opérations armée dans le pays. C’est le début du conflit israélo-libanais de 2006, plus connu comme la guerre de juillet au Liban.
Au cœur d’une guerre
Au départ, Myriam n’est pas plus inquiétée que cela: «Les Libanais ont toujours vécu plus ou moins en guerre. Ils s’y étaient accommodés et ne s’en faisaient pas plus que d’habitude». La jeune femme est donc un peu rassurée. Mais le répit émotionnel ne sera que de courte durée: le 13 juillet, des avions israéliens bombardent l’aéroport international Rafic-Hariri à Beyrouth, entraînant sa fermeture et la déviation des vols. Myriam comprend qu’elle est en danger. Et qu'elle est coincée.
Elle contacte l’ambassade française qui lui fournit une liste de cinq points de ralliement dans lesquels se rendre afin d’être rapatriée. Elle en choisit un au hasard, prend un taxi et part. Sur la route, elle découvre un pays en ruine. «Je me suis rendue compte de ce qu’il se passait vraiment. La réalité était en opposition totale avec ma vie d’avant, ma bulle dorée.» Arrivée sur place, la jeune femme fait face à un grand portail qui donne sur une énorme bâtisse en pierre. Myriam se trouve devant un couvent. Le gardien, surpris, lui ouvre. La jeune femme rencontre ensuite la mère supérieure. Elle lui explique qu’il n’y a strictement personne sur les lieux. «Elle m’a tout de même laissé entrer. Pour elle, c’était inconcevable de me laisser repartir seule».
Installée dans les cuisines du sous-sol, Myriam attend que l’ambassade de France veuille bien la rapatrier. «J’étais majeure et surtout, je n’étais pas blessée. Je n’avais pas la priorité», explique-t-elle. C’est là, cloîtrée entre les frigos et les casseroles, derrière de gros murs solides, que Myriam doit prendre son mal en patience. Le moteur des avions qui tournent et les bruits des bombardements lui font perdre la notion du temps.
Un jour, malgré l’interdiction de sortir, elle craque: «J’étais accompagnée de sœur Jeanne d’Arc avec qui je m’étais liée d’amitié. Elle m’a emmenée à l’extérieur du couvent. Il y avait un jardin potager, des arbres fruitiers, de la terre… Enfin je pouvais respirer». Au milieu de ces restes de nature, Myriam découvre des tracts sur le sol: «C’est l’aviation israélienne qui avait lâché ces papiers. Ça montrait un dessin censé représenter le chef du Hezbollah comme une menace pour le pays. J’en ai pris un et je l’ai mis dans ma poche».
Au bout d’une semaine, Myriam reçoit un téléphone. Il s’agit d’un haut gradé français. Ses mots sont brefs mais clairs: Elle doit se trouver au port dans une heure et demie. Le rapatriement, c’est aujourd’hui. Après des jours d’attente qui se confondaient presque avec des années, les minutes de Myriam sont désormais comptées. Elle doit faire vite. «Le gardien est allé chercher ma valise pendant que sœur Jeanne d’Arc et les autres rassemblaient mes affaires.»
Entre délivrance et déchirement
Arrivée au port de Beyrouth, elle embarque à bord d’un navire militaire français. La nuit tombée, elle monte sur le pont et observe la capitale au loin. De là, elle voit des lumières qui s’imposent dans le noir. «Non, ce n’était pas des feux d’artifice inversés, mais des bombes qui tombaient».
Devant ce sombre spectacle, Myriam ressent une profonde injustice. Pourquoi elle? Pourquoi la seule couleur d’un passeport justifie-t-elle certains privilèges? Ce départ qu’elle attendait tant a comme un goût amer.
La guérison
Après quelques heures, le bateau arrive à Chypre. Elle s’envole ensuite pour Paris où elle retrouve ses parents, soulagés qu’elle soit saine et sauve. Toutefois, si Myriam n’a aucune séquelle physique, elle n’en reste pas moins traumatisée. «Je travaille aujourd’hui à la sûreté aérienne de l’aéroport de Genève. Durant longtemps, lorsqu’il y avait une alerte à la bombe à cause d’une valise abandonnée ou que je voyais un passeport israélien, je paniquais».
Le périple de Myriam aura duré un peu plus d’un mois. Elle a emmené peurs et angoisses avec elle dans ses bagages. Mais pas seulement. En effet, quelque part au fond de ses valises se cache une photo de cèdre accompagnée d’un petit mot: «Malgré les destructions, le Liban reste, et restera, vert pour toujours. Bonne route chère Myriam, signé sœur Jeanne d’Arc, le 20 juillet 2006». Alors oui, «avec le temps, tout s’en va» ou presque. Les souvenirs, eux, restent, n'en déplaise à Monsieur Ferré.