C’est dans un atelier de couture caché derrière la Maison Rouge, une mercerie située au centre du village de Savigny, que Marjorie nous donne rendez-vous.
La jeune romande de 24 ans qui se fait aussi appeler Enelden dans la communauté cosplay est assise entre quatre machines à coudre estampillées Bernina et un mannequin vêtu d’une robe de princesse Disney confectionnée par son amie Capucine, la maîtresse des lieux. Le vêtement n'attend plus qu'on lui couse encore une manche.
Elle finalise le costume qu’elle vêtira à l’occasion d'un concours cosplay qui a lieu dimanche à Polymanga. «Je vais interpréter le personnage d’Illumi Zoldyck dans «Hunter X Hunter». Il manque encore quelques détails mais j’ai bientôt terminé», nous explique-t-elle avec un sourire en coin.
La timide devenue fana de cosplay
C’est en cousant des petites sphères jaune poussin sur le buste de sa création que Marjorie accepte de se confier. «Adolescente, j’étais très timide et super introvertie. J’avais du mal à me faire des amis. Ce manque de confiance en moi m’a poussée à me réfugier dans ma chambre, seule devant mon ordinateur et avec mes jeux vidéos».
Et puis, un jour, sa mère prend LA décision qui va tout changer: «Après avoir aperçu une affiche pour le Swiss Fantasy Show dans le métro, elle a décidé de m’y traîner. C’était en octobre 2012».
Si l’événement dédié au fantastique, à la science-fiction et à la pop culture est une évidence pour cette maman fana de «Star Trek» et «Star Wars», ça l’est un peu moins pour la jeune Marjorie, 14 ans à l’époque.
Jusqu’au moment fatidique où l’adolescente croise une personne déguisée en Padmé Amidala: «C’était comme si le personnage était tout droit sorti de l’univers de 'Star Wars'. Quand je l’ai vue, j’ai su que je voulais aussi susciter ce sentiment chez les autres. C’est là que tout a commencé».
De nulle en couture à costumière
«Après cette révélation au Swiss Fantasy Show, j’ai décidé de me rendre à Japan Impact l’année suivante.» Et comme la jeune femme adore les super héros, se vêtir en Loki allait de soi. «J’ai toujours été fan des comics et du monde Marvel. Mes premiers costumes étaient donc surtout inspirés de cet univers-là. M’habiller en super héros était d’ailleurs un premier pas pour venir à bout de mes complexes. Porter des collants et des combinaisons moulantes m’a forcée à accepter mon corps».
Oui, sauf qu'il y a un petit problème. A l’époque, Marjorie n’a strictement aucune expérience en couture. Pire, elle déteste ça. «À l’école, je trouvais cette matière inutile. Sans parler des profs qui m’agaçaient», raconte-t-elle amusée. Elle sollicite donc l’aide de sa tante dont c’est le métier.
Après avoir coupé, épinglé et cousu du tissu des mois durant, Marjorie prend une décision dingue: entamer des études de couture à l’ERACOM. Après trois ans d’apprentissage, la Lausannoise s’apprête aujourd’hui à terminer une année de formation de costumière de théâtre. Qui l'aurait cru?!
Lorsqu’on ose lui demander si c’est bien le cosplay qui l'a menée à choisir sa profession, la réponse est limpide: «Absolument! Si je ne m’étais pas prise de passion pour le cosplay, je ne pense pas que je serais couturière à l’heure où je vous parle».
Du tissu, mais pas que…
Toutefois, le cosplay va bien au-delà de la couture, c’est un art multidisciplinaire. Il faut savoir travailler la mousse, la pâte, le polystyrène, connaître différents types de peintures et savoir les appliquer correctement. À force de traîner dans les magasins de bricolage en quête de matériau dont elle ne connaît parfois pas l’utilité première, Marjorie l’avoue volontiers, elle connaît toutes les boutiques du genre de Lausanne et environs.
«Si certains choisissent leur personnage en fonction de leur affinité, moi, ce qui me plaît, c’est le facteur transformation. J’aime aller dans les extrêmes», nous explique Marjorie. L’amour du challenge va jusqu’à la pousser à cosplayer Twitch en 2015.
Il faut dire que créer le fameux rat du jeu vidéo «League of Legends», n’a pas été une mince affaire. Pour mener bien son projet, Marjorie se procure des figurines dont elle peut s’inspirer des détails, cherche des images sur le Net et achète tout un tas de matériaux. La jeune femme va même jusqu’à s’intéresser à la communauté furry (un mouvement né dans les années 1980 et qui se passionne pour les animaux anthropomorphiques) afin que son cosplay soit parfait. «Tout fabriquer de A à Z m’a pris trois ans en tout et ça m’a coûté environ 1000 francs». Mais le jeu en a valu la chandelle puisqu'en 2018, la Romande a été sacrée meilleur cosplayeuse à Polymanga.
Notons que le maquillage fait aussi partie intégrante du cosplay. Maîtriser l’art du make-up est primordial afin de respecter au mieux les traits du héros qu’on a choisi d'incarner. Pour Aizawa, fameux personnage du manga «My Hero Academia», il faut compter en tout cas deux heures de maquillage, sans oublier le coiffage puis la mise en place de la perruque.
En concours, pas le temps de stresser
En admirant le travail de cette jeune femme qui s’applique à fignoler les derniers détails du cosplay qu’elle présentera cette année, on ne peut s’empêcher de penser que le stress est inévitablement de mise une fois face au jury. En réalité, non. «Vous savez, on est tellement fatigué pendant le concours qu’on n’a pas le temps d’angoisser. Le stress est surtout présent les jours qui précèdent, lorsque le cosplay n’est pas encore terminé ou qu’il faut tout découdre pour recommencer».
Quoi?! Tout découdre?! Eh bien oui, même si Marjorie a commencé la création de son Illumi il y a un moment déjà, elle bien décousu puis recousu les manches de son costume cinq fois, histoire que tout soit bien à sa place. «Là, par exemple, je n’aime pas la manière dont le col tombe et les ornements jaunes sur le haut ne vont pas. Je vais refaire ça ce soir», précise-t-elle avec un ton assuré dans la voix.
Cette aspiration à la perfection ne risque-t-elle pas d’attiser l’esprit de compétition parmi les concurrents? «Pas du tout. En Suisse, l’ambiance est très bon enfant. On s’entraide beaucoup. Juste avant de monter sur scène, on scrute les autres pour couper un fil qui dépasse ou réajuster un ruban, par exemple». En revanche, il semblerait que cette solidarité soit typiquement suisse. On dit qu’en France, les cosplayeurs n’hésiteraient pas à saccager discrètement les costumes des autres pour s’éviter une trop forte concurrence. «Enfin, ce ne sont que des rumeurs», signale notre Suissesse.
S’aimer, se faire des amis et avoir un but
Lorsqu'on écoute cette passionnée nous raconter son histoire avec entrain tout en restant concentrée sur les détails de son costume, difficile de s’imaginer qu’il y a 10 ans, cette jeune femme osait à peine mettre le nez hors des quatre murs de sa chambre. «Si j’ai longtemps été complexée, je peux le dire: aujourd’hui je m’adore!»
Car non, le cosplay n’est pas juste un déguisement comme pourraient peut-être le penser certains. «Le cosplay m’a véritablement permis de m’aimer, de me faire des amis et d’avoir un but à un moment où j'étais très malheureuse. J'irais même jusqu'à dire que le cosplay m’a véritablement sauvé la vie».