«Oh Lord, please don’t let me be misunderstood», chantait Nina Simone en 1964, ce que l’on pourrait traduire par «Dieu s’il te plaît, ne me laisse pas être incomprise». Le refrain de cette chanson absolument magnifique, qui résonne à la fin du deuxième épisode de «A league of their own», résume à lui seul le propos de la série, disponible en intégralité sur Amazon Prime Video. Il est ici question d’affirmation de soi face aux autres, ou plutôt en dépit d’eux, en gardant le secret espoir d’être accepté tel que l’on est.
L’histoire de cette ligue se déroule un peu plus de vingt ans avant l’écriture de cette musique. Nous sommes au beau milieu de la Seconde Guerre mondiale et les États-Unis voient partir des trains entiers de jeunes hommes appelés au front. Conséquence sûrement sous-estimée de cette hémorragie: il devient difficile de composer des équipes de baseball.
Un peu comme dans les usines, certains pensent alors faire appel à des remplaçantes et proposer, pour la première fois de l’histoire, une ligue féminine. Histoire de sauvegarder le sport et sa symbolique patriotique. Carson, Jo, Greta et des dizaines d’autres intrépides s’aventurent alors à Chicago pour tenter d’intégrer une équipe. Elles finiront par former les Rockford Peaches.
Un film adapté et mis à jour
«A league of their own» est en réalité l’adaptation d’un film du même nom, sorti en 1992 avec Tom Hanks, Geena Davies et Madonna. Autant dire que la série part avec quelques handicaps. Celui d’être un remake, à l’heure où ils sont souvent au mieux inutiles, au pire terrifiant de nullité. Et celui de parler de baseball, sport absolument incompréhensible pour qui ne vit pas aux États-Unis ou n’est pas étrangement passionné. La production d’Amazon a donc d’autant plus de mérite à s’imposer comme une mise à jour intelligente du film original et un divertissement admirablement bien ficelé.
«A league of their own» tisse en effet un récit choral qui s’intéresse parallèlement aux Rockford Peaches et à Max, jeune afro-américaine et lanceuse surdouée, exclue d’office de la ligue à cause de sa couleur de peau. Sa première qualité est d’arriver à imbriquer ces deux arcs narratifs sans artifices.
La seconde est justement de regarder l’époque et la société américaine des années 1940 avec beaucoup plus d’acuité que le film de 1992 le faisait. Là où le long-métrage racontait d’abord comment des femmes s’étaient emparées d’un sport traditionnellement masculin, la série aborde en détail le sexisme, le racisme, la lesbophobie et les brimades auxquels elles ont été confrontées.
Romances lesbiennes
Car oui, «A league of their own» version série entame aussi un sacré virage queer dans son adaptation. Carson, femme mariée, semble plus embarrassée que comblée par la présence d’un époux envoyé au front, dont elle espère en secret qu’il ne revienne jamais. L’amitié qui unit Greta et Jo est pour le moins ambiguë. Quant à Max, elle se force à répondre aux avances d’un gentil gars du coin, en misant sur le fait qu’il lui permettra de jouer dans son équipe de baseball, alors qu’elle passe ses nuits dans les bras d’une femme.
La série est suffisamment intelligente pour que ces multiples représentations ne ressemblent pas à une liste de courses progressiste dont on aurait coché toutes les cases, mais s’imbriquent parfaitement dans une fiction qui n’oublie jamais de divertir.
L’humour y est d’ailleurs bien présent, à l’image des premières journées des Rockford Peaches, moins consacrées à l’entraînement qu’à faire de beaux produits marketings avec les joueuses. On les voit subir un coaching pour apprendre à se maquiller, puis forcées à jouer en robe, que certains aimeraient d’ailleurs bien raccourcir de quelques centimètres.
Personnages attachants
Ce faisant, la série relègue le baseball au second plan, préférant considérer le sport comme un moyen tout à la fois d’intégration et d’accomplissement. Sa force est d’arriver à montrer, grâce à sa multitude de personnages soignés, les différents moyens d’y parvenir.
Là où Greta accepte le jeu compliqué du patriarcat en faisant des risettes, Jo, qui correspond plus au profil de la lesbienne «butch», les refuse intégralement. Carson ou Max oscillent entre les deux et il reste, à la fin, des femmes à la psyché subtile, qui se déploient progressivement dans toute leur complexité et leur ambition sur huit épisodes. C’est très attachant, drôle, émouvant aussi, et retrouver tout cela dans une série est toujours un immense plaisir.