Aujourd’hui, j’aimerais présenter quelqu’un. Quelqu’un que je n’aurais pas forcément à présenter, puisqu’il est censé être connu de toutes et tous: Andreas Aebi, mon chef, alias «Res» (les Alémaniques adorent les diminutifs). Res Aebi est le «premier Suisse du pays» cette année en sa qualité de président du Conseil national. Au premier coup d'œil, il est tout ce que je ne suis pas: UDC, agriculteur, agent de voyage, commissaire-priseur, grand-père et, pour revenir à ce qui nous concerne dans cette chronique, de droite.
Mais au second regard, ou plutôt après ces deux années passées à ses côtés en tant que vice-présidente, c'est tout simplement une personne que j'aime beaucoup et qui s'est rapprochée de mon cœur. Parce que tout est bien avec Res. Et aussi grandes soient — et resteront, sans doute — nos différences sur le plan politique, j’ai compris à ses côtés pourquoi des électrices et électeurs pouvaient parfois voter pour quelqu’un qui ne représente pas forcément leurs idées politiques. Avant, je n’avais jamais imaginé cela possible.
Même si mon propre père était à l’UDC, je ne voterais pas pour lui. Jamais. Mais grâce à Res, je sais désormais que je voterais Res Aebi peu importe sa couleur partisane. Toujours. Tant mieux pour mes convictions politiques que je ne puisse pas le faire. Et heureusement pour nous deux qu’il n’est pas mon père, sinon il y aurait quelques tensions autour de la table familiale…
Une histoire de tétines
J’ai connu Res il y a quatre ans, alors que je faisais mes premiers pas au Conseil national, à cause d’une histoire de tétines. De tétines de vaches coincées lors des expositions de bétail. Une chose horrible, des souffrances atroces pour les animaux, mais un thème politique plutôt secondaire, vous en conviendrez. Mais il faut bien un début à toute histoire, et voilà celui de l'histoire entre Res et moi. J’ai aussi pu me rendre compte qu’il en savait bien davantage que moi en ce qui concerne les vaches. Et que celles-ci — contrairement à une interdiction de bloquer les tétines — ne sont pas un thème secondaire en politique. Comment cela pourrait-il en être autrement? Après tout, on a déjà voté sur les cornes de vaches mais pas sur l’accord-cadre avec l’Union européenne…
Bref: les vaches sont importantes. Elles le sont d'autant plus lorsque Res est concerné. Et d’un côté, les vaches sont la meilleure chose qui puisse arriver à un président du Conseil national. Une sorte de garantie qu’il ne perd pas le lien avec le… plancher des vaches, même du haut de son prestigieux perchoir, le «Bock». Le «Bock» est le meilleur fauteuil du Conseil national, le siège du président par excellence. Même là, Res a toujours du temps pour ses vaches.
Une de ses protégées est malade? Res distille ses conseils par SMS. Lorsqu’une vache ne semble pas avoir retrouvé suffisamment la forme après avoir vêlé, il prend son téléphone et chuchote la marche à suivre, au milieu de la salle du Conseil national. Cela a un côté poétique, c’est surtout une ode à notre système. Même comme «premier Suisse», Res Aebi est resté un parlementaire de milice, les pieds sur terre. Et ça l’honore beaucoup. Lui-même appelle ça «Führung von Vorne», littéralement «diriger depuis devant», mais c’est un euphémisme. L’agriculteur dirige avec son esprit, mais surtout avec ses tripes. Il a toujours l’oreille attentive et le cœur ouvert, même pour des préoccupations qui ne sont pas les siennes.
Allumez le «Live-Stream»!
Res Aebi est un homme d’État qui trouve le temps d’aller à l’écurie le soir, et encore parfois le matin avant de venir en Session parlementaire. Il assure être lui-même «un Vert». Politiquement, bien sûr, c'est un non-sens. Il est autant un Vert que je suis une UDC — quand bien même j’ai dit que je voterais pour lui. Mais c’est bien ainsi. Cependant, c’est vrai qu’il a une sensibilité «verte» plus grande que bien des écologistes dans ce pays, et je suis bien plus une campagnarde que beaucoup à l’UDC qui chantent les louanges des campagnes en s’en prenant aux villes. Voilà aussi pourquoi j’élèverais volontiers des vaches avec Res Aebi. N’importe quand.
Mais pourquoi est-ce que je vous raconte tout ça? D’abord, parce que c’est la dernière Session de Res Aebi en tant que président du Conseil national, et qu’il n’est pas connu de votre côté du Röstigraben autant qu’il ne mériterait de l’être. Et que si vous n’avez jamais fait l’expérience d’écouter Res Aebi, vous devriez de toute urgence enclencher le «Live-Stream» du Parlement et l’écouter. Dans la langue originale, bien sûr, car la traduction simultanée enlève beaucoup de son charme. Et honnêtement, je suis persuadée qu’on le comprend même sans traduction. Avec le coeur.
Deuxièmement, sur un plan plus politique, parce que je m’en fiche royalement des discussions en cours, tant autour du fameux «t-shirt» porté par Ueli Maurer, que des affaires privées de son collègue de gouvernement Alain Berset. La première est un manque de tact politique, mais ça reste un t-shirt… En ce qui concerne la deuxième, la vie privée des élu(e)s ne m’intéresse pas et l’histoire manque de substance pour en faire davantage qu’une affaire privée qui aurait dû rester privée. Et enfin, troisièmement, parce que Res Aebi le vaut bien. Un homme charismatique qui représente la politique de milice, a les pieds sur terre et le cœur pur mérite que sa vice-présidente lui consacre une chronique. Même si elle est de l’autre côté de l’échiquier politique.