La liberté d’expression, pilier de la civilisation occidentale, fait peur à certains, y compris des groupes curieusement classés à «gauche». Ils n’y voient plus qu’un instrument de l’«extrême-droite». Eux n’en veulent pas, de cette liberté-là et n’ont même plus en mémoire pourquoi cette liberté a fondé notre civilisation. Un alignement absolu derrière les pouvoirs en place leur convient parfaitement (du moment qu’il satisfait leur intérêts). Et peu importe si nombre d’idées ne peuvent plus s’exprimer, si une diversité d’intérêts ne peut plus être défendue, et qu’on discrimine sur la base des opinions.
Comment a-t-on pu en arriver là? Les démocraties occidentales sont gangrenées par des formes de contrôle oligarchique de la pensée, et d’intimidation de celles et ceux qui usent de leur liberté d’expression en toute légalité. Des médias, des activistes et des lobbyistes prennent pour cible ceux qui dévient de la défense de certaines idées, de certaines causes et intérêts.
L’argent, au cœur du contrôle des opinions
Twitter ou Facebook sont menacés par des boycotts publicitaires de grandes marques, elles-mêmes sous pression d’activistes aux gros moyens, comme illustré par le conflit entre Elon Musk, futur propriétaire de Twitter, et les ONG soutenues par George Soros, qui depuis 30 ans finance ce genre d’activisme orienté.
Sur la scène des idées s’exerce une forme de terreur et de «blame and shame» à l’encontre de personnes qui usent de leur liberté de pensée sans violer aucune loi. Dès lors, beaucoup de monde a peur de ce harcèlement extra-judiciaire hideux: au sein des universités, des entreprises, des médias, de la classe politique, du show business, sur les réseaux sociaux, dans le monde du sport et de l’art, beaucoup n’osent plus s’exprimer. D’autres s’efforcent de penser comme il faut et de dire ce qui convient, histoire de ne pas être excommuniés et de garder leur emploi. J’ai analysé auparavant les parallèles troublants entre cette dérive et l’Inquisition médiévale. Pour comprendre ce phénomène délétère qui ternit les démocraties, il faut lire l’ouvrage du journaliste et écrivain suisse Guy Mettan, «La tyrannie du Bien, Dictionnaire de la pensée (in) correcte».
Softlangue dirigiste
Son constat: en Occident, nous ne sommes pas libres de penser. Il dresse un inventaire des «mots totems» et des «mots tabous» de notre société, faits d’anglicismes et d’éléments de langage, comme les notions du «Mal» (désignant populisme, souverainisme, nationalisme), les notions managériales promues comme «branding» ou «flexibilité», les concepts qui prétendent arbitrer l’information comme «post-vérité» ou «complosphère», ou les idées qui sous-tendent tout un projet de société comme «ruissellement» ou «vivre-ensemble». Ce faisant, il trace les contours de la doctrine qui nous prescrit ce qu’il faut penser dans tous les domaines: géopolitique, social, climat, monde du travail, style de vie…
Pourquoi les élites abusent-elles de cette softlangue dirigiste et la diffusent-elles avec tant de zèle? «Les régimes démocratiques, qui ne peuvent pas recourir à la violence pour convaincre, ont bien plus besoin de propagande que les dictatures, qui par définition n’ont pas de comptes à rendre à leur opinion publique, écrit Guy Mettan. D’où la nécessité d’intervenir en amont, sur la langue, le vocabulaire et les perceptions.»
Cette terminologie du «Bien» (comme l’appelle Guy Mettan) s’écroule lorsqu’on la confronte à la pensée critique, révélant ses manipulations et les intérêts politco-économiques qu’elle défend. Par exemple, tout en prônant l’égalité des genres, on encense les stars de la tech californienne (qui votent progressiste); or absolument aucune femme ne brille dans ce domaine, composé à 100% de mâles blancs, l’univers le moins diversifié qui soit. Ce qui fait dire à Guy Mettan: «A quand des grèves féministes pour protester contre le patriarcat des milliardaires technologiques?» Mais de grèves contre des milliardaires, on n’en verra point.
«La hiérarchie du Bien divise notre société»
Peu sociale, l’idéologie du «Bien» reflète largement les intérêts des 1% les plus riches, qui la financent en bonne part, puisque les grands partis politiques, les grands médias, les réseaux sociaux, les chaires universitaires et les biens culturels sont souvent soutenus par des milliardaires. «La hiérarchie du Bien divise notre société. En haut se trouvent ceux qui ont et ceux qui savent […], en bas s’agite la foule des ignorants, des petits Blancs, des complotistes qui ne comprennent rien à la Raison, à la Science, aux lois de l’économie», résume Guy Mettan.
