Philippe Nantermod
La géopolitique, vrai cynisme mais fausse intelligence

Le conseiller national PLR valaisan Philippe Nantermod, membre de l'équipe de chroniqueurs de Blick, aborde ici la notion de géopolitique en ces temps de conflit en Ukraine... en égratignant au passage ceux qu'ils nomme «les géopoliticiens de comptoir».
Publié: 14.04.2022 à 16:10 heures
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Dernière mise à jour: 14.04.2022 à 18:03 heures
Photo: DUKAS
Philippe Nantermod

D’accusateurs de la dictature du Covid-19, les voilà devenus les chantres de Vladimir Poutine. Décidément, le temps donne raison à Umberto Eco. Je ne serais pas surpris que les réseaux sociaux finissent par s’effondrer sous leurs propres travers.

Avant eux, on racontait n’importe quoi au coin du bar. On déplaçait des blindés avec sa chopine sur le zinc avant de se faire allègrement rabrouer par le patron. Maintenant, les mêmes géostratèges de comptoir (anciennement épidémiologistes de cantines) sont devenus des personnages écoutés. Parfois même invités à la radio.

Être géopoliticien, c’est facile. Une fois ouvert votre compte Twitter ou obtenu une invitation radiophonique quelconque (au hasard, le dimanche matin sur la Première), racontez n’importe quoi. Citez pêle-mêle les forces chinoises, les Américains et l’Iran, quelques agences de renseignements. Nommez les dirigeants des gouvernements les plus sordides du monde par leur patronyme. Balancez deux ou trois banalités trouvées sur Wikipedia (genre la capitale de l’Ouzbékistan ou la religion des habitants de Shanghaï), mentionnez une ou deux organisations terroristes et ne manquez jamais d’introduire un peu de matières premières. Des trucs qu’on peut brûler dans un moteur, de préférence. Appelez les pays par leur capitale, ça fait fin connaisseur aussi. Surtout, ne vous souciez pas du sort des civils. Jamais.

Par exemple. «Dans ce conflit, il ne faut pas occulter le jeu d’influence que joue le président indien, un pays de près 1,4 milliards d’habitants, dans la relation sino-russe, surtout s’agissant de l’approvisionnement de gaz dont on oublie qu’il a énormément besoin. Et l’on peut parier que, malgré la pression du Hezbollah aux frontières, Damas ne manquera pas de rappeler à Poutine à ses bons souvenirs (sic), quitte à être payé en roupies.»

Le monde n'est pas qu’une grande partie de Risk

Ce genre de phrase, balancez-la sur n’importe quel réseau ou dans un dîner mondain, vous ne prendrez pas un grand risque. Au pire, vous tomberez sur quelqu’un qui dira l’inverse. Mais vous aurez l’air malin, stratège, érudit. Sauf à tomber sur une victime, mais vous pouvez compter sur la statistique et la distance pour vous épargner ce moment de gêne.

Sauf que depuis que Vladimir Poutine a décidé de fêter les 30 ans de l’horrible siège de Sarajevo en bombardant l’Ukraine et en commettant les pires crimes de guerre, la géopolitique donne la nausée. Avec la découverte des charniers de Boutcha et des viols en masse, on ne peut plus faire comme si le monde n’était qu’une grande partie de Risk.

Face à l’horreur, on peut lire de nombreux commentateurs, du grand professeur au simple citoyen, se ranger derrière une «géopolitique» froide pour faire comme si ce qui se passait en Ukraine était normal. Comme s’il fallait s’y attendre. Comme si c’était admissible, explicable. Faire des agressés, les agresseurs.

En vérité, la «géopolitique» n’est plus qu’un machin pour faire passer le cynisme pour de l’intelligence. Une excuse pour détourner le regard de l’horreur, de l’écœurant, de l’insoutenable.

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