Nicolas Capt
Extinction Rebellion: et la loi dans tout ça?

Nicolas Capt, avocat en droit des médias à l’humour piquant, décortique deux fois par mois un post juridique pour nous. Dans sa troisième chronique, il s’attaque au slogan d’Extinction Rebellion et au respect de la loi dans les récents procès d'activistes climatiques.
Publié: 28.06.2021 à 14:07 heures
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Dernière mise à jour: 28.06.2021 à 19:03 heures
Nicolas Capt

«The roof, the roof, the roof is on fire!»

Tweet d'Extinction Rebellion.
Photo: Nicolas Capt

Le style est direct, efficace, vrai. Le groupement Extinction Rebellion y énonce des vérités dérangeantes: l’homme n’a pas de moyen de refroidir les océans, ne sait pas fabriquer de la couverture glaciaire et n’est pas davantage outillé pour créer une forêt primaire. Mais il peut décider de cesser de brûler des énergies fossiles. Là encore, l’évidence s’impose, et un changement des mentalités aussi.

Le soussigné, trop longtemps détenteur d’une automobile trop grande et vorace en grossier carburant, y renoncera désormais. Prise de conscience personnelle, à force de voir, année après année et dans une inquiétude, il est vrai, vite balayée par le confort ronronnant de l’auto et de son volant cuir, la carte des glaces qui s’évanescent dans le silence des pôles?

Ou effet des campagnes et actions menées depuis belle lurette, d’abord dans une relative indifférence générale puis fortement valorisées depuis qu’une fillette entre deux âges à la tresse sévère et au regard inquiet a incarné - durant quelques temps et tout à la fois - le cauchemar des industriels carbonés et l’occasion rêvée pour des politiciens astucieux de redorer, à bon compte de repentance calculée et souriante, un blason bien terni? Sans doute un mélange des deux: les décisions individuelles sont souvent nourries des orientations, avisées ou non, du plus grand nombre.

Le slogan d’Extinction Rebellion est formidable, presque aussi bon comme celui de la française des jeux: « 100% des gagnants ont tenté leur chance ». Diantre, il fallait le trouver celui-ci, un slogan motivant et surtout vrai. Motivants, les slogans le sont pour ainsi dire toujours. Vrais, c’est évidemment plus douteux. Cela me rappelle le slogan, que je n’ai pas connu (je suis bien trop jeune pour cela) mais dont mes parents m’ont fait le récit, de la lessive ALA et de ses « enzymes gloutons », censés dévorer la saleté. Bon, naturellement, la promesse était sans doute trop ambitieuse et, surtout, elle fut un échec cuisant, la ménagère d’alors craignant que les enzymes ne soient à la vérité si gloutons qu’ils ne dévorent le linge avec.

Un terrain miné, politisé où chacun des camps estime être dans son bon droit absolu

Ce long chemin des écoliers m’amène à interroger le traitement, par la justice helvétique, des actions militantes menées dans le contexte de la lutte contre le réchauffement climatique. Un terrain miné, politisé, chacun des camps estimant, naturellement, être dans son bon droit absolu: la banque - traditionnellement c’est elle la cible de la vindicte, des sittings enchaînés, des matchs de tennis symboliques et des mains rouges sur la jolie façade - qui parfois ne juge pas utile de se présenter au procès qu’elle a elle-même initié et ne change pas d’un iota – ou si peu – ses investissements honteux à faire rougir une pivoine, sûre que l’orage excessif de ces verts enragés finira bien par passer, comme un coup de tonnerre d’été qui, après avoir lavé l’asphalte et permis au pétrichor d’exhaler ses senteurs, finit par s’en aller et laisser la place à la lumière dorée du soir.

Et de l’autre les militants, souvent en vélo, qui voient tout à la fois la fin des mondes se présenter au portillon et l’occasion rêvée de passer une après-midi ludique en fumant un pétard et en sirotant un jus de gingembre avec une paille en bois, tout en omettant consciencieusement, question de principe, de se questionner sur la licéité de l’activité menée, galvanisés par la figure tutélaire d’un prix Nobel vaudois aux allures de père Noel dégingandé, étrangement aussi bonhomme que radical.

Et la loi dans tout ça?

Et la loi, dans tout ça? Alors, c’est un peu la malle aux déguisements dépareillés, celle où le pantalon de pirate se combine, tant bien que mal, avec le haut à étoiles de Merlin l’enchanteur. Car la mode juridique actuelle veut que, face à des infractions dont la commission ne peut pas véritablement être niée avec succès, soit alors plaidé, dans une forme de pensée magique activiste, l’état de nécessité.

Cette figure juridique vise le fait de rendre exceptionnellement licite un comportement qui constitue usuellement une infraction (par exemple, pénétrer chez quelqu’un sans son autorisation), ce pour empêcher la survenance d’un dommage plus grave (dans le même exemple, cela pourrait être de se mettre à l’abri d’un animal féroce). Les exigences sont toutefois assez strictes: il faut un danger imminent et également que ce dernier ne puisse être détourné autrement que grâce à l’accomplissement de l’acte illicite en question.

Soyons honnêtes: aussi honorable – et vitale serait-on tenté de dire – que soit la cause climatique, elle ne permet pas de revenir à loisir sur les fondamentaux du droit pénal. Et pas davantage à un juriste régulièrement constitué de retenir un état de nécessité. Ce n’est pas une partie de tennis en intérieur qui permet de ralentir le réchauffement climatique, ni une main rouge qui freinera la fonte des icebergs. Cela permet, toutefois et indéniablement, de porter la question sur la place publique et d’y faire évoluer des conceptions (trop) bien ancrées. Et cela, en soi, mérite l’attention portée. Mais il n’y a, juridiquement parlant, aucun état de nécessité ici.

Le Tribunal fédéral a, il y a quelques jours, assez sèchement mis fin aux fantaisies juridiques des juges genevois et vaudois qui, dans un élan sans doute louable de progressisme et de soutien à la cause climatique et peut-être grisés par l’idée même de participer à une forme de révolution verte, ont outrepassé leur pouvoir. C’est sans doute là le plus gênant: la remise en question, pour des motifs politiques - de quelque nature que ce soit - de la sereine application des lois.

À défaut, aujourd’hui pour de bonnes raisons ou vues comme telles, et demain pour de mauvaises peut-être, le cadre juridique s’adaptera au gré des tempéraments, des climats et des humeurs. Et cela, c’est un régime juridique qui s’approche dangereusement d’une forme particulièrement pernicieuse de dictature du nombre. Le combat climatique, qui nous concerne tous au premier chef, vaut sans doute mieux: un débat au sein des institutions, des votes et une mise en application efficace et vertueuse.

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