Cette idéologie méprise les mouvements sociaux comme les Gilets Jaunes et leur colle l’étiquette généraliste d’extrême-droite. Le dialogue social n’est pas sa tasse de thé, malgré son suremploi du concept d’«inclusion». La même idéologie du «Bien» prône par contre «l’austérité» lorsqu’il s’agit de sauver le système financier de ses dérapages et que les populations doivent se serrer la ceinture pour payer la facture de la spéculation effrénée ayant enrichi ses auteurs et siphonné l’argent public. «Par chance, ironise Guy Mettan, l’empire du Bien a pensé à tout. L’austérité y est surtout recommandée pour les pauvres, les bas salaires et les Etats endettés auprès du FMI.»
Les précédentes chroniques
Un alignement atlantiste qui ne supporte pas la critique
Farouchement atlantiste, l’idéologie du Bien ferme les yeux sur les crimes de guerre occidentaux et renie Julian Assange, l’homme qui les a révélés et qui subit depuis 12 ans la torture psychologique et l’emprisonnement politique, de même qu’Edward Snowden, qui a révélé l’espionnage de masse américain et a dû s’exiler. Par contre, elle érige un pont d’or aux dissidents des pays ennemis des Etats-Unis et les élève au rang de héros. Sans complexes. D’ailleurs, «l’empire du Bien ne fait pas la guerre, et encore moins des guerres, il ne mène que des 'combats pour la démocratie' et des ’interventions humanitaires’», raille Guy Mettan.
Une des caractéristiques de ce langage est qu’il affiche 100% d’alignement avec l’establishment et ne supporte pas la critique. En France, le muselage des médias s’est accéléré sous l’ère Macron, et la comm a pris le dessus. Durant la campagne présidentielle, sous prétexte de «faire barrage» à l’extrême-droite, toute critique de fond de Macron a été accusée de «faire le jeu» de Marine Le Pen.
Piètres censeurs et accusations ridicules
De même, toute critique des interventions militaires américaines et de l’Otan est mal venue depuis des années, typiquement accueillie par des accusations ridicules de «complotisme», d’«antiaméricanisme» ou de «faire le jeu» ou «l’apologie» des ennemis de la démocratie. Les mensonges d’Etat et les millions de morts et de réfugiés au Moyen-Orient n’y ont rien fait. Une honte et un discrédit irréversible pour les démocraties.
Mêmes ficelles, sous prétexte que des «antivax» rejetaient la politique sanitaire, la critique de la corruption et des conflits d’intérêts qui ont miné l’institut de virologie de Wuhan ou le secteur pharmaceutique a été combattue par de piètres censeurs prétextant que cela «fait le jeu» des «coronasceptiques» et des «complotistes».
Même situation quand, sous prétexte que Donald Trump était candidat à la présidentielle, l’intelligentsia s’est abstenue de toute critique de Joe Biden et de son fils Hunter Biden malgré les scandales révélés par la presse d’opposition américaine (et étouffés sur le moment), car sinon on «faisait le jeu» de l’extrême-droite. Le Démocrate était incritiquable au moment où les électeurs avaient besoin d’être informés.
Un absolutisme qui ne dit pas son nom
Résultat, les véritables responsables censés rendre des comptes, tapis derrière cette citadelle de propagande, sont peu atteignables ou remis en cause, alors que la population réclame de voir la plus grande vigilance démocratique s’exercer contre les pouvoirs en place et contre les plus gros intérêts, et pas seulement contre les petites gens, les contestataires et les dissidents, qui ne sont pas au pouvoir.
C’est ainsi que s’est glissé un absolutisme qui impose des causes plutôt que d’autres, arbitre le Bien et le Mal, protège l’ordre établi, étouffe le débat, coupe les élites de la population, terrorise les esprits critiques, et sape la confiance dans les institutions. Ce mécanisme, qui repose en bonne partie sur un lobbying rationnel et intéressé, mais qui est aidé par un degré de fanatisme intellectuel, n’a pas sa place dans les démocraties occidentales, fondées sur la responsabilité d’institutions agissant au service du peuple, leur souverain, et surtout pas sur le dogme d’un clergé autoritaire.
Inclusif, ça n’inclut pas les opinions?
Dans un monde où la diversité, l’inclusion et le respect des différences n’ont jamais été autant promus, une intolérance inimaginable se manifeste envers la diversité des opinions, premier pilier des démocraties. Que vaut un monde où on ne serait plus harcelé pour ses origines, son genre ou son poids, mais où on serait discriminé et persécuté pour ses opinions?
Vous êtes pour la diversité? Alors soyez brave. Commencez par sauver la diversité des idées.