La chronique d'Irène Kälin
Voilà ce que ça donne, une majorité féminine

Deux fois par mois, la Verte argovienne rédige une chronique sur la politique suisse. Aujourd'hui, la vice-présidente du National revient sur une expérience qui l'a bouleversée: la récente Session des femmes. La couverture médiatique n'a hélas pas été au rendez-vous.
Publié: 03.11.2021 à 15:37 heures
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Dernière mise à jour: 03.11.2021 à 16:28 heures
Représentante des Verts, l'Argovienne Irène Kälin est vice-présidente du Conseil national.
Photo: Keystone
Irène Kälin

Et voilà, la Session des femmes version 2021 est terminée. Sie ist Geschichte, comme l’on dit en allemand: elle appartient désormais à l’histoire. Une histoire qui va subsister en moi. Une histoire qui va et doit subsister pour notre démocratie. Mais aussi une histoire qui, hélas, n’a pas obtenu l’attention et la couverture médiatique qu’elle méritait.

Cinquante ans se sont écoulés depuis que les femmes ont obtenu le droit de vote et d’être élues en Suisse. Cinquante ans, depuis que onze parlementaires ont pu entrer au Palais fédéral, être assermentées et participer à façonner notre pays. Ce n’est qu’à partir de ce moment que la Suisse a enfin été une vraie démocratie. Car comment un pays peut-il prétendre être une démocratie lorsque la moitié de sa population est exclue de la participation politique? C’est pourtant ce qu’a fait la Suisse pendant des décennies. C’est une honte — il n’y a pas d’autre mot.

Avec l’entrée en politique des femmes, le thème de l’égalité est également apparu sur le tapis. En la matière, beaucoup de choses ont été obtenues en ce demi-siècle. La loi sur l’égalité, l’assurance-maternité, le nouveau droit matrimonial, l’inscription du viol conjugal comme infraction pénale… Autant d’acquis qui témoignent qu’aujourd’hui, 42% de mes collègues du National sont des femmes.

30% du PIB, sans salaire

Et pourtant, les succès de ces 50 dernières années ne suffisent pas à nous consoler d’autres injustices qui subsistent. Aujourd’hui, il existe encore un écart salarial injustifié entre les sexes, la pauvreté des personnes âgées est avant tout féminine, les femmes ne sont toujours pas représentées de manière paritaire au niveau politique et encore moins pour ce qui est des dirigeants d’entreprises.

Ceci sans même mentionner que le sexisme fait toujours partie du quotidien, que la violence envers les femmes est encore terriblement d’actualité, que les trous dans nos rentes sont inévitables et que ce sont les femmes qui assument une immense part du fameux travail «de care» — ces tâches non rémunérées qui représentent 242 milliards de francs, soit 30% de notre PIB. Notre contribution à la société: gratuite, volontaire, sans salaire, sans sécurité sociale et la plupart du temps sans reconnaissance non plus…

Il est grand temps de changer les choses. Pour donner une nouvelle impulsion envers l’égalité, ce sont 246 femmes qui ont afflué de toute la Suisse pour s’asseoir sur les sièges du Parlement, la semaine dernière. Une Session des femmes pour établir des revendications, qui avaient été soigneusement discutées auparavant dans des commissions. Rien qu’à l’écrire, j’en ai la chair de poule: la qualité du travail de ces 246 femmes m’a éblouie.

Avec de la décence, du respect et des applaudissements. Jamais une Session n’avait été aussi calme et bruyante à la fois. Les applaudissements ont été omniprésents, tout comme l’attention portée aux discours et aux différents thèmes évoqués a été fantastique. C’était incroyable, au point que je suis restée bouche bée depuis ma tribune en regardant ce Parlement 100% féminin qui s’engageait pour un meilleur futur: solidaire, diversifié, joyeux et en même temps compétent et sérieux.

Quand les femmes deviennent majoritaires

Voilà ce que ça donne, lorsque tout à coup les femmes deviennent majoritaires. Pas de logorrhée verbale, mais des embrassades. Pas de questions méchantes pour tester la répartie rhétorique de l’adversaire politique, mais des applaudissements respectueux, même lorsque l’on n’est pas d’accord. J’ai eu la chance de pouvoir prendre la parole et m’adresser à ce parterre féminin en tant que vice-présidente du Conseil national. Et j’ai été très applaudie — chair de poule immédiate! Cela ne m’était jamais arrivé auparavant. Cela mérite d’être mentionné, tout comme l’ensemble des revendications légitimes qui ont été discutées et décidées.

Le hic? La couverture médiatique de cette Session des femmes a été très modeste, et surtout très superficielle. «Arena», l’émission de SRF équivalente à «Infrarouge» chez vous, a certes organisé un débat sur l’égalité durant la Session, avec le titre suivant: «Session des femmes — juste de la symbolique?». Logiquement sans aucune participante de la Session, puisque celles-ci étaient… en Session. Quelle blague.

Bienvenue dans la réalité: la majorité de la politique reste entre les mains des hommes, et les médias aussi — si ce n’est plus. Un monde fait par les hommes pour les hommes. En Suisse, hors du Palais fédéral, les femmes sont en majorité. Mais sitôt que les portes de la Coupole s’ouvrent et surtout qu’elles se referment pour laisser les membres de l’Assemblée fédérale siéger, alors je me retrouve en minorité. La plus grande minorité jusqu’ici, certes, mais toujours en minorité.

L’état de l’égalité? Médiocre

Le parallèle médiatique vaut aussi: en Suisse, devant les portes des rédactions et surtout des bureaux des chefs, nous sommes en majorité. Mais plus vous montez dans les étages des bâtiments des médias, plus les femmes sont rares. La Session des femmes et sa couverture dans la presse de ce pays ont attesté de l’état de l’égalité dans ce pays: médiocre.

Et un dernier mot pour «Arena» et la SRF: il ne s’agissait pas du tout de symbolique, mais au contraire de trouver et d’apporter des solutions toutes faites pour boucher les trous de l’égalité. Voilà!

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