Chers Suisses-Totos,
C'est avec une immense affection que je vous affuble de ce petit surnom. Voilà plus d'une décennie que je travaille avec vous, et que je vous aime. Parfois même davantage que mes frères et mes sœurs welsches. Je vous aime pour votre rigueur, là où nous sommes une équipe de foutraques. Pour votre sens de l'exigence, quand nous nous contentons d'un «ça veut déjà bien aller». Pour votre élégance, lorsqu'il nous arrive d'être des pignoufs. Et aussi (je cours chercher armure et parapluie) pour votre vin et votre gastronomie, meilleurs que les nôtres.
C'est donc en ami que je vous conseille, à vous qui êtes tombés en catalepsie à l'annonce de l'élection d'Elisabeth Baume-Schneider: prenez une profonde respiration, «ça veut déjà bien aller». J'ai même une bonne nouvelle pour vous. Si le fait que la Suisse est désormais gouvernée par une majorité latine vous désoriente: l'expérience de la minorité vous fera retrouver le nord (ou plutôt l'ouest). Elle fera de vous des meilleurs Suisses, des meilleures Suissesses.
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Voyez-vous, nous, les Welsches, sommes minoritaires depuis bientôt deux siècles d'État commun. En 1848, seul un Romand, l'infatigable défenseur de la laïcité, le passionnant Henri Druey, figurait parmi les sept premiers Sages. Les Jurassiennes et les Jurassiens qui font la fête aujourd'hui vous le diront: être minoritaire, ça forge un sacré caractère. Vous verrez, vous ressortirez de cette période (certainement brève) plus costauds.
Nous composons avec les résultats de vos votes
Voyez-vous, nous, les Welsches, devons souvent composer avec des résultats de votations qui ne sont pas ceux que nous aurions souhaités. Mais parce que c'est la démocratie, parce que nous savons que nous sommes une «Willensnation» (et donc «qu'on l'a bien voulu»), nous acceptons vos votes avec sérénité. Or c'est justement la démocratie, encore elle, qui s'est exprimée par la voix des parlementaires derrière EBS. Vous verrez, vous ressortirez de cette période plus philosophes.
Voyez-vous, nous, les Welsches, sommes un peu invisibles à vos yeux. Tous les journalistes alémaniques qui faisaient le pied de grue à Bâle pour accueillir Eva Herzog et qui ont dû se radiner ventre à terre à Delémont et aux Breuleux ont découvert une réalité sociale et économique qui leur était totalement étrangère. Bien différente des campagnes alémaniques cossues. Ceux qui râlent à l'idée d'avoir choisi la représentante d'un canton bénéficiaire de la péréquation financière verront enfin ce pour quoi ils paient.
Notre statut majoritaire nous permettra de mieux nous faire connaître. Vos représentantes et représentants au Conseil fédéral, qui doivent s'engager pour toute la Suisse, prendront des décisions plus éclairées. Vous verrez, vous ressortirez de cette période plus proches de nous.
Et vous découvrirez, peut-être, que nous ne sommes finalement pas si foutraques. Pas si légers. Pas si pignoufs. À commencer par la femme qui vient de faire entrer Les Breuleux au Conseil fédéral.