La Suisse romande a mal à ses infrastructures. Elle se réveille même avec une certaine gueule de bois, consciente tout à coup qu’il y a saturation, tant sur la route que sur le rail. Sans surprise, serait-on tenté de dire, l’autoroute A1 entre Genève et Lausanne datant, par exemple, de… 1964. Une époque où la Suisse comptait moins de 6 millions d’âmes.
Les chroniques de Philippe Miauton
Quant au rail, un simple voyage en Suisse alémanique rend criant le temps que nous avons laissé filer dans nos cantons. La comparaison est révélatrice: gares modernes, quais larges et longs, haute vitesse, réseau dense, wagons flambants neufs, etc. Le temps d’ouvrir les yeux et l’on constate que nous avons des trains de retard sur nos voisins…
Les forums se multiplient ces derniers temps, à la cadence du quart d’heure, pour affirmer que nous ne sommes plus dupes. Mieux vaut tard que jamais. Une triste réalité lorsque l’on sait que l’Arc lémanique est l’un des poumons économiques et démographiques de notre pays.
Trois voies, sinon rien
Les Suisses auront à se prononcer durant le second semestre de cette année sur l’élargissement à trois voies de points névralgiques de notre réseau autoroutier. Il ne s’agit en fait que de quelques «bletz» stratégiques pour desserrer des goulets d’étranglement, notamment celui entre Coppet et le Vengeron.
Mais déjà certains tentent la guerre des transports, prétextant que nos trains déjà saturés devraient absorber - pour ne pas dire résorber - le trafic routier et que cet élargissement fera pousser les voitures. Que les sommes pour ces travaux, dont le budget existe pourtant et qui ne provoquera aucun prélèvement supplémentaire, pourraient être évidemment affectées à autre chose. Que la voiture c’est mal. Comme si les gens choisissaient toujours la bagnole par individualisme et plaisir des grosses cylindrées.
Les gens vivent aux quatre coins des cantons où ils ont trouvé un logement, travaillent ailleurs, amènent leurs enfants où il y a une crèche et doivent donc se déplacer. Le réseau de transports public et le transfert modal sont des luxes qui ne sont pas toujours accessibles. Il devient donc urgent aujourd’hui de désengorger les petits villages qui servent de report aux abords de l’axe bouchonné actuel. Voir la ville de Nyon, qui est le plus grand happeau romand à voitures durant l’été des festivals, s’opposer à ce projet laisse songeur.
Droit dans le mur!
La vision de décroissance naïve et écologiste jusqu’au-boutiste au cœur des villes pourrait conduire à une saturation incompressible. Blocage de densifications de logement notamment, suppression des places de parc et refus sur les aménagements sur les réseaux extérieurs, le tout mélangé aux retards coupables de la gare de Lausanne ou du M3: voilà qui va nous conduire droit dans le mur. Un mur sur lequel les lamentations des vertus du travail de proximité, des transports publics pour tous et de la lutte contre le réchauffement climatique deviendront inaudibles.
C’est d’autant plus navrant qu’une autre initiative pointe le bout de son nez, celle contre une Suisse à 10 millions. L’absence de réponses crédibles aux besoins en voie d’accès, en logements ou en places en crèche produit l’impression que nous sommes trop nombreux. En réalité, c’est le trop peu de projets ou le trop-plein de blocages de ces vingt dernières années qui faussent la donne. Entre la vision idyllique de moins de monde et celle de la décroissance, nous n’arriverons que dans une seule voie, celle de garage.