Que diriez-vous si la Confédération suisse décidait de privatiser l'ensemble de son réseau autoroutier, uniquement pour renflouer ses caisses ou avoir plus de liquidités?
Nous serions beaucoup à nous insurger contre l’idée. Les arguments contre ne manqueraient pas. On risquerait de sacrifier la qualité de nos infrastructures tout en augmentant les coûts pour les usagers que nous sommes. Et nous perdrions le contrôle sur des aspects essentiels pour la gestion d’un réseau vital à notre économie. Nous n’aurions plus notre mot à dire sur sa maintenance, les tarifs de péage ou de vignettes qui s’y pratiqueraient, ou quant aux priorités d'investissement.
Par bonheur, une telle idée n’est pas au programme dans notre pays. En revanche, ce que l’on se refuserait à faire avec notre réseau autoroutier, le Conseil fédéral se propose de le faire avec le domaine spatial, en voulant vendre l’entreprise Beyond Gravity.
Une pépite helvétique
Beyond Gravity, ce nom la plupart des suisses ne le connaissent pas. Pourtant, leader en technologie spatiale, cette filiale de RUAG – et anciennement nommée RUAG Space – est un fleuron de notre industrie et un acteur de l’innovation «à la Suisse». Nous avons entre nos mains rien de moins que la quatrième entreprise spatiale européenne derrière Airbus, Thales et OHB. C’est Beyond Gravity qui produit les composants de pointe qui équipent nombre de satellites et les fusées Ariane et Vega. En un mot, il s’agit là d’une véritable pépite helvétique.
Une pépite que le Conseil fédéral veut vendre. Pourquoi? Car il considère que cette filiale de RUAG doit être privatisée, en l’absence d’éléments sécuritaires qui justifieraient que nous en gardions le contrôle. En clair: le secteur spatial demande beaucoup d’investissements pour rester compétitif et l’État ne serait pas prêt à payer. Et le produit de la vente des actions Beyond Gravity tomberait à pic dans le budget de la Confédération. Le calcul est simple,
pour ne pas dire simpliste.
Voilà qui semble oublier (ou feindre d’ignorer) que le secteur spatial est aujourd’hui primordial pour le fonctionnement économique et la sécurité de l’ensemble des pays du globe. L’enjeu n’est rien moins que géopolitique: pour les télécommunications, la géolocalisation, les prévisions météorologiques, la surveillance, l’anticipation – bref, la liberté d’action au niveau du pays. À une époque où la course à l’espace atteint des niveaux sans précédent, la Suisse doit rester un acteur clé, pas devenir un simple spectateur. Il s’agit de préserver notre savoir-faire et renforcer notre compétitivité et notre autonomie technologique, au lieu de brader le tout au plus offrant.
Oui aux capitaux privés, non à la privatisation!
Le domaine spatial est en train de devenir une infrastructure critique pour le futur du plus grand nombre, à l’instar des autoroutes aujourd’hui. Avec l'essor des satellites et des technologies spatiales, l'espace est en passe de devenir le réseau de communication, de navigation, et de sécurité du futur. Les satellites jouent déjà un rôle central dans de nombreuses activités, et ce rôle augmente en permanence. Si certains à Berne peinent encore à voir le potentiel du spatial (ou n’y voient que «du gadget», du «Star Wars»), croyez bien que les économistes et investisseurs ne s’y sont pas trompés. Avec une croissance prévue de 40% dans les cinq prochaines années, l’industrie
spatiale est the next big thing.
En combinant les forces de l'État et du secteur privé, nous pourrions non seulement sécuriser notre position stratégique, mais aussi tirer parti de cette expansion phénoménale pour renforcer notre économie et garantir notre sécurité. Alors plutôt que de tout vendre, le Conseil fédéral ne ferait-il pas mieux d’ouvrir le capital au secteur privé tout en restant l’actionnaire principal de Beyond Gravity? Voilà ce qui serait un compromis gagnant «à la Suisse» qui nous permettrait de décrocher les étoiles au lieu de les brader.