Le commentaire de Lucie Fehlbaum
Prendre congé quand on est battue? AXA banalise l'insoutenable!

Une semaine de calme et ça repart: l'idée des «jours de repos» en cas de violence domestique proposés par AXA banalise un crime et place la responsabilité sur la victime, estime notre journaliste Lucie Fehlbaum.
Publié: 22.01.2025 à 17:11 heures
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Dernière mise à jour: 22.01.2025 à 17:20 heures
L'intention de l'assureur est louable, mais la communication, vraiment maladroite.
Photo: Shutterstock
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Lucie FehlbaumJournaliste Blick

«– Salut Martine, t'as manqué au bureau cette semaine! T'as pris un petit congé?

– Non Martin, j'ai pris un repos parce que mon mari me bat. Et toi, ça roule?»

L'échange relève de la science-fiction. Pourtant, c'est l'effet que fait la nouvelle politique déployée par l'assureur AXA: une décontraction en total décalage avec la réalité.

L'employeur offre depuis janvier cinq jours de «repos personnel» aux employées victimes de violence domestique ou sexuelle. Mais aussi à celles qui subissent une fausse couche ou ont recours à la fécondation in vitro.

Battue? Un coup de malchance

Et c'est cette énumération qui choque. Si douloureuse que soit l'expérience d'une fausse couche, elle fait malheureusement partie du jeu de la vie. Personne n'y peut rien. La violence domestique serait donc aussi une malchance dont personne n'est responsable? Et puis, sincèrement, proposer aux femmes battues à la maison de se reposer chez elle, est-ce très malin?

Mais le vrai problème, le fond nauséabond d'une telle initiative, c'est la banalisation des violences faites aux femmes. Femmes qui, en passant, n'ont pas le droit au congé menstruel – mais si un homme les cogne, c'est oui!

Refuser d'accepter!

Il s'agit surtout d'insérer un problème de société à combattre en bloc dans un panier de demandes légitimes. Les femmes portent la vie, la responsabilité des enfants et dans – encore – une vaste majorité des cas, la souffrance quand la grossesse se passe mal. Pour cela, chapeau à AXA d'offrir un congé pour la FIV, pour les fausses couches, et un congé maternité généreux.

Mais jamais une femme physiquement ou sexuellement agressée chez elle ne doit s'imaginer que sa situation s'inscrit dans le cadre normal de la vie. Qu'avec un peu de repos par-ci, par-là, elle est censée pouvoir affronter. Elle ne doit pas affronter! La problématique est complexe, les procès parfois perdus, mais en écoutant, en encadrant ces femmes, on fait aussi naître l'immense courage nécessaire pour partir et pour appeler la police avant qu'il ne soit trop tard.

«Récup' post-meurtre»

En cela, proposer un «congé femme battue» sonne aussi absurde qu'une «absence pour planifier un braquage», ou une «récup' post-meurtre». Cette banalisation de la violence est d'autant plus tragique au vu du drame de Malley (VD). Pour rappel, une femme y a été sauvagement poignardée mardi matin. Une vidéo le prouve, c'est irréfutable. En commentaire de cette scène d'horreur? «L'homme est supérieur à la femme et le sera pour toujours. C'est comme ça.»

Alors, qu'a pensé AXA? Qu'il y a tant de femmes battues qu'on peut bien leur accorder cinq jours de congé par an? Non, évidemment. Leur communication relève de la maladresse et l'intention est louable. L'assureur a d'ailleurs une équipe qui accompagne les collaboratrices dans les moments difficiles. Là, il est à sa place.

Repos à l'ombre

Mais la responsabilité ne doit pas changer de camp. Ce n'est pas aux femmes de prendre congé lorsqu'un homme les frappe, chez elles ou dans la rue.

Ce n'est pas aux femmes de se reposer pour revenir au travail, efficaces et motivées. Proposer cela est totalement déplacé. La responsabilité pèse sur les auteurs. Qui ont tout le loisir de poser des jours de repos… derrière les barreaux.

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