Un enfer de travaux pendant dix ans – au minimum – pour un résultat incertain, une facture astronomique pour des aménagements qui n'auraient pas du tout profité à certaines régions, une hérésie sur le plan écologique, un projet dénué de toute vision à long terme. Il convient d'admettre que le plat concocté dans les cuisines d'Albert Rösti avait un sérieux goût de rance.
L'assiette aurait d'ailleurs été renvoyée encore un peu plus sèchement au marmiton, si les milieux soutenant le oui à l'élargissement des autoroutes n'avaient pas allongé des millions pour masquer le mauvais goût du menu soumis ce dimanche aux Suissesses et aux Suisses. Des citoyennes et des citoyens qui ne se sont pas laissés berner et ont logiquement répondu «nein, danke».
Investir, mais pour aller où?
Les défenseurs de la nature et les milieux écologiques peuvent exulter. Au-delà des faiblesses du projet décelées par la population, c'est une Suisse légitimement lassée du «toujours plus» et inquiète des conséquences dramatiques du dérèglement climatique, qui vient d'indiquer clairement à ses autorités ne pas vouloir de cette fuite en avant. Il faut reconnaître que se retrouver chaque matin dans sa bagnole pour faire le même trajet, ça n'est pas encore le «kiff» absolu. Avec ou sans bouchon.
Seulement voilà: dire non, c'est invariablement l'assurance de faire du surplace, comme chaque matin sur l'A1 entre Coppet et Genève. Or il est indubitable que l'asphyxie n'est pas seulement climatique et que nos besoins en mobilité nous menacent également d'étouffement. L'urgence est donc bien là, à nos portes. A celles des voitures comme à celles des trains, d'ailleurs. Le problème, c'est que nous n'avons aucun plan pour y faire face et que ce n'est pas près de changer.
La Suisse paie ici son manque de capacité à anticiper les problèmes. Il aurait fallu penser à un plan mobilité bien plus tôt, il y a plus d'un demi-siècle, alors que de nombreux experts alertaient déjà sur les problèmes à venir. Souvenons-nous que le projet de Swissmetro date de 1974...
Fonds de tiroirs chez KKS
Remonter la pente sera difficile. Parce que les questions de mobilité divisent une classe politique noyautée par des puissants lobbies, mais aussi parce que notre pays, obsédé par l'idée de faire toujours mieux que les autres, a adopté un frein à l'endettement qui s'apparente aujourd'hui à un frein au progrès. Il faudrait des sommes colossales pour révolutionner notre mobilité, un engagement qui semble incompatible avec le programme d'allègement des finances d'un Conseil fédéral qui fait en ce moment même les fonds de tiroirs.
Il existe pourtant des solutions pour sortir de l'ornière. On pense notamment à la BNS. Ses centaines de milliards de francs de réserves pourraient permettre de donner un second souffle à une Suisse en besoin de grands travaux dans de nombreux domaines (mobilité, énergie, numérisation, social). Des travaux qui bénéficieraient à son économie et lui permettraient, ainsi qu'à ses citoyennes et citoyens, de ne pas bêtement attendre en gare un train qui ne vient pas à cause des «dégâts à la ligne de contact».
A force de «pétouiller», un jour viendra où notre pays sera largué. A méditer